http://www.reseauvoltaire.net/article10200.html
RÉSEAU VOLTAIRE - Focus
Diviser pour mieux régner
L'éclatement du continent européen au service des États-Unis
La régionalisation de l'Europe pourrait être détournée de son sens
initial à la faveur d'un déséquilibre des institutions. Elle serait
alors un moyen de démembrer politiquement l'Europe, laissant ainsi le
champ libre à la domination de l'Empire états-unien. Pierre Hillard
analyse cette variante de la doctrine Wolfowitz : comment transformer
le rêve d'unité européenne en un cauchemar de la yougoslavisation
généralisée.
11 juillet 2003
Les modalités de la construction européenne dépendent de l'idée que
l'on se fait de l'unité de l'Europe et de son rôle dans le monde. Après
avoir piloté la création de l'Union pour stabiliser l'Europe
occidentale et la soustraire à l'influence soviétique, les États-Unis
encouragent aujourd'hui à la fois son élargissement géographique et sa
dilution politique. L'Union pourrait alors absorber la Russie et broyer
les États-membres en une myriade de régions pour se transformer en une
vaste zone de libre-échange protégée par la puissance militaire
états-unienne.
Contrairement à une idée répandue, il se trouve au sein même de l'Union
de nombreuses forces pour promouvoir ce projet comme l'atteste la carte
officielle que nous reproduisons.
(Table des régions d'Europe:
http://it.groups.yahoo.com/group/crj-mailinglist/files/IMMAGINI/europe-
confetis.jpg
Edité par l'Assemblée des régions d'Europe (ARE), 2002)
Elle a été élaborée au sein de l'ARE (l'Assemblée des Régions d'Europe)
en 2002. Créé en 1985 par les Français, les Espagnols et les Portugais,
cet institut fut repris en 1987 par les Allemands qui lui insufflèrent
des principes fédéralistes, régionalistes et ethnicistes, le tout en
liaison avec les organismes européens comme le Comité des Régions (le
CdR), le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux d'Europe (le CPLRE)
ou le Conseil des Communes et des Régions d'Europe (le CCRE). L'intérêt
majeur de ce document est de révéler le sens caché de la forme actuelle
de la régionalisation européenne. Celle-ci ne concerne pas que l'Union
présente, mais est conçue pour s'étendre à toute l'Eurasie. Tous les
États d'Europe centrale, les États baltes, l'Ukraine, la Russie -avec
une frontière à l'Est qui s'étend vers la Sibérie- les États du Caucase
et la Turquie sont déjà intégrés dans ce projet européen ou plutôt
euro-atlantique. L'adhésion à l'Union ne serait plus le moyen de
réaliser l'unité européenne, mais au contraire de démembrer le
continent, assurant ainsi le triomphe pacifique de l'hyper puissance
états-unienne selon le principe classique « diviser pour régner ». La
régionalisation, présentée comme un moyen de rapprocher les citoyens
des lieux de décisions, ne serait plus qu'un artifice pour prévenir
l'émergence d'une Europe-puissance en application de la « doctrine
Wolfowitz » [ 1]
Peu de temps avant de quitter la Maison-Blanche, le président Clinton a
présenté la vision états-unienne de l'Europe dans un discours
magnifiant le bloc transatlantique. Il soulignait aussi et d'une
manière très nette que « (...) l'unité de l'Europe est en train
d'engendrer quelque chose de véritablement neuf sous le soleil : des
institutions communes plus vastes que l'État-nation parallèlement à la
délégation de l'autorité démocratique aux échelons inférieurs. L'Écosse
et le Pays de Galles ont leurs propres parlements. L'Irlande du Nord,
dont ma famille tire son origine, a retrouvé son nouveau gouvernement.
L'Europe est pleine de vie et résonne à nouveau des noms d'anciennes
régions dont on reparle - la Catalogne, le Piémont, la Lombardie, la
Silésie, la Transylvanie etc. - non pas au nom d'un quelconque
séparatisme, mais dans un élan de saine fierté et de respect de la
tradition. La souveraineté nationale est enrichie de voix régionales
pleines de vie qui font de l'Europe un lieu garantissant mieux
l'existence de la diversité (...) » [ 2]
La « sympathie » américaine à l'égard de cette forme de régionalisation
s'explique par le transfert du pouvoir politique des États vers les
régions. Désormais, la « région-État » se pare d'une autonomie
politique de plus en plus grande dans les domaines qui touchent
l'administration, la justice, les systèmes bancaire et postaux ou
encore l'éducation, cette dernière devenant de plus en plus - quoiqu'en
disent les autorités officielles - une éducation régionale. Or, ces
instances politiques régionales sont conduites à traiter directement
avec les instances supranationales de Bruxelles en court-circuitant
l'autorité nationale. Ceci ne peut que combler d'aise les dirigeants
politiques et économiques états-uniens qui, par l'intermédiaire de
leurs puissants lobbies présents massivement à Bruxelles, pourront
engager des contacts directement avec la Lombardie, l'Alsace, la
Catalogne, etc. Entre d'un côté, la puissance politique, militaire et
économique considérable des États-Unis et de l'autre, une quelconque
région d'Europe, on devine sans peine quel parti Washington tirera de
cette affaire.
Pour renforcer l'emprise complète américaine sur le vieux continent,
Les États-Unis ont présenté au seul gouvernement allemand une véritable
feuille de route pour l'extension à l'Est de l'Union européenne (l'UE)
et de l'OTAN. Selon le Financial Times Deutschland du 24 octobre 2002
l'objectif d'une « Europe libre et unie » doit s'articuler selon les
modalités suivantes. Après l'intégration de dix États en 2004 à l'UE
(Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Lituanie,
Lettonie, Estonie, Chypre et Malte), les pourparlers d'adhésion de
l'Ukraine à l'OTAN devraient commencer en 2004, suivies de ceux de la
Serbie en 2005, de la Croatie et de l'Albanie en 2007. En outre, selon
cette feuille de route, les États-Unis souhaiteraient l'adhésion de la
Turquie à l'UE pour 2007. Enfin, le Financial Times Deutschland ajoute
que l'intégration complète des Balkans et de l'Ukraine dans les
institutions euro-atlantiques doit être achevée pour 2010.
Au moins, nous connaissons la date butoir des objectifs états-uniens.
Dans cette parcellisation européenne donnant la primauté politique aux
régions, aux dépens des nations, en liaison directe avec tous les
lobbies financiers de Bruxelles, l'Allemagne joue un rôle décisif. En
effet, à l'origine de la régionalisation en Europe ( recommandation 34
(1997) du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux d'Europe:
http://www.coe.int/T/F/Cplre/%5F5.%5FTextes/2._Textes_adopt%E9s/
1._Recommandations/1997/Rec_34_1997_F.asp#TopOfPage ), elle soumet le
continent aux concepts institutionnels que les Britanniques et
États-Uniens lui ont imposés à la Conférence de Postdam (11 juillet au
2 août 1945) et lors de la création de la bizone d'occupation (2
décembre 1946). À l'époque, le rôle dévolu aux Länders visait à la fois
à rétablir les libertés supprimées par le centralisme du IIIe Reich et
à priver l'Allemagne du statut de grande puissance. Ce dispositif avait
été approuvé par la France qui, selon le mot de Mauriac à propos des
zones d'occupation, aimait tant l'Allemagne qu'il préférait qu'il y en
ait plusieurs. En outre, les Anglo-Saxons figèrent ces institutions en
sacralisant la Constitution allemande et en créant une Cour
constitutionnelle indépendante à Karlsruhe.
Cependant la vassalité de l'Europe vis-à-vis des États-Unis n'a plus de
raison d'être depuis l'effondrement de l'Union soviétique et la
dissolution du Pacte de Varsovie. La classe dirigeante allemande, quant
à elle, se trouve partagée entre d'une part ceux qui rêvent d'une
puissance indépendante et qui se sont exprimés en refusant de
s'associer à l'attaque de l'Irak, et d'autre part, ceux qui préfèrent
minimiser les risques et jouer le rôle de gouverneur délégué de
l'Empire pour l'Europe. Ceux-là se sont empressés de jouer les
supplétifs dans le démembrement de la Yougoslavie et dans la guerre du
Kosovo. Dès lors, ces contradictions pourraient trouver une solution en
se débarrassant de la tutelle états-unienne afin d'être seuls maîtres à
bord, selon le bon vieux « principe d'Iznogoud » (être calife à la
place du calife). Tout le problème réside dans la capacité des
Anglo-Saxons à convaincre les élites allemandes de jouer le rôle qu'ils
leur ont assigné dans le nouvel ordre mondial
En tout cas, l'éclatement de l'Europe comme le présente cette carte de
l'ARE est encore transitoire. En effet, l'émergence première des
régions est le préalable avant de passer à un autre niveau : le
remaniement des frontières régionales en fonction de critères
économiques et ethniques. Dans le cadre de l'interrégionalité, de
nombreux regroupements sont possibles comme par exemple entre les
entités basques française et espagnole ou encore entre l'Alsace et le
Pays de Bade. C'est tout l'enjeu de la carte élaborée par la commission
européenne en 2002 [ 3]. En effet, l'objectif étant de créer un vaste
marché économique de libre-échange transatlantique, les technocrates
bruxellois ont procédé à des remaniements territoriaux afin de créer
des groupes économiques comme le stipulent les textes officiels :
Interreg IIIB regroupe désormais toutes les actions de coopération
transnationale impliquant les autorités nationales, régionales et
locales et les autres acteurs socio-économiques. L'objectif est de
promouvoir l'intégration territoriale au sein de grands groupes de
régions européennes y compris au-delà de l'Union des Quinze, de même
qu'entre les États membres et les pays candidats ou autres pays
voisins, et à favoriser ainsi un développement durable, équilibré et
harmonieux de l'Union. Une attention particulière est accordée
notamment aux régions ultrapériphériques et insulaires [ 4].
Cette révolution politique, géopolitique et sociale en Europe est sur
le point de franchir un pas décisif avec la reconnaissance d'une
personnalité juridique pour l'Union européenne. Ce qui peut apparaître
comme l'aboutissement d'un rêve d'unité contient en lui-même des
éléments qui, dans ce contexte particulier et en l'absence de
garde-fous, peuvent dériver vers le cauchemar de la Yougoslavisation
généralisée.
Pierre Hillard
Essayiste, auteur de Minorités et régionalismes, Enquête sur le plan
allemand qui va bouleverser l'Europe , Editions François-Xavier de
Guibert, 2002 (
http://www.fnac.com/Shelf/
article.asp?PRID=1288052&SID=7309b720%2D64c4%2D994f%2D8a47%2D3d14eb640a3
1&UID=0b549c42e%2Dec06%2D0016%2D8814%2D5cec73ad87b9&AID=&Origin=FnacAff&
Pe=1&No=1&Fr=0&Mn=1&Ra=-1&To=0 ).
Article suivant : L'effet CNN
[1] Cf. Defense Policy Guidance for the Fiscal Years 1994-1999 , US
Department of Defense, 18 février 1992. Des extraits du document ont
été publiés dans The New York Times du 8 mars 1992.
[2] Extrait du discours du président Clinton à l'occasion de la remise
du prix Charlemagne
(http://clinton4.nara.gov/WH/New/Europe-0005/speeches/20000602-
1245.html) , Aix-la-Chapelle, 2 juin 2000.
[3] Voir la carte des 13 programmes INTERREG IIIB 2000-2006, Les
politiques structurelles et les territoires de l'Europe, Coopération
sans frontières , Commission européenne, 2002.
[4] Ibid., p. 8.
RÉSEAU VOLTAIRE - Focus
Diviser pour mieux régner
L'éclatement du continent européen au service des États-Unis
La régionalisation de l'Europe pourrait être détournée de son sens
initial à la faveur d'un déséquilibre des institutions. Elle serait
alors un moyen de démembrer politiquement l'Europe, laissant ainsi le
champ libre à la domination de l'Empire états-unien. Pierre Hillard
analyse cette variante de la doctrine Wolfowitz : comment transformer
le rêve d'unité européenne en un cauchemar de la yougoslavisation
généralisée.
11 juillet 2003
Les modalités de la construction européenne dépendent de l'idée que
l'on se fait de l'unité de l'Europe et de son rôle dans le monde. Après
avoir piloté la création de l'Union pour stabiliser l'Europe
occidentale et la soustraire à l'influence soviétique, les États-Unis
encouragent aujourd'hui à la fois son élargissement géographique et sa
dilution politique. L'Union pourrait alors absorber la Russie et broyer
les États-membres en une myriade de régions pour se transformer en une
vaste zone de libre-échange protégée par la puissance militaire
états-unienne.
Contrairement à une idée répandue, il se trouve au sein même de l'Union
de nombreuses forces pour promouvoir ce projet comme l'atteste la carte
officielle que nous reproduisons.
(Table des régions d'Europe:
http://it.groups.yahoo.com/group/crj-mailinglist/files/IMMAGINI/europe-
confetis.jpg
Edité par l'Assemblée des régions d'Europe (ARE), 2002)
Elle a été élaborée au sein de l'ARE (l'Assemblée des Régions d'Europe)
en 2002. Créé en 1985 par les Français, les Espagnols et les Portugais,
cet institut fut repris en 1987 par les Allemands qui lui insufflèrent
des principes fédéralistes, régionalistes et ethnicistes, le tout en
liaison avec les organismes européens comme le Comité des Régions (le
CdR), le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux d'Europe (le CPLRE)
ou le Conseil des Communes et des Régions d'Europe (le CCRE). L'intérêt
majeur de ce document est de révéler le sens caché de la forme actuelle
de la régionalisation européenne. Celle-ci ne concerne pas que l'Union
présente, mais est conçue pour s'étendre à toute l'Eurasie. Tous les
États d'Europe centrale, les États baltes, l'Ukraine, la Russie -avec
une frontière à l'Est qui s'étend vers la Sibérie- les États du Caucase
et la Turquie sont déjà intégrés dans ce projet européen ou plutôt
euro-atlantique. L'adhésion à l'Union ne serait plus le moyen de
réaliser l'unité européenne, mais au contraire de démembrer le
continent, assurant ainsi le triomphe pacifique de l'hyper puissance
états-unienne selon le principe classique « diviser pour régner ». La
régionalisation, présentée comme un moyen de rapprocher les citoyens
des lieux de décisions, ne serait plus qu'un artifice pour prévenir
l'émergence d'une Europe-puissance en application de la « doctrine
Wolfowitz » [ 1]
Peu de temps avant de quitter la Maison-Blanche, le président Clinton a
présenté la vision états-unienne de l'Europe dans un discours
magnifiant le bloc transatlantique. Il soulignait aussi et d'une
manière très nette que « (...) l'unité de l'Europe est en train
d'engendrer quelque chose de véritablement neuf sous le soleil : des
institutions communes plus vastes que l'État-nation parallèlement à la
délégation de l'autorité démocratique aux échelons inférieurs. L'Écosse
et le Pays de Galles ont leurs propres parlements. L'Irlande du Nord,
dont ma famille tire son origine, a retrouvé son nouveau gouvernement.
L'Europe est pleine de vie et résonne à nouveau des noms d'anciennes
régions dont on reparle - la Catalogne, le Piémont, la Lombardie, la
Silésie, la Transylvanie etc. - non pas au nom d'un quelconque
séparatisme, mais dans un élan de saine fierté et de respect de la
tradition. La souveraineté nationale est enrichie de voix régionales
pleines de vie qui font de l'Europe un lieu garantissant mieux
l'existence de la diversité (...) » [ 2]
La « sympathie » américaine à l'égard de cette forme de régionalisation
s'explique par le transfert du pouvoir politique des États vers les
régions. Désormais, la « région-État » se pare d'une autonomie
politique de plus en plus grande dans les domaines qui touchent
l'administration, la justice, les systèmes bancaire et postaux ou
encore l'éducation, cette dernière devenant de plus en plus - quoiqu'en
disent les autorités officielles - une éducation régionale. Or, ces
instances politiques régionales sont conduites à traiter directement
avec les instances supranationales de Bruxelles en court-circuitant
l'autorité nationale. Ceci ne peut que combler d'aise les dirigeants
politiques et économiques états-uniens qui, par l'intermédiaire de
leurs puissants lobbies présents massivement à Bruxelles, pourront
engager des contacts directement avec la Lombardie, l'Alsace, la
Catalogne, etc. Entre d'un côté, la puissance politique, militaire et
économique considérable des États-Unis et de l'autre, une quelconque
région d'Europe, on devine sans peine quel parti Washington tirera de
cette affaire.
Pour renforcer l'emprise complète américaine sur le vieux continent,
Les États-Unis ont présenté au seul gouvernement allemand une véritable
feuille de route pour l'extension à l'Est de l'Union européenne (l'UE)
et de l'OTAN. Selon le Financial Times Deutschland du 24 octobre 2002
l'objectif d'une « Europe libre et unie » doit s'articuler selon les
modalités suivantes. Après l'intégration de dix États en 2004 à l'UE
(Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Lituanie,
Lettonie, Estonie, Chypre et Malte), les pourparlers d'adhésion de
l'Ukraine à l'OTAN devraient commencer en 2004, suivies de ceux de la
Serbie en 2005, de la Croatie et de l'Albanie en 2007. En outre, selon
cette feuille de route, les États-Unis souhaiteraient l'adhésion de la
Turquie à l'UE pour 2007. Enfin, le Financial Times Deutschland ajoute
que l'intégration complète des Balkans et de l'Ukraine dans les
institutions euro-atlantiques doit être achevée pour 2010.
Au moins, nous connaissons la date butoir des objectifs états-uniens.
Dans cette parcellisation européenne donnant la primauté politique aux
régions, aux dépens des nations, en liaison directe avec tous les
lobbies financiers de Bruxelles, l'Allemagne joue un rôle décisif. En
effet, à l'origine de la régionalisation en Europe ( recommandation 34
(1997) du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux d'Europe:
http://www.coe.int/T/F/Cplre/%5F5.%5FTextes/2._Textes_adopt%E9s/
1._Recommandations/1997/Rec_34_1997_F.asp#TopOfPage ), elle soumet le
continent aux concepts institutionnels que les Britanniques et
États-Uniens lui ont imposés à la Conférence de Postdam (11 juillet au
2 août 1945) et lors de la création de la bizone d'occupation (2
décembre 1946). À l'époque, le rôle dévolu aux Länders visait à la fois
à rétablir les libertés supprimées par le centralisme du IIIe Reich et
à priver l'Allemagne du statut de grande puissance. Ce dispositif avait
été approuvé par la France qui, selon le mot de Mauriac à propos des
zones d'occupation, aimait tant l'Allemagne qu'il préférait qu'il y en
ait plusieurs. En outre, les Anglo-Saxons figèrent ces institutions en
sacralisant la Constitution allemande et en créant une Cour
constitutionnelle indépendante à Karlsruhe.
Cependant la vassalité de l'Europe vis-à-vis des États-Unis n'a plus de
raison d'être depuis l'effondrement de l'Union soviétique et la
dissolution du Pacte de Varsovie. La classe dirigeante allemande, quant
à elle, se trouve partagée entre d'une part ceux qui rêvent d'une
puissance indépendante et qui se sont exprimés en refusant de
s'associer à l'attaque de l'Irak, et d'autre part, ceux qui préfèrent
minimiser les risques et jouer le rôle de gouverneur délégué de
l'Empire pour l'Europe. Ceux-là se sont empressés de jouer les
supplétifs dans le démembrement de la Yougoslavie et dans la guerre du
Kosovo. Dès lors, ces contradictions pourraient trouver une solution en
se débarrassant de la tutelle états-unienne afin d'être seuls maîtres à
bord, selon le bon vieux « principe d'Iznogoud » (être calife à la
place du calife). Tout le problème réside dans la capacité des
Anglo-Saxons à convaincre les élites allemandes de jouer le rôle qu'ils
leur ont assigné dans le nouvel ordre mondial
En tout cas, l'éclatement de l'Europe comme le présente cette carte de
l'ARE est encore transitoire. En effet, l'émergence première des
régions est le préalable avant de passer à un autre niveau : le
remaniement des frontières régionales en fonction de critères
économiques et ethniques. Dans le cadre de l'interrégionalité, de
nombreux regroupements sont possibles comme par exemple entre les
entités basques française et espagnole ou encore entre l'Alsace et le
Pays de Bade. C'est tout l'enjeu de la carte élaborée par la commission
européenne en 2002 [ 3]. En effet, l'objectif étant de créer un vaste
marché économique de libre-échange transatlantique, les technocrates
bruxellois ont procédé à des remaniements territoriaux afin de créer
des groupes économiques comme le stipulent les textes officiels :
Interreg IIIB regroupe désormais toutes les actions de coopération
transnationale impliquant les autorités nationales, régionales et
locales et les autres acteurs socio-économiques. L'objectif est de
promouvoir l'intégration territoriale au sein de grands groupes de
régions européennes y compris au-delà de l'Union des Quinze, de même
qu'entre les États membres et les pays candidats ou autres pays
voisins, et à favoriser ainsi un développement durable, équilibré et
harmonieux de l'Union. Une attention particulière est accordée
notamment aux régions ultrapériphériques et insulaires [ 4].
Cette révolution politique, géopolitique et sociale en Europe est sur
le point de franchir un pas décisif avec la reconnaissance d'une
personnalité juridique pour l'Union européenne. Ce qui peut apparaître
comme l'aboutissement d'un rêve d'unité contient en lui-même des
éléments qui, dans ce contexte particulier et en l'absence de
garde-fous, peuvent dériver vers le cauchemar de la Yougoslavisation
généralisée.
Pierre Hillard
Essayiste, auteur de Minorités et régionalismes, Enquête sur le plan
allemand qui va bouleverser l'Europe , Editions François-Xavier de
Guibert, 2002 (
http://www.fnac.com/Shelf/
article.asp?PRID=1288052&SID=7309b720%2D64c4%2D994f%2D8a47%2D3d14eb640a3
1&UID=0b549c42e%2Dec06%2D0016%2D8814%2D5cec73ad87b9&AID=&Origin=FnacAff&
Pe=1&No=1&Fr=0&Mn=1&Ra=-1&To=0 ).
Article suivant : L'effet CNN
[1] Cf. Defense Policy Guidance for the Fiscal Years 1994-1999 , US
Department of Defense, 18 février 1992. Des extraits du document ont
été publiés dans The New York Times du 8 mars 1992.
[2] Extrait du discours du président Clinton à l'occasion de la remise
du prix Charlemagne
(http://clinton4.nara.gov/WH/New/Europe-0005/speeches/20000602-
1245.html) , Aix-la-Chapelle, 2 juin 2000.
[3] Voir la carte des 13 programmes INTERREG IIIB 2000-2006, Les
politiques structurelles et les territoires de l'Europe, Coopération
sans frontières , Commission européenne, 2002.
[4] Ibid., p. 8.