L'autore del testo che segue e' un fisico belga, co-autore con Alain
Sokal dell'interessante saggio "Imposture intellettuali" (Garzanti
1999). E' uno degli intellettuali che lanciarono l'Appello di
Bruxelles nel vano tentativo di fermare l'aggressione contro la
Jugoslavia.
Jean, come molti altri commentatori, vede nella Risoluzione ONU 1441
la "replica" di Rambouillet, e cita l'esempio di Rade Markovic, alto
funzionario del Ministero degli Interni della Serbia, che è stato
convocato dal TPI dell'Aia come testimone dell'accusa contro
Milosevic, ma che al momento di testimoniare si è rivelato teste a
difesa dichiarando di essere stato torturato e che gli erano state
promesse delle ricompense se avesse accettato di dire il falso sotto
giuramento. (a cura di Olga ed Andrea)


----- Original Message -----
From: Comité contre la guerre en Irak

Chers amis,
Nous vous faisons parvenir une réaction à propos de la résolution 1441
de Jean Bricmont, membre de la présidence d'honneur de notre comité.
Bien cordialement.

Un nouveau Rambouillet ?

par Jean Bricmont

Lors des négociations de Rambouillet qui avaient permis en 1999 de
légitimer - à cause de « l'intransigeance serbe » -- les bombardements
sur la Yougoslavie, on avait exigé du gouvernement yougoslave qu'il
accepte de signer un document où il était spécifié (Annexe B, section
8) que « le personnel de l'OTAN bénéficiera, ainsi que leurs
véhicules, bateaux, avions et équipements, du droit de libre passage,
sans restriction aucune, à travers tout le territoire de la république
fédérale yougoslave, y compris l'espace aérien et les eaux
territoriales associés. Cela inclura, mais ne sera pas limité, au
droit de bivouac, de manoeuvre, de logement et de l'utilisation de
tout endroit ou installation requis à des fins d'appui, d'entraînement
et d'opérations. » Notons qu'il s'agissait bien là de tout le
territoire yougoslave, pas seulement du Kosovo. L'OTAN pourrait
utiliser gratuitement les aéroports, les routes, les chemins de fer,
les ports et les télécommunications (sections 11 et 15). Son personnel
serait protégé contre toute poursuite ou enquête faite par les
autorités yougoslaves (sections 6 et 7).

La résolution 1441 adoptée à l'unanimité par le conseil de sécurité
impose des exigences tout aussi inacceptables à l'Irak. D'une part,
les Irakiens doivent faire état, dans un délai de trente jours, de
tous leurs programmes nucléaires, biologiques et chimiques, y compris
ceux dont ils estiment qu'ils n'ont pas d'usage militaire (article 3).
On se demande comment n'importe quel pays un peu industrialisé,
possédant une industrie chimique par exemple, pourrait satisfaire une
telle exigence.
Néanmoins, toute fausse déclaration sera considérée comme une
violation de la résolution (article 4). Par ailleurs, les inspecteurs
pourront interdire aux Irakiens de circuler dans n'importe quelle
partie de leur territoire (article 7). Un nombre « suffisant » mais
non spécifié de troupes de l'ONU pourra assurer la sécurité des
inspecteurs. Finalement, ceux-ci pourront emmener, avec leur famille,
pour interrogatoire hors d'Irak, n'importe quel citoyen irakien
(article 5). C'est-à-dire qu'il peuvent en principe demander même à
Saddam Hussein de les suivre aux Etats-Unis. Pour couronner le tout,
le conseil réaffirme son engagement en faveur de la souveraineté et de
l'intégrité territoriale de l'Irak.

Pour apprécier à sa juste valeur cette «dernière chance pour la paix»,
il est utile de penser au témoignage de Scott Ritter, républicain
américain et ancien inspecteur de l'ONU en Irak qui, outre qu'il
parcourt le monde en déclarant qu'en 1998 l'Irak était désarmé, a
affirmé au Sénat français, le 10 avril 2002, que « quand Richard
Butler a autorisé l'emploi de ces techniques sensibles utilisées par
mon équipe pour trouver des armes, pour enquêter sur la sécurité de
Saddam Hussein à la demande des Etats-Unis d'Amérique, afin de
favoriser la politique unilatérale américaine de renversement du
régime, alors cela est devenu de l'espionnage. C'est la raison pour
laquelle je suis parti : je ne voulais pas participer à cela. » On se
rappellera aussi que devant le tribunal de La Haye, Rade Markovic,
ancien chef de la sécurité de Serbie, présenté comme témoin de
l'accusation au procès Milosevic, a déclaré, le 26 juillet 2002, avoir
été torturé et s'être vu offert une vie de luxe à l'étranger (avec sa
famille) s'il acceptait de faire un faux témoignage. Ainsi va la
justice des puissants.

Dans le monde arabe, on fait contre mauvaise fortune bon coeur. La
Syrie tente de justifier son vote en assurant qu'il permet d'éviter la
guerre, alors que le New York Times (du 9 novembre) écrit que la
campagne de bombardements durera moins d'un mois et que les Etats-Unis
craignent que les Irakiens, soit par des commandos-suicide, soit en se
battant dans les quartiers des villes, ne souillent la victoire
américaine avec du sang, dans l'intention d'augmenter les sentiments
anti-américains dans la région. Quels barbares ! Il est d'ailleurs
erroné de dire que la guerre va commencer - elle n' a fait que se
perpétuer depuis 1991, avec des dizaines de milliers de vols
anglo-américains sur l'Irak et des centaines de milliers de morts dus
à un embargo d'une cruauté unique dans l'histoire.
La résolution 1441, c'est le Munich du Tiers Monde - donner carte
blanche à l'impérialisme le plus agressif du moment, comme l'avaient
fait les dirigeants anglais et français en 1938. Un grand progrès a
été réalisé depuis la guerre en Yougoslavie : celle-ci n'avait aucune
base juridique, alors que celle contre l'Irak sera entièrement légale.
La France a rendu un fier service aux Etats-Unis, même si ceux-ci
rechignent à l'admettre : il y a mieux pour les puissants que de
violer le droit - c'est d'avoir un ordre légal à leur botte.

Sous peu, il ne restera plus aux soldats irakiens qu'à livrer un
baroud d'honneur et à leurs dirigeants à choisir entre le tombeau et
la prison.
Ils résisteront peut-être héroïquement, mais comment combattre sous un
déluge de bombes, face à un adversaire qui possède l'arme nucléaire et
qui se déclare prêt à s'en servir si la résistance est trop forte ?
Les survivants devront revivre pour une période indéterminée ce qui a
été le sort de l'immense majorité de l'humanité pendant des décennies
si pas des siècles : le joug colonial. Ce ne sera pas nouveau pour
eux: après la fin de l'empire turc, Lord Curzon, qui dirigeait les
affaires étrangères britanniques, avait proposé que le Moyen Orient
soit gouverné par une « façade arabe dirigée par les britanniques »,
sans administration directe, mais dissimulée par des « fictions
constitutionnelles » telles que qu'un « protectorat, une zone
d'influence, un état tampon etc. ».On pillera leurs ressources - ce
sera la reconstruction de l'Irak. On dilapidera leur pétrole dans nos
maisons surchauffées, nos bouchons et nos usines ; au passage, on
détruira peut-être le climat de la planète. On éliminera de leur
personnel politique tous ceux qui risquent de défendre un tant soit
peu la souveraineté du pays - ce sera la démocratisation de l'Irak.
Beaucoup d'ONG et de défenseurs des droits de l'homme se réjouiront de
la disparition d'un tyran (sans avoir le courage d'en remercier G. W.
Bush). De mauvais esprits se rappelleront que, s'il y a beaucoup de
tyrans dans le monde, seul Saddam Hussein a osé dire, après le 11
septembre : « ceux qui pensent que la vie de leur peuple est précieuse
doivent se rappeler que la vie des autres peuples du monde est
précieuse aussi ». Les nouveaux maîtres de l'Irak remercieront les
Etats-Unis de les avoir libérés. Lorsque les Irakiens seront
suffisamment découragés, on organisera des élections libres. On
élaborera de nouveaux plans de paix en Palestine.

Pendant ce temps, les intellectuels occidentaux remettent avec
empressement leur copie sur le sujet du moment : la critique du
fanatisme religieux et de l'intolérance. On réédite Voltaire. On met
en garde contre l'antiaméricanisme, cette maladie qui est censée
affliger tout particulièrement le pays d'Europe où les manifestations
contre la guerre sont les plus faibles, à savoir la France. Rares sont
ceux qui se demandent si le véritable fanatisme n'est pas cette soif
infinie de puissance et de profit qui domine l'Occident, ni si la
colère que tant d'injustice et de cynisme provoque dans le monde arabe
et musulman n'est pas légitime. A moins qu'un vaste mouvement
international ne renverse le cours des choses, on s'apercevra
peut-être un jour que le 11 septembre n'était qu'un début.


Jean Bricmont