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2018:11:40&log=invites

Les agences (de presse) du Nouvel Ordre Mondial

Geoffrey Geuens

4 grandes agences de presse contrôlent aujourd’hui l’essentiel de
l’info internationale. En 1992, dans Attention, médias ! ( http://
www.michelcollon.info/attention_medias.php - pp. 208-209), nous
avions analysé leur quasi-monopole mondial. Aujourd’hui, Geoffrey
Geuens montre l’intégration toujours plus poussée de ces agences
dites « d’information » dans les rouages du pouvoir économique et
politique.
Michel Collon


Structurellement intégrées aux dispositifs de maintien de l’ordre
politique, idéologique et symbolique du capitalisme, les agences
internationales de presse demeurent, aujourd’hui, l’un des principaux
relais des intérêts des multinationales et le cœur même du complexe
médiatico-industriel. Haut-parleur de la haute finance, « lubrifiant
du capital », selon l’expression désormais célèbre de Marx,
l’information est plus que jamais sous contrôle du pouvoir économique.

En mai 2000, le Révérent Sun Myung Moon, principal dirigeant
de la secte du même nom, annonçait avoir acheté, par l’entremise de
sa société de médias News World Communications, longtemps perçue
comme une arme de propagande « occidentale » au service de la cause
anti-communiste, l’agence United Press International (UPI). La Secte
Moon complétait ainsi son Empire industriel, lequel comptait déjà,
parmi ses nombreuses propriétés, des écoles, des hôtels, des banques,
des journaux et magazines ainsi qu’une usine d’armement.
Aujourd’hui, UPI est dirigée par quelques-unes des figures
les plus marquantes du monde de la finance et de la politique de ces
dernières années. Son rédacteur en chef, John O’Sullivan, a été
conseiller privé de Margaret Thatcher et le fondateur du New Atlantic
Initiative, l’un des plus puissants think tanks travaillant
simultanément au renforcement des relations transatlantiques, à la
défense inconditionnelle de l’OTAN ainsi qu’à l’établissement d’une
zone commerciale de libre échange et de commerce entre les deux blocs
nord-américain et européen. Les dirigeants de cet influent organisme
sont, entre autres, Vaclav Havel, Margaret Thatcher, Helmut Schmidt,
Henry Kissinger et Edwin Feulner, le président de la Fondation
Heritage, considérée par d’aucuns comme la plus influente boîte à
idées des Etats-Unis et cataloguée par certains à l’extrême-droite de
l’échiquier politique. D’ailleurs, O’Sullivan est aussi directeur
d’études dans cette même institution. Ian Campbell, correspondant
économique pour UPI, a été, quant à lui, chef économiste pour la
banque néerlandaise ABN Amro. Martin Walker, directeur de la
correspondance internationale, est un ancien membre du comité de
rédaction de la revue International Affairs, le journal de l’Institut
pour les Affaires Internationales (RIIA). Mieux connu sous le nom de
Chatham House, cet organisme travaille, lui aussi, à la promotion et
au soutien des relations entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Au
service des multinationales américaines et britanniques, ce club de
l’élite mondiale est présidé par Lord Marshall of Knightsbridge, le
président de British Airways, vice-président de British Telecom et
administrateur de l’oligopole financier HSBC. Quant à Martin
Hutchinson, rédacteur « économie » chez UPI, il a longtemps travaillé
pour la Citibank. Enfin, on précisera que le responsable « maison »
pour la politique nationale, Peter Roff est l’ancien directeur
politique de Newt Gingrich, la figure désormais légendaire de l’ultra-
droite américaine, bien connu pour avoir incité « les propriétaires
des médias et les annonceurs les plus importants à attaquer
vigoureusement les socialistes dans les salles de rédaction »(1).

Reuters, au cœur de la Triade

Reuters est elle aussi particulièrement représentative des
relations qui se nouent, au niveau mondial, entre l’information et
les principales puissances économiques, diplomatiques et militaires
que sont les Etats-Unis, l’Europe et le Japon. Présidée par Sir
Christopher Hogg, aujourd’hui administrateur de GlaxoSmithKline et
Air Liquide, après avoir été président des multinationales de
l’industrie alimentaire Courtaulds et Allied Domecq, l’agence Reuters
compte parmi ses administrateurs Roberto Mendoza, ancien vice-
président de JP Morgan Chase & Co, ancien directeur de la banque
d’affaires Goldman Sachs ; Ed Kozel, administrateur de Cisco
Systems ; Richard Olver, directeur de la compagnie pétrolière BP
Amoco ; John Craven, administrateur-délégué de la compagnie
financière Merrill Lynch International, ancien directeur de la
Deutsche Bank et vice-président de SG Warburg ; ou encore Ian
Strachan, ancien directeur d’Exxon Mobil et président d’Esso Hong-
Kong et Chine.
Il existe également une structure interne au groupe dont
l’objectif est d’assurer, à long terme, l’indépendance, l’intégrité
et la liberté de l’agence à l’égard des pressions gouvernementales ou
encore financières. Créée pour faire barrage à une éventuelle prise
de contrôle « hostile » de l’agence, la société privée Reuters
Founders Share est aujourd’hui présidée par le Suédois Pehr
Gyllenhammar. Fondateur de la Table Ronde des Industriels européens,
ami personnel d’Etienne Davignon et d’Henry Kissinger, cet ancien
patron de Volvo est aujourd’hui à la tête de CGNU, administrateur de
Lagardère et de la banque d’affaires Lazard. Par ailleurs,
Gyllenhammar est membre du conseil international de la Chase
Manhattan Bank, de Renault-Nissan et de Toshiba. Siège également au
conseil de Reuters Founders Share, le Norvégien Uffe Ellemann-Jensen.
Président du Parti Libéral Européen et ancien vice-président de
l’Internationale Libérale, il est actuellement administrateur de
plusieurs filiales du holding A.P. Möller Group (pétrole, gaz,
aéronautique, armement). On citera également le nom de Jacques de
Larosière de Champfeu. Ancien directeur général du FMI et ancien
président de la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le
Développement), actuel administrateur de France Telecom, Alstom et
Power Corporation of Canada, il est aussi, depuis peu, le conseiller
du président de la banque BNP Paribas. Quant à Toyoo Gyohten,
également administrateur de Reuters Founders Share, il n’est autre
que l’ancien vice-ministre des Finances du Japon et l’actuel
président de l’Institut pour les Affaires Monétaires Internationales.
Conseiller de la Bank of Tokyo-Mitsubishi, Gyohten est également
membre du comité exécutif de la Commission Trilatérale et du comité
international du Council on Foreign Relations (CFR), deux
institutions majeures du « Nouvel Ordre Mondial ».

Reuters, le porte-parole du complexe militaro-industriel

Le CFR est, en effet, aujourd’hui considéré comme le
véritable secrétariat d’Etat américain aux classes dominantes. Son
président honoraire n’est autre que David Rockefeller, le président
du conseil international de la Chase Manhattan Bank ; quant à son
actuel président, Peter G.Peterson, il est administrateur de Sony et
ancien Secrétaire d’Etat au Commerce sous Nixon. On retrouve
également parmi les dirigeants du CFR des personnalités telles que
Carla A.Hills (ancienne Secrétaire au Commerce des Etats-Unis,
administratrice d’AOL Time Warner et de Chevron), Martin Feldstein
(ancien conseiller économique du Président Reagan), John Deutch
(ancien directeur de la CIA, aministrateur de Raytheon, Schlumberger
Petroleum et Citigroup) ou encore George Soros. Par ailleurs, le
conseil international du CFR compte dans ses rangs Percy Barnevik
(patron du Forum Economique Mondial de Davos et administrateur de
General Motors), Peter Sutherland (président de Goldman Sachs
International et de BP Amoco, ancien directeur général de l’OMC et
ancien commissaire européen), Michel Rocard (ancien Premier Ministre
français), Moshe Arens (ancien Ministre de la Défense et ambassadeur
d’Israël) ou encore Moeen Qureshi (ancien dirigeant de la Banque
Mondiale, ancien Premier Ministre du Pakistan et actuel membre du
conseil de surveillance de General Electric).
En réalité, comme on le voit, l’agence Reuters est
directement placée sous la tutelle du capital et de ses relais
politiques. Elle compte en son sein non seulement des représentants
des principales organisations économiques internationales (FMI,
Banque Mondiale) et des plus puissants oligopoles financiers (HSBC,
Golman Sachs, JP Morgan Chase, Merrill Lynch, etc.), mais également
quelques-unes des figures les plus marquantes de l’impérialisme
contemporain (Rockefeller, Gyllenhammar, Gyohten), « organisé » sur
le modèle de la triade Etats-Unis – Europe - Japon . Enfin, les
principaux secteurs du nouveau complexe militaro-industriel sont, eux
aussi, représentés au sein des instances dirigeantes de l’agence
internationale de presse qu’il s’agisse de l’aéronautique et de
l’armement (United Technologies, Lagardère, British Aerospace), de
l’électronique de défense et des télécoms (Cisco System, France
Telecom), de l’industrie chimique (GlaxoSmithKline) ou encore de
l’industrie énergétique (Exxon Mobil, BP Amoco, Alstom, Air Liquide,
AP Möller Group).
Ces liaisons entre Reuters et certains des acteurs les plus
en vue de la militarisation croissante de l’économie, en tête
desquels les industriels de la défense et du pétrole, permettent
d’expliquer, dans une large mesure, la couverture médiatique des
derniers grands conflits militaires laquelle, on le sait, repose sur
le flot d’informations déversées par les grandes agences
internationales. En mettant à jour l’infrastructure masquée des
agences de presse, nous avons tenté d’éclairer l’opinion publique sur
les pressions qui peuvent s’exercer sur les rédactions et mettre à
mal, consciemment et avec certaines complicités, la liberté
d’informer dans le monde. Infiltrées au cœur des agences de presse,
les multinationales ont tissé leur toile, par-delà l’entrelacement
des directoires et des alliances.


Geoffrey GEUENS

Assistant à l’Université de Liège, auteur de deux ouvrages :
Tous pouvoirs confondus (Anvers, EPO) et Le Complexe médiatico-
industriel. Le journalisme belge sous contrôle (Bruxelles, Labor/
Espace de libertés)


(1) CHOMSKY Noam et McCHESNEY Robert, Propagande, medias et
démocratie, Montréal, Ecosociété, 2000, p.185.
(2) Nous utilisons le terme de « triade » sans que cela ne suppose, à
l’instar des thèses professées par Toni Negri, l’existence d’un seul
et même Empire. Cette dernière représentation, partagée par une
fraction des « anti-mondialistes », est une mystification répondant
au fantasme néolibéral du grand marché mondial. En réalité, l’analyse
détaillée des relations entre les multinationales et leur Etat
respectif ainsi que l’évidente exacerbation des tensions entre
grandes puissances mettent en évidence la nature des relations de
concurrence profonde et de complicité tacite entre les trois
principaux blocs.