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Croatie : guerre des nerfs entre Moscou et Washington

Par Enis Zebić 

Radio Slobodna Evropa, 2 novembre 2014
Traduit par Andrea de Noni

Un émissaire américain a effectué une visite à Zagreb pour s’assurer que l’entreprise pétrolifère croate INA ne tomberait pas dans l’escarcelle de Moscou. Un geste « arrogant » selon les Russes, déjà irrités par la vente d’hélicoptères américains à la Croatie pour remplacer le matériel russe vieillissant.


La Croatie est-elle en train de devenir un champ de bataille entre les Etats-Unis et la Russie, comme l’affirme le quotidien de Zagreb Jutarnji List ? Cette inquiétude est née de la réaction russe à la visite en Croatie de Christopher Murphy, président du sous-comité pour l’Europe du Comité pour les Affaires étrangères du Sénat américain.

Murphy a rencontré les autorités croates pour discuter de l’actuel conflit entre la holding hongroise MOL et le gouvernement de Zagreb à propos de l’entreprise pétrolière INA, mais aussi du possible achat par la Croatie d’hélicoptères militaires « Blackhawk », de fabrication américaine.

Les Etats-Unis se sont portés volontaires pour résoudre le conflit qui oppose les deux principaux propriétaires de la compagnie INA - le gouvernement croate et la compagnie hongroise pétrolifère MOL. MOL a annoncé, il y a quelques mois, la possible vente de sa participation dans INA à la compagnie russe Rosneft. Les Etats-Unis craignent qu’à travers l’achat d’INA, les Russes ne parviennent à fortifier leur présence en Europe centrale et méridionale.

Vente d’hélicoptères

Zagreb n’a pas évoqué jusqu’à présent une vente de ses actions d’INA, mais le gouvernement, en pleine vague de privatisations, est toujours à la recherche d’argent pour améliorer ses comptes publics. Les Américains sont donc venus en Croatie pour obtenir l’assurance que le gouvernement n’entend pas céder le contrôle d’INA. Murphy a suggéré que « l’UE ou les Etats-Unis pourraient aussi trouver un moyen d’aider financièrement les autorités croates », même s’il s’agit « d’une somme considérable ».

La deuxième raison de la rencontre de Christopher Murphy avec le Président croate, le Premier ministre et le ministre de la Défense concerne la vente d’hélicoptères militaires « Blackhawk », que la Croatie pourrait acheter pour remplacer les actuels hélicoptères russes « MI-8 ». Selon Jutarnji list, le ministère de la Défense avait commencé à négocier il y a quelques mois avec Washington et que « selon le ministre, la Croatie, en tant que membre de l’OTAN, ne peut plus faire confiance à la technologie russe ». Le gouvernement serait décidé à conclure l’affaire, qui concerne entre 12 et 14 appareils, en dépit de l’opposition de Moscou.

Les Russes ont réagi violemment à la visite de Christopher Murphy à Zagreb. Selon le ministère des Affaires étrangères de Moscou, « après avoir adopté des sanctions contre la Russie, Washington exerce à présent une pression croissante sur les pays de l’Europe du sud-est, et notamment sur la Croatie, afin de limiter notre coopération militaire et énergétique avec les pays de la région. Nous considérons cette pression comme étant un acte d’arrogance ».

Sanctions supplémentaires

Le représentant américain a réagi d’une façon plus souple. « Les autorités croates m’ont assuré qu’elles ne sont pas intéressées à vendre leur propriété d’INA à Gazprom, et il n’y a, à ma connaissance, aucune offre russe à ce propos ». En ce qui concerne les hélicoptères, Murphy a noté que « la Croatie est un allié des Etats-Unis, mais qu’elle dépend toujours de l’équipement militaire de Moscou, notamment pour les hélicoptères. Le gouvernement croate veut changer cette situation, mais pour cela ils ont besoin de notre aide ».

Le gouvernement croate n’a fait aucune déclaration officielle, mais pour Bože Kovačević, ancien ambassadeur à Moscou, la réaction des autorités russes est motivée par « l’aggravation générale des relations entre la Russie et les Etats-Unis. En dépit de la valeur effective du différend, dans le contexte actuel la Russie répondra de façon hostile à toute initiative des Etats-Unis, même pour celles qui, auparavant, n’auraient eu aucun intérêt pour Moscou ».

Selon Kovačević, il existe la possibilité que Moscou réponde à ce rapprochement entre Zagreb et Washington avec des sanctions ultérieures qui pénaliseraient les entreprises croates. « Moscou peut utiliser l’arme des sanctions pour déstabiliser la région. Par exemple, Poutine pourrait décider de bannir l’importation de produits d’entreprises serbes appartenant à des citoyens croates ». Pour l’ancien ambassadeur, le dernier conflit entre les deux puissances serait le contrôle du marché européen du gaz, les Américains tentant de réduire l’influence de la Russie pour se substituer en tant que principal fournisseur.

Pressions sur Viktor Orban

Selon des sources russes évoquées par l’agence de presse Reuters, « les Etats-Unis auraient exercé des pressions diplomatiques pour convaincre la Hongrie de ne pas céder la participation de MOL aux Russes. Une source de Gazprom assure que les Russes auraient eu des contacts avec les croates en mars, mais que les négociations n’auraient pas abouti. MOL assure que la vente de ses actions d’INA est toujours une option valable, mais refusent de divulguer le nom des acheteurs potentiels. Pour empêcher la vente des actions de MOL, le département d’Etat américain aurait exercé des pressions énormes sur le Premier ministre hongrois Viktor Orban ».

S’il faut en croire les déclarations officielles des représentants russes et croates en mars dernier, les négociations entre les deux parties concernaient surtout la possibilité que la Russie investisse dans l’exploration et l’exploitation de possibles gisements de pétrole et de gaz en Croatie. L’INA n’aurait pas été mentionnée.

Mais le conflit entre Moscou et Washington en Croatie n’est pas seulement énergétique, il est aussi militaire. La coopération militaire entre les Etats-Unis et la Croatie est significative - les Etats-Unis rappellent souvent que la Croatie est un allié américain et un partenaire de l’OTAN. Il y a moins de deux mois, le général Martin Dempsey, chef d’Etat-major des armées des Etats-Unis, s’est rendu en visite officielle à Zagreb. Les Etats-Unis ont aussi fourni 212 véhicules blindés MRAP.