LETTRE OUVERTE A DEUX INTELLECTUELS


L'article d'Élie Wiesel, prix Nobel de la Paix, ainsi
que la lettre du professeur Georges Leroux publiés dans
le Devoir du 25 mars suggerent plusieurs remarques.

Monsieur Wiesel déclare, a propos de la guerre contre
l'Irak, qu'en toute autre circonstance il aurait sans
doute rejoint les marcheurs de la paix. Quand on sait
que le Prix Nobel ne s'était point joint aux marcheurs
de la paix ni lors de la premiere guerre dans
le Golfe, ni dans celle qui avait déchiré la Yougoslavie,
ni dans celle d'Afghanistan, on peut se demander quel
doit etre cette autre circonstance? Curieusement, dans
toutes ces guerres, les positions d'Élie Wiesel et du
gouvernement des États-Unis coincidaient.

Aujourd'hui, Élie Wiesel affirme, encore une fois en
phase avec l'administration américaine, que Saddam Hussein
est un tyran impitoyable d'un État voyou, mais en omettant de
rappeler que les États-Unis l'avait soutenu tant qu'il
faisait la guerre contre l'Iran.
Quant au spectre des conséquences terrifiantes qu'Élie
Wiesel agite, si nous refusons d'intervenir, nous sommes
en droit de douter qu'un pays exsangue, soumis depuis une
décennie aux sanctions économiques, aux bombardements, quasi
quotidiens, et au contrôle de son armement par les Nations
Unis, puisse disposer d'armes de destruction massive.
D'ailleurs, deux semaines apres le commencement des hostilités
les troupes anglo-américaines n'en n'ont trouvé la moindre trace.

D'apres Élie Wiesel, seule une intervention militaire
avait pu mettre fin au bain du sang dans les Balkans.
Mais ne serait-il pas nécessaire de préciser que ce sont
d'abord les visées géostratégiques de l'Allemagne et des
États-Unis qui avaient provoqué le conflit dans cette
région du monde. Si on en doutait, il suffirait de relire
les journaux européens de décembre 1991 pour se rappeler que
dans la nuit du 17 au 18 décembre 1991 le ministre
allemand des affaires étrangeres Gerhard Genscher avait
arraché a Rolland Dumas, ministre des affaires étrangeres de
la France, la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie
par les pays européens, ce qui a mis le feu aux poudres.
L'armement de la Croatie par l'Allemagne réunifiée et des
musulmans par des avions cargo américains atterrissant la
nuits a l'aéroport de Tuzla, en dépit de l'embargo sur les
armes proclamé par les Nations Unies, sont des secrets de
polichinelle. Par la décomposition de la Yougoslavie
l'Allemagne avait réalisé son vieux reve de faire disparaître
le dernier vestige du traité de Versailles.

Pour ce qui est de la guerre en Bosnie tout se passait
comme si dans les esprits des dirigeants occidentaux ce
conflit avait offert une occasion unique de faire un deal
avec le monde islamique: concluons la paix en Israël et
en contre partie vous aurez un État musulman en Bosnie.
Dans la politique tous les accords se font sur la base
du donnant donnant, Hélene Carrere d'Encausse dixit.

Élie Wiesel croit a Colin Powell quand il dit que
Hussein dispose d'armes prohibées, car «un homme d'un
tel calibre ne risquerait pas sans raison son nom, sa
carriere, son prestige, son passé, son honneur». On ne
peut qu'admirer la crédibilité d'Élie Wiesel quand on
sait avec quelle scepticisme ont été accueillies les
preuves de Colin Powell par tous les membres du Conseil
de Sécurité a l'exception de la Grande Bretagne. Wiesel
précise aussi que Colin Powell n'aime pas la guerre, mais
on se demande alors pourquoi le secrétaire d'État continue
de faire partie de ce gouvernement qui avait décidé
d'intervenir en Irak?

En conclusion Élie Wiesel insiste sur l'existence d'un
arsenal non conventionnel de l'Irak pour justifier la
guerre, qu'il appelle par pudeur intervention. Or, apres
deux semaines de guerre, les troupes d'Alliance n'ont rien
trouvé de cet arsenal non conventionnel.

La lettre du professeur Leroux est intéressante, car
elle est le paradigme du désarroi éprouvé par un grand nombre
d'intellectuels occidentaux, qui découvrent, tardivement,
les méfaits d'une intervention militaire sans aval des
Nations Unis.

Professeur Leroux se souvient des engagements courageux
d'Élie Wiesel dans des guerres cruelles de Bosnie et de
Kosovo. On se demande de quel courage avait besoin le
prix Nobel de la paix pour exprimer les opinions conformes a
la ligne politique de la majorité des gouvernements
occidentaux et de l'opinion publique fortement travaillée
par les médiats. Un général américain n'a-t-il pas
déclaré ouvertement, dans un interview a l'hebdomadaire
Nouvel Observateur apres la guerre de Kosovo, l'opinion
publique ça se travaille?

Professeur Leroux reconnaît avoir été partisan de
l'interventions en ex-Yougoslavie sans préciser les
raisons. Ces interventions avaient été justifiées par
des prétendus massacres commis par les Serbes, or nous
disposons aujourd'hui des témoignages irrévocables
prouvant qu'au moins deux de ces massacres étaient
organisés par les musulmans d'Alia Izetbegovitch,
auteur de la fameuse Déclaration islamique qui prône
ouvertement l'incompatibilité d'un État laique avec la
charia.

Le premier de ces massacres se produisit le 27 mai 1992
devant une boulangerie de la rue Vasa Miskin a Sarajevo
et fit dix-sept morts et cent cinquante blessés. Il eut pour
conséquence des sanctions contre la Yougoslavie qui durerent,
avec une courte interruption, presque huit ans. Le général
canadien Lewis MacKenzie, le premier commandant des troupes
des Nations Unies a Sarajevo et de ce fait témoin privilégié,
écrit a ce propos dans son livre The road to Sarajevo :

« La présidence bosniaque dénonce un bombardement
serbe. Les Serbes parlent d'une charge explosive préparée a
l'avance. Nos soldats (les Canadiens) disent qu'il y a un certain
nombre de détails qui ne collent pas. La rue a été bloquée
juste avant l'incident. Une fois la file d'attente formée,
les médiats bosniaques ont fait leur apparition, mais sont
restés a distance avant de se ruer sur les lieux sitôt l'attaque
terminée ».

On pourrait ajouter également que la deuxieme intervention
militaire contre les Serbes de Bosnie s'était produite
suite a un massacre commis prétendument par les Serbes.
D'apres Le Nouvel Observateur du 31 aout 1995, Édouard
Balladur, premier ministre français a l'époque, et les
généraux français savaient tres bien que le massacre de
Markalé n'était pas l'ouvre des Serbes. Tous les membres
de l'Otan le savaient donc aussi, ce qui ne les a pas
empeché de bombarder les Serbes pour faire sortire l'Otan
de ses atermoiements. Donc les Serbes ont été bombardés pour
raison de commodité. Il est intéressant de remarquer que
Édouard Balladur n'a jamais démentit ses propos, mais on
doit lui rendre hommage, car il fut un des rares qui a eu
le courage de reconnaître ouvertement:

Nul ne le conteste: pour gouverner, il arrive qu'il
faille recourir a des procédés qui ont peu a voir avec
la morale courante (Les mots de politiques, Éditions Ramsay)

Le bombardement de la Yougoslavie en 1999 par les forces de
l'Otan a été justifié par le prétendu massacre de Ratchak.
Or, la commission des médecins légiste finlandais du docteur
Ranta n'a jamais confirmé qu'il s'agissait d'un massacre.
Tous ces faits et bien d'autres furent connus a l'époque
et on s'étonne que le professeur Leroux ait pu soutenir en
ce temps une intervention armée contre les Serbes, sans
avale des Nations Unies. Qu'il plaide maintenant pour la
raison et condamne une action unilatérale des États
Unis en Irak sans consentement des Nations Unies ne peut que
nous rendre perplexe. Pourquoi aujourd'hui et pas hier?
Pourquoi deux poids deux mesures? Remarquons que la
contradiction dans laquelle s'est enfermé professeur
Leroux est aussi celle de nombreux intellectuels français.


Négovan Rajic
negovan.rajic@...