Intellettuali di servizio: Bernard Henri LEVY

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Per le puntate precedenti su Monsieur Levy si veda:
http://it.groups.yahoo.com/group/crj-mailinglist/message/1434
http://it.groups.yahoo.com/group/crj-mailinglist/message/1500
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-------- Original Message --------
Subject: « Romanquete » ou mauvaise enquete ?
Date: Thu, 11 Dec 2003 13:45:03 +0100 (CET)
From: Le Monde diplomatique <info-diplo@...>
To: Le Monde diplomatique <info-diplo@...>


« QUI A TUÉ DANIEL PEARL ? »

« Romanquête » ou mauvaise enquête ?

(11 décembre 2003)

http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/bhl/

Peu après la guerre du Kosovo, Daniel Pearl enquêta au
Kosovo avec son camarade Robert Block. Leur enquête fut
publiée à la « une » du Wall Street Journal le 31
décembre 1999. Contredisant le parti pris éditorial des
responsables du quotidien américain, très favorable à la
guerre de l'OTAN et assuré de l'existence d'un génocide,
cette enquête établissait que si les forces yougoslaves
avaient bien « expulsé des centaines de milliers de
Kosovars albanais, brûlant des maisons et se livrant à
des exécutions sommaires, d'autres allégations - meurtres
de masse indiscriminés, camps de viols, mutilation des
morts - n'ont pas été confirmées. (...) Des militants
kosovars albanais, des organisations humanitaires, l'OTAN
et les médias se sont alimentés les uns les autres pour
donner une crédibilité aux rumeurs de génocide. » En
parlant avec insistance de « wagons plombés » opérant
« dans le brouillard », Bernard-Henri Lévy fut l'un des
plus grands propagateurs en France de ces « rumeurs de
génocide ». Une telle erreur est peut-être excusable.
Mais elle ne faisait pas forcément de lui le meilleur
biographe de Daniel Pearl, journaliste exemplaire
atrocement assassiné.

Le système BHL opère depuis plus de vingt-cinq ans.
Presque rien ne lui échappe. Ni dans le domaine du
politique (où les amitiés du philosophe vont de Nicolas
Sarkozy à Dominique Strauss-Kahn). Ni dans celui de
l'économie (il a prononcé l'hommage funèbre du père
d'Arnaud Lagardère, François Pinault parle de lui comme
d'un fils). Ni dans celui des médias (ceux que possèdent
les industriels précités... et la plupart des autres). Ce
système constitue-t-il un des éléments de l'« exception
française », du « retard » qu'un pays trop provincial
aurait pris sur le grand large des idées, d'une certaine
frivolité parisienne ? Fournit-il plutôt la preuve du non
renouvellement des élites hexagonales et de la connivence
qui les lie, au risque d'aiguiser un soupçon de sclérose
intellectuelle ? Depuis un quart de siècle, en tout cas,
Bernard-Henri Lévy fait beaucoup de choses dont il est
presque impossible d'ignorer une seule. Sans doute
sont-elles trop nombreuses, sur des terrains trop divers,
pour être vraiment bien faites.

Philosophe (inconnu des philosophes), réalisateur de
films (de facture incertaine), dramaturge, essayiste,
romancier, reporter, envoyé spécial du président de la
République, homme de télévision et des magazines people,
ami des industriels, Grand Commentateur de Tout, en
particulier de chacune de ses interventions : c'est
assurément beaucoup pour une seule personne.
Bernard-Henri Lévy s'est donc engagé plus d'une fois au
service des causes les plus discutables. Et il s'est
beaucoup trompé. En mars 1985, une résistance attire son
attention, elle obtient son appui. Très mauvaise pioche :
il s'agit en effet de la « contra » du Nicaragua, un
groupe de combattants opérant à coup d'actions
terroristes contre le régime légal du pays, reconnu par
la communauté des Etats. Cette guérilla opère grâce à la
CIA et avec le concours de l'extrême droite locale. Quand
le Congrès des Etats-Unis décide de cesser de financer
cette « sale guerre », Bernard-Henri Lévy intervient avec
quelques autres pour supplier les parlementaires
américains de « reconduire l'aide à la résistance
nicaragayenne. Le Monde Libre attend votre réponse. Ses
ennemis aussi ». D'autres guérillas, que Ronald Reagan ne
soutenait pas, trouvèrent en Bernard-Henri Lévy un avocat
moins attentionné...

Quoi qu'il fasse, l'homme n'est jamais dépourvu d'appuis.
Il opère d'ailleurs à découvert. Il suffit de lire son
« bloc-notes » du Point pour comprendre qui sont ses
alliés et qui sont ses adversaires. Il loue les premiers,
fustige les autres. A charge de revanche. (Lire Dans
les cuisines du Bernard-Henri Lévisme et, dans Le Monde
diplomatique de décembre 2003, « Cela dure depuis
vingt-cing ans »). En 1997, son film Le Jour et la Nuit
réalise une forme d'exploit : un budget impressionnant,
Alain Delon et Karl Zéro au générique, la couverture de
plusieurs magazines (en particulier quand ils
appartiennent aux amis du philosophe et aux producteurs
du film, comme François Pinault et Jean-Luc Lagardère).
Pourtant, à l'arrivée le fiasco commercial est terrible
(70 000 entrées pour un film qui a coûté 53 millions de
francs...) Une aide de 3,5 millions de francs (530 000
euros) du Centre national de la cinématographie, sans
doute ému par les efforts d'un jeune réalisateur
désargenté et sans entregent, n'y fera rien : les
critiques vont saluer la performance artistique d'un
éclat de rire un peu humiliant. Bernard-Henri Lévy passe
à autre chose.

Le 15 février 2002, « à la demande conjointe du président
de la République et du premier ministre », M. Hubert
Védrine, ministre français des affaires étrangères,
confie à Bernard-Henri Lévy « la mission de se rendre en
Afghanistan et d'y étudier les modalités d'une
contribution française à la reconstruction de ce pays
meurtri ». L'enquête est rondement menée. Quelques
semaines après son départ à Kaboul, Bernard-Henri Lévy
revient, rapport bouclé. Il sera publié par La
Documentation française, qui dépend directement du
Premier ministre. Le recueil ne contient qu'une annexe :
le texte d'un discours de Bernard-Henri Lévy à Kaboul...
Quelques mois plus tard, l'intelligentsia afghane hérite
d'un mensuel lui permettant, enfin, de lire en deux
langues un éditorial de Bernard-Henri Lévy sur l'affaire
Papon.

Dès 1977, le philosophe Gilles Deleuze résumait ainsi
l'oeuvre des « nouveaux philosophes » et le formidable
« marketing littéraire » qui leur servait déjà de caisse
de résonance : « Je crois que leur pensée est nulle. Je
vois deux raisons possibles à cette nullité. D'abord ils
procèdent par gros concepts, aussi gros que des dents
creuses, LA loi, LE pouvoir, LE maître, LE monde, LA
rébellion, LA foi, etc. Ils peuvent faire ainsi des
mélanges grotesques, des dualismes sommaires, la loi et
le rebelle, le pouvoir et l'ange. Plus le contenu de
pensée est faible, plus le penseur prend d'importance,
plus le sujet d'énonciation se donne de l'importance par
rapport aux énoncés vides. » (A propos des nouveaux
philosophes et d'un problème plus général, éditions de
Minuit, 2003.) Les choses ont-elles changé vingt-cinq ans
plus tard ? Bernard-Henri Lévy a répondu à sa manière au
moment de la sortie de Qui a tué Daniel Pearl ? : « Je
suis le même, il me semble. Avec le même souci, la même
obsession et la même question inlassable, posée de livre
en livre, qui est la question du mal. Que ce soit dans
mes romans, dans mes essais politiques, ou que ce soit
dans ce livre enquête, je tourne autour de la même
hypothèse théorique : à savoir qu'un système, mais aussi
une société ou un monde se jugent en fonction de leur
part d'ombre et de leur envers davantage que parce qu'ils
montrent ou rendent visible. Je ne suis jamais sorti de
cela : ce qui est intéressant, c'est la part maudite des
sociétés humaines. La part du diable, en quelque
sorte. » (Livres Hebdo, 30 mai 2003.)

Il n'est pas établi qu'un tel fil conducteur, une telle
« hypothèse théorique », ait toujours servi le
journalisme ou l'histoire. Dès 1981, dans un commentaire
cinglant de L'idéologie française, essai de Bernard-Henri
Lévy sur la Collaboration, Raymond Aron notait dans
L'Express : « Un auteur qui emploie volontiers les
adjectifs infâme ou obscène pour qualifier les hommes et
les idées invite le critique à lui rendre la pareille. Je
résisterai autant que possible à la tentation, bien que
le livre de Bernard-Henri Lévy présente quelques-uns des
défauts qui m'horripilent : la boursouflure du style, la
prétention à trancher des mérites et des démérites des
vivants et des morts, l'ambition de rappeler à un peuple
amnésique la part engloutie de son passé, les citations
détachées de leur contexte et interprétées
arbitrairement. » A l'époque, on lisait les livres du
nouveau philosophe avant de se prosterner aux pieds de
leur auteur. Les défauts qui horripilaient Raymond Aron
n'ont pas disparu quand Bernard-Henri Lévy est passé de
l'essai à l'enquête. Qu'il s'agisse de l'Algérie (lire
Les généraux d'Alger préfèrent un reportage de BHL à
une enquête internationale), de l'Afghanistan (lire
BHL en Afghanistan ou Tintin au Congo ? ), de la
Colombie (lire La Colombie selon Bernard-Henri Lévy)
ou, à présent, du Pakistan, plusieurs enquêtes de
Bernard-Henri Lévy ont suscité une volée de bois vert
administrée par ceux qui connaissaient bien les sujets et
les pays en question.

Avec Qui a tué Daniel Pearl ?, il s'agissait d'un
« romanquête », autrement dit d'un mélange des genres
permettant à la fois de constater ce que le romancier
n'aurait pas su imaginer et d'imaginer ce que l'enquêteur
n'aurait pas pu constater. A charge pour le lecteur de
démêler l'un de l'autre. Autant dire que l'ambition était
immense. Dans ses nombreux entretiens, l'auteur a par
exemple répété que les services secrets pakistanais
pourraient avoir procuré les secrets de la bombe atomique
à Al-Qaida ? Une « hypothèse » en passant... Mais
n'est-elle trop sérieuse, trop peu « théorique » pour
être avancée, innocemment, sur des plateaux de
télévision comme si la commercialisation d'un livre était
dorénavant devenue raison suffisante pour lancer
n'importe quelle campagne d'affolement ? Toutefois, la
panique n'eût pas lieu, preuve peut-être que, pour le
public, vingt-cinq ans d'expérience de Bernard-Henri Lévy
n'ont pas été sans effet. Et puis, comment prendre tout à
fait au sérieux un auteur qui, en s'appuyant sur une
citation tronquée de Raymond Aron, qualifia un jour
Pierre Bourdieu de « sociologue ambitieux » d'« aide de
camp peu doué », de « soldat de plomb » à l'« âpreté
désolée » et au « ressentiment visible » ?

Tant qu'à citer Raymond Aron, Bernard-Henri Lévy,
aujourd'hui embarqué avec d'autres dans une chasse à la
« nouvelle judéophobie » trop souvent dépourvue de
discernement pour être convaincante ou même utile, aurait
gagné à rappeler ce que Raymond Aron lui opposa dès
1981 : « Nombre de Juifs, en France, se sentent à nouveau
guettés par l'antisémitisme et, comme des êtres
" choqués ", ils amplifient par leurs réactions le danger
plus ou moins illusoire qu'ils affrontent. Que leur dit
ce livre [L'Idéologie française, de Bernard-Henri Lévy,
ndlr], Que le péril est partout, que l'idéologie
française les condamne à un combat de chaque instant
contre un ennemi installé dans l'inconscient de millions
de leurs concitoyens. Des Français non juifs en
concluront que les juifs sont encore plus différents des
autres Français qu'ils ne l'imaginaient, puisqu'un auteur
acclamé par les organisations juives se révèle incapable
de comprendre tant d'expressions de la pensée française,
au point de les mettre au ban de la France. Il nous
annonce la vérité pour que la nation française connaisse
et surmonte son passé, il jette du sel sur toutes les
plaies mal cicatrisées. Par son hystérie, il va nourrir
l'hystérie d'une fraction de la communauté juive, déjà
portée aux actes du délire. » (L'Express, 7 février
1981.)

Au fond, une succession de reportages déficients ou
calamiteux, de propos à l'emporte-pièce, pose un problème
qui va très au-delà du seul Bernard-Henri Lévy,
épiphénomène exemplaire de ce que Pierre Bourdieu,
justement, appelait l' « intellectuel négatif ». C'est
celui du court-circuit entre les règles qui gouvernent la
vie intellectuelle, le monde des idées, et les techniques
qui régissent l'univers des stars, les lois de la
célébrité. En publiant une contre-enquête au
« romanquête », la New York Review of Books (lire Le
Monde diplomatique, décembre 2003) aura peut-être
contribué à imposer quelques exigences méconnues aux
éditeurs et aux journalistes français. Eux qui présentent
si souvent les Etats-Unis comme un modèle...

Mais dès lors qu'il est peu vraisemblable que, cette
fois, le modèle les inspire, l'affaire Bernard-Henri Lévy
risque de se reproduire très bientôt. Comment ne pas
remarquer déjà que l'article de la New York Review of
Books n'a eu aucun écho dans les médias. Des médias qui
pourtant, il y a six mois, encensaient presque unanimes
Qui a tué Daniel Pearl ?

Un article inédit de SERGE HALIMI.

http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/bhl/


« Le Monde diplomatique »

- La Colombie selon Bernard-Henri Lévy, par Maurice
Lemoine, juin 2001.
http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/ameriquelatine/tintin

« Bibliographie »

- BHL en Afghanistan ou Tintin au Congo ? , par Gilles
Dorronsoro, octobre 1998.
http://www.monde-diplomatique.fr/documents/bhl/afghanistan

- Les généraux d'Alger préfèrent un reportage de BHL à
une enquête internationale, par Nicolas Beau, janvier 1998
http://www.monde-diplomatique.fr/documents/bhl/algerie

- Dans les cuisines du Bernard-Henri Lévisme , par
Nicolas Beau, janvier 1994.
http://www.monde-diplomatique.fr/documents/bhl/cuisine/

- « A propos des nouveaux philosophes et d'un problème
plus général », Gilles Deleuze, Deux régimes de fous -
Textes et entretiens (1975-1995), Editions de Minuit,
Paris.

« Sur la Toile »

- Murder in Karachi, par William Dalrymple, New York
Review of Books, décembre 2003.
http://www.nybooks.com/articles/16823


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subsaharienne , par Philippe Rivière.
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