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2007:11:32&log=invites

L’Union européenne survivra-t-elle au Kosovo ?

Georges Berghezan


Face à la menace de proclamation unilatérale de l’indépendance par
les autorités albanaises du Kosovo, l’unité de façade de l’Union
européenne est en train de s’effondrer. Entre l’indépendance promise
par Washington et les menaces de veto russe, Bruxelles n’a pas trouvé
de cap et son engagement dans les Balkans est remis en question.

Bulletin trimestriel du Comité de surveillance OTAN,
Numéro 27, juillet-septembre 2007


Alors que certains n’y voyaient qu’une simple formalité – une pilule
amère, une de plus, à faire avaler par la Serbie –, le processus de
détermination du statut futur du Kosovo s’est enlisé au plus haut
niveau. Après des discussions infructueuses entre Belgrade et
Pristina, l’émissaire de l’ONU Martti Ahtisaari a présenté en mars
dernier au Conseil de sécurité un rapport prônant l’« indépendance
supervisée » de la province serbe, une position qu’il avait
d’ailleurs exprimée avant même que les « négociations » ne débutent.
Le Kosovo serait doté des attributs d’un Etat indépendant, mais
continuerait à être occupé par des troupes de l’OTAN, tandis que
l’actuelle mission de l’ONU serait remplacée par une administration
de l’Union européenne qui exercerait des « fonctions d’encadrement,
de surveillance et de conseil » dans les matières civiles et
policières. Après six projets de résolution, tous rejetés par la
Russie qui défend le principe d’une solution agréée par toutes les
parties – et non imposée à Belgrade comme dans le plan Ahtisaari –,
le Conseil de sécurité a délégué la suite du processus à une troïka,
composée des Etats-Unis, de la Russie et de l’UE, chargée de relancer
d’« ultimes » négociations entre Belgrade et Pristina et de rendre un
rapport un Secrétaire général de l’ONU pour le 10 décembre.

Alors que Serbes et Albanais n’ont toujours pas repris leurs
pourparlers1 et qu’aucun signe n’indique le moindre assouplissement
de leurs positions – tout sauf l’indépendance pour les uns, rien
d’autre que l’indépendance pour les autres –, les leaders albanais du
Kosovo ont annoncé qu’ils proclameraient l’indépendance du territoire
avant la fin de l’année, avec ou sans la caution du Conseil de
sécurité. Récusée par l’UE et la Russie, la menace a reçu des
encouragements explicites de Washington où un représentant du
Département d’Etat a déclaré le 8 septembre que les Etats-Unis
reconnaîtraient l’indépendance du Kosovo. Même si, depuis de nombreux
mois, les responsables de Washington se sont faits les hérauts de
l’indépendance kosovare, jamais ils n’avaient encore aussi clairement
annoncé qu’ils étaient prêts à court-circuiter le Conseil de sécurité.

Le cauchemar de Solana

Une proclamation unilatérale d’indépendance suivie de sa
reconnaissance par les Etats-Unis provoquerait de grosses fissures,
non seulement au Conseil de sécurité, où plusieurs de 15 membres (la
Chine, qui dispose aussi du droit de veto, mais également l’Indonésie
ou l’Afrique du Sud) partagent l’opposition russe à une indépendance
du Kosovo imposée à la Serbie, mais aussi au sein de l’UE. Malgré les
craintes d’une « contagion sécessionniste », une certaine unanimité
prévalait pour accepter une indépendance reconnue « dans les règles
», c’est-à-dire avec l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU. Comme
cette éventualité devient de plus en plus improbable, la question
d’une reconnaissance d’une indépendance autoproclamée divise
profondément le club européen, ainsi que celle de l’envoi de la
mission civilo-policière devant remplacer celle de l’ONU, en train de
plier bagages.

Lors d’un sommet les 7 et 8 septembre à Viana Do Castelo (Portugal),
les 27 ministres des Affaires étrangères n’ont pu accorder leurs
violons. Si la Grande-Bretagne et, singulièrement, la France se
rangent sur la position états-unienne, plusieurs pays ont exprimé de
nettes réserves ou leur opposition à une reconnaissance
d’indépendance sans accord du Conseil de sécurité. Parmi ces
derniers, on trouve l’Espagne, la Slovaquie, la Grèce, Chypre, la
Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie. Davantage que l’attachement aux
principes du droit international ou le désir de ne pas s’aliéner
durablement la Serbie, c’est surtout la crainte d’un précédent qui
motive la plupart de ces Etats, confrontés aux revendications
indépendantistes de leurs propres minorités. Et même au-delà de ces
nations, dans divers milieux européens, grandit la crainte que les «
indépendances autoproclamées » deviennent la règle, alors que, du
Pays Basque au Nagorny Karabakh, le cas du Kosovo est suivi avec
intérêt. Mais, au cabinet de notre ministre belge De Gucht, c’est
l’allégeance au grand George qui semble prévaloir, bien que
l’actuelle « crise institutionnelle » belge devrait plutôt l’inciter
à la réflexion.

Si une position commune devait s’imposer, celle de l’Allemagne serait
déterminante. Berlin a eu, depuis plus de quinze ans, une influence
capitale sur les événements d’ex-Yougoslavie. Rappelons la
reconnaissance unilatérale, avec le Vatican, de l’indépendance de la
Croatie à la fin 1991, forçant le reste de la Communauté européenne,
puis les Etats-Unis, à la suivre sur un chemin qui précipita quelques
mois plus tard la Bosnie-Herzégovine dans une guerre sanglante. Dès
la paix revenue dans ce pays, les services de renseignement allemands
se lançaient dans un programme d’armement et d’entraînement des
indépendantistes kosovars de l’Armée de libération du Kosovo. Depuis,
aux yeux des Albanais, l’aura américaine a bien supplanté l’attrait
exercé par la patrie du Deutsche Mark, mais l’Allemagne n’en garde
pas moins des positions clé au Kosovo : avec 2.500 soldats, son
contingent est le principal au sein de la KFOR, la force sous
commandement OTAN déployée au Kosovo, et, surtout, le représentant
européen au sein de la troïka chargée de la reprise des pourparlers
serbo-albanais n’est autre que le diplomate allemand Wolfgang Ischinger.

Le tabou de la partition

Or, en 2007, l’Allemagne ne semble plus vouloir jouer le rôle de
boutefeu des Balkans, observant une position plutôt réservée dans les
déchirements euro-atlantiques et intra-européens. Certains attribuent
cette prudence à une autre caractéristique de la politique allemande
de ces dernières décennies, la nécessité de ménager un voisin russe
qui n’est plus disposé à être le laissé-pour-compte des arrangements
entre grandes puissances dans les Balkans. Aussi, tout en maintenant
d’étroits liens avec les Etats-Unis, Berlin ne peut ignorer sa
dépendance envers les approvisionnements énergétiques russes et doit
donc manifester un minimum de compréhension envers la position serbe.
Ischinger a provoqué une mini-tempête en déclarant, en août, qu’une
partition du Kosovo – le nord (majoritairement serbe) demeurant en
Serbie, le reste devenant indépendant – n’était pas exclue par la
troïka. Ecartée d’emblée avant le début des négociations2, cette
option a été à nouveau rejetée avec véhémence par Washington et le «
gouvernement intérimaire » de Pristina. Par contre, la diplomatie
russe emboîtait le pas à la proposition d’Ischinger, alors que
Belgrade répétait son opposition à toute amputation de la Serbie, que
ce soit de l’ensemble ou d’une partie de sa province du Kosovo.

Il n’empêche que la partition du territoire, bien qu’elle
entraînerait le sacrifice des enclaves serbes (et de nombre de chefs
d’œuvre de l’architecture religieuse byzantine qu’elles recèlent)
dans la partie majoritairement albanaise, pourrait être, dans la
situation actuelle, la seule possibilité de compromis entre Belgrade
et Pristina. Une telle voie entraînerait bien des marchandages et des
revendications. Ainsi, les Albanais kosovars exigeraient, en
compensation, le rattachement de la vallée de Presevo, une région de
Serbie centrale adjacente au Kosovo et majoritairement albanaise. En
Macédoine, alors que les réformes des dernières années ont
considérablement accru la décentralisation et les droits des Albanais
(un tiers de la population, concentrée dans le nord-ouest), certains
n’hésiteraient pas à demander un scénario similaire à celui du
Kosovo, soit la création d’un troisième Etat albanais dans les
Balkans. Ce qui rendrait beaucoup plus crédible le projet de « Grande
Albanie », voire d’autres recompositions sur base ethnique dans la
région ou au-delà.

Cependant, le scénario d’une partition du Kosovo, pour improbable
qu’il soit, serait moins risqué pour la stabilité de l’Europe et du
monde que celui de l’indépendance. Pour une simple raison : une
solution acceptée par les Etats et les peuples directement concernés
est plus durable qu’une solution imposée par les grandes puissances,
même avec l’assentiment de l’ONU. Et ensuite parce que, si le
principe d’une solution convenant aux deux parties était retenu, cela
devrait freiner les ardeurs sécessionnistes de bon nombre de
candidats à l’indépendance et favoriser la recherche de compromis.

Empêtrés, divisés et saisis de doutes, les leaders occidentaux sont
en train de payer leurs erreurs au Kosovo. D’une part, ils ont laissé
le territoire devenir un haut lieu du crime organisé et du nettoyage
ethnique, un contre-exemple parfait de la « bonne gouvernance » et
des « droits de l’homme » qu’ils prêchent aux quatre coins du globe.
D’autre part, ils ont largement sous-estimé à la fois l’opiniâtreté
russe, aiguillonnée par le bouclier antimissile des Etats-Unis et
l’élargissement continu de l’OTAN, et l’attachement des Serbes au
Kosovo, berceau de leur histoire. Les promesses d’adhésion, «
carottes » offertes par l’UE et l’OTAN, contre le Kosovo, n’ont pas
eu les effets escomptés. Huit ans après les bombardements,
l’organisation atlantique est plus impopulaire que jamais à Belgrade.
Quant à l’adhésion à l’UE, même le très pro-occidental président
Tadic a assuré qu’elle ne servirait pas de lot de consolation pour la
perte du Kosovo. Décidément, les mirages de la mondialisation ont
perdu beaucoup de leurs vertus anesthésiantes…


Georges Berghezan

1 La nouvelle série de négociations devait commencer le 28 septembre
à New York, dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU
2 Les 3 « ni » d’Ahtisaari : ni retour à la situation d’avant 1999,
ni rattachement (à un autre pays), ni partition

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L’opposition à l’OTAN grandit à Belgrade

Comme dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, le
sentiment prévalait en Serbie que l’adhésion à l’OTAN représentait
une étape de l’« intégration euro-atlantique », un préalable d’une
adhésion à l’UE, donc un pas vers la relative prospérité dont jouit
l’ouest du continent. Evidemment, la Serbie a la particularité
d’avoir subi, pendant près de dix ans, de sévères sanctions
économiques de la part de l’Occident et d’avoir été bombardée pendant
78 jours par l’aviation de l’OTAN. Ces souvenirs sont encore vivaces
dans la population.

Néanmoins, depuis le renversement de Milosevic en 2000, les divers
gouvernements successifs ont tous ardemment défendu l’adhésion à
l’OTAN et à l’UE auprès de leur population. Dans ce but, ils ont cédé
à la plupart des exigences de l’Occident, privatisant de larges pans
de leur économie et livrant au Tribunal de La Haye la plupart des
inculpés pour crimes de guerre réfugiés en Serbie. En récompense, le
pays a accédé fin 2006 au Partenariat pour la Paix, programme de
coopération militaire considéré comme une antichambre de l’OTAN. Avec
une profonde restructuration de son armée en cours et le
développement d’une coopération étroite avec les Etats-Unis (en
particulier avec la Garde nationale d’Ohio), la Serbie semblait bien
placée pour une adhésion accélérée à l’OTAN. Seul caillou dans la
chaussure, le cas du général Mladic, toujours en liberté, peut-être
en Serbie.

Notons qu’un processus similaire est en cours dans les relations avec
l’UE. Après une année d’interruption pour cause de mauvaise
coopération avec le Tribunal de La Haye, Bruxelles et Belgrade ont
repris leurs pourparlers et sont sur le point de conclure un Accord
de stabilisation et d’association, préalable à une candidature
officielle à l’Union. Entre-temps, Carla Del Ponte, procureure du
Tribunal de La Haye, avait remis des rapports – enfin positifs – sur
la coopération serbe avec son institution. Il est clair que tout cela
visait d’abord à amadouer Belgrade et à l’amener à adoucir son refus
de concéder l’indépendance au Kosovo. En vain, car la position serbe
ne s’est pas infléchie et semble même plus ferme que jamais.

En outre, l’objectif de l’adhésion à l’OTAN ne fait plus l’unanimité
dans la coalition gouvernementale. A partir du mois d’août, les
ministres du Parti démocratique serbe (DSS), puis le Premier ministre
Kostunica, ont fortement critiqué le soutien de l’OTAN au plan
Ahtisaari et, en particulier, l’annexe 11 du plan prévoyant
privilèges et immunité aux troupes de l’OTAN. Certains ministres y
ont vu la volonté de créer, autour de la méga-base de Camp Bondsteel,
un « Etat-OTAN », un « Etat fantoche militarisé ». Les bombardements
« illégaux » et « impitoyables » de 1999 ont été rappelés et,
finalement, le DSS décidait le 15 septembre de s’opposer à l’adhésion
du pays à l’OTAN et se contenter du Partenariat pour la Paix. Dix
jours plus tôt, le gouvernement avait retiré l’adhésion à
l’organisation euro-atlantique de la liste de ses objectifs dans le
cadre de ce programme. Un geste qui n’a pas la portée de celui de De
Gaulle en 1966, mais qui n’en demeure pas moins une première parmi
les Etats candidats.

Les deux autres partis gouvernementaux, nettement plus pro-
occidentaux, ont dénoncé la « rhétorique anti-OTAN » du DSS et
certaines rumeurs évoquent une coalition de rechange entre ce dernier
et la principale force de l’opposition, le Parti radical (SRS), dont
le chef croupit à La Haye, accusé d’avoir organisé des milices
pendant les guerres de Croatie et de Bosnie.

Si les motivations politiciennes sont loin d’être absentes et si
l’annexe 11 apparaît comme un prétexte (le DSS a commencé à protester
près de cinq mois après la publication du rapport d’Ahtisaari qui,
concernant la force de l’OTAN, ne faisait que confirmer les
conditions en vigueur depuis le début de l’occupation),
l’impopularité de l’OTAN est plus perceptible que jamais en Serbie.
Pour expliquer le choix de son parti, Kostunica a souligné
l’importance de la neutralité militaire et assuré que son pays ne
participerait jamais aux aventures de l’OTAN en Irak et Afghanistan.
Mais, avant tout, c’est le rôle néfaste joué par cette organisation
au Kosovo qui a été rappelé. Après tant d’humiliations, une telle
réaction peut apparaître bien naturelle. Mais elle laisse aussi
présager que la « bataille du Kosovo » est loin d’être terminée et
qu’elle marquera, quoi qu’il advienne, de profondes empreintes sur
l’avenir de l’Europe.


Georges Berghezan