http://www.ptb.be/solidaire/article.phtml?lang=1&obid=2217
EXCLUSIF:
Interview de trois prisonniers serbes, victimes de la Kfor, à Mitrovica
(Kosovo)
«En prison depuis treize mois, je nai pas encore vu le juge
dinstruction!»
Kosovska Mitrovica (où
lOtan vient
de fermer une usine),
nord du
Kosovo, 26 juillet.
Nous sommes à
lhôpital situé dans la
partie serbe de
la ville, le seul resté
ouvert à tous:
Serbes, Albanais et
autres. Le
directeur nous propose
de visiter
aussi «le bâtiment des
prisonniers».
Intrigués, nous y
découvrons deux
Serbes dune
soixantaine dannées et
un de quarante ans,
gardés par la
Kfor (forces Otan
occupant le
Kosovo). Notre visite
va nous
révéler des souffrances
poignantes,
un arbitraire
insoupçonné et une
parodie de justice de
la part des
forces occupantes.
Bouleversés, nous
le serons encore
davantage en
apprenant, quelques
jours plus tard,
que ces trois
prisonniers ont
mystérieusement
disparu. Se
sont-ils évadés?
Ont-ils, comme
beaucoup le craignent là-bas, été livrés à lUCK albanaise? Un document
exceptionnel.
Michel Collon et Germain Mugemangango
Kosovoska Mitrovica est la seule ville du Kosovo doù les Serbes nont
pas été chassés par lactuel nettoyage ethnique.
Nous la visitons avec une délégation de jeunes Belges participant depuis
quelques jours au Camp International dAmitié à
Sirogojno (Yougoslavie).
Dans le couloir de lhôpital, plusieurs policiers pakistanais de lUnmik
(police de lOnu), armés comme des soldats.
Etonnamment, ils veulent contrôler le directeur de lhôpital qui nous
sert de guide. Ne le connaissent-ils pas? Non, car
leurs supérieurs les font relever toutes les quatre heures pour éviter
tout contact avec les Serbes. Présents depuis trois
mois, ils nont donc jamais vu le directeur. Et ils fuient nos
questions. Ambiance très lourde quand nous entrons dans la
chambre où les trois prisonniers sont allongés sur leur lit après une
grève de la faim...
Quand et pourquoi avez-vous été arrêté?
Dragan Jovanovic. Le 2 juillet 1999, il y a donc
plus dun an, des soldats
français mont arrêté sans aucune explication.
Jai été enlevé et emmené à la prison
de Lipljane, bien que la prison du district soit
située à Mitrovica même. Plus
tard, jai appris que cétait la volonté du juge
albanais, pour empêcher les
protestations dans la ville. En effet, les Serbes
allaient manifester sur les ponts
pour que je sois enfin remis en liberté, car on
mavait arrêté sans raison.
A Lipljane, jai été gardé quatre mois par les
soldats britanniques. Nous étions
une quarantaine de prisonniers serbes et la
majorité se trouve encore en prison. On
na pas eu de chance. Il ny avait pas
dinterprète serbe pour communiquer entre
lUnmik, la Kfor et les Serbes. Tout se passait
uniquement entre lUnmik, les
soldats de la Kfor et les Albanais.
Selon vous, quelle est la véritable raison de
votre arrestation?
Dragan Jovanovic. Jai été arrêté parce que je
défendais le pont. Les Albanais
veulent continuer ici ce quils ont fait dans tout le Kosovo. Dès le
début, ils ont tenté de rentrer dans la partie nord de
Mitrovica, peuplée en majorité de Serbes et qui a toujours été serbe.
Mais, avec quelques Serbes, nous nous sommes
rassemblés sur le pont - une limite naturelle - pour les empêcher de
passer.
Nous navons pas dit cela aux Albanais qui vivaient depuis toujours avec
nous. Seulement à ceux qui sont arrivés
récemment dAlbanie, de Macédoine. Cela sest passé spontanément, sans
aucune organisation, nous voulions simplement
défendre le pont.
Pourquoi ces Albanais veulent-ils venir dans la partie nord?
Dragan Jovanovic. Je ne sais pas exactement si cest la communauté
internationale, un autre pays ou des groupes
nationalistes qui veulent une Grande Albanie dans les Balkans. La partie
sud de notre ville était en majorité peuplée
dAlbanais, mais il y avait aussi des Serbes. A présent, il nen reste
plus du tout. Par contre, dans la partie nord, il reste
toujours beaucoup dAlbanais, et ce nest pas un problème pour nous.
Mais lUCK affirme que les Albanais étaient persécutés depuis longtemps
Dragan Jovanovic. Jusquil y a dix ans, 75% des policiers étaient
albanais. Ils avaient leurs magasins, leurs écoles.
Toutes les grandes institutions étaient à majorité albanaise. Pour la
présidence de la province, il y avait toujours neuf
Albanais, deux Serbes et un Monténégrin.
Avez-vous beaucoup damis albanais?
Dragan Jovanovic. Oui, beaucoup.
Donc, vous pensez quon vous a arrêté pour écarter un défenseur du pont?
Dragan Jovanovic. Oui. Une femme qui était de lautre côté du pont ma
montré du doigt: «Il a tué 26 personnes!» Cela
a suffi pour me maintenir treize mois en prison!
LUnmik a-t-elle
vérifié cette
accusation?
Dragan Jovanovic.
Malheureusement, depuis
le jour de
larrestation, je nai
eu aucune
conversation avec aucun
policier,
aucun juge. Seulement
avec mes
avocats et certains
représentants
dassociations
médicales
internationales. Parce
que nous
avons fait une grève de
la faim qui a
duré quarante jours.
Dragisa, ici à côté de
moi, peut
confirmer mon histoire.
Lui aussi est
en prison depuis treize
mois. Accusé
de génocide, il na
eu aucune
conversation ni avec
lUnmik, ni avec
un juge. Il ny a pas dacte daccusation. Il ne sait pas quand il sera
jugé. On le garde en prison sans aucune explication.
Dragisa Peca. Jai été kidnappé par des soldats de la Kfor. Un major
britannique était venu dire que ceux qui le désiraient
pouvaient aller visiter leur maison. Je suis parti visiter ma propriété
où jai dû tout abandonner.
Pourquoi?
Dragisa Peca. Pas à cause de mes voisins albanais,
mais à cause des terroristes de
lUCK. Pendant trois ou quatre jours durant
lesquels je métais absenté, le voisin
avait surveillé mon bétail. Il ma dit: «Si
demain, tu ne prends pas ton bétail,
quelquun le volera, je ne peux plus le garder.»
Jai donc demandé au major de
pouvoir laccompagner et je suis allé prendre le
bétail. Les voisins albanais sont
venus maider à charger le blé et le bétail.
Alors, la police de la Kfor est arrivée avec une
famille albanaise, prétendant que
javais commis un génocide sur le peuple albanais.
Jai interrogé mes voisins
albanais: «Vous savez très bien si jai commis un
génocide ou pas.» Et les voisins
ont dit que je nétais pas coupable. Mais
lofficier britannique leur a dit: «Shut up!»
Je ne savais pas ce que cela voulait dire. Cest
seulement dans la prison que jai appris
que cela voulait dire: «Ferme ta gueule!» Ils
mont amené à la prison de Lipljane.
Depuis le 23 juin 1999, personne ne ma dit
pourquoi jétais en prison, qui javais tué.
Ni la Kfor, ni la police de lUnmik, personne! Et
pourtant, je suis ici.
Au pire moment des bombardements, notre voisine albanaise devait
accoucher. Elle avait perdu ses eaux trois jours plus
tôt. Son frère ma dit: «Seuls toi et Dieu pouvez la sauver. Veux-tu
bien lamener à lhôpital?» Jai répondu: «Je veux
bien, mais à condition que tu viennes aussi.» Car elle aurait pu mourir,
tant elle était gonflée. Alors, nous lavons
emmenée à Pristina. Les bombes de lOtan tombaient de tous les côtés.
Nous avons attendu à lhôpital, où elle a accouché dun petit garçon.
Après cinq jours, jai ramené son frère. Puis, je suis
retourné à lhôpital, seul, et je lai ramenée chez elle. Aujourdhui,
ces mêmes personnes, ces mêmes voisins avec qui je
mentendais très bien, à qui jamenais de la nourriture et des
médicaments, nont pas le droit de dire la vérité. A cause de
lUCK.
Vous voulez dire que les Albanais sont terrorisés par lUCK?
Dragisa Peca. Oui, extrêmement terrorisés.
Selon vous, pourquoi la Kfor est-elle au Kosovo?
Dragisa Peca. Sils voulaient vraiment nous aider, et Kouchner en
premier lieu, ils auraient respecté la résolution 1244
de lOnu. (Confiant à la Kfor la protection de toutes les nationalités
et le maintien du Kosovo dans le cadre de la
Yougoslavie. En réalité, la Kfor a expulsé elle-même des milliers de
travailleurs serbes de leur lieu de travail, elle a
refusé de protéger les civils serbes contre les expulsions et les
violences, et de nombreuses décisions administratives de
Kouchner préparent une sécession de fait.)
Pensez-vous quil sera un jour possible pour les Serbes et les Albanais
de revivre ensemble, paisiblement?
Dragisa Peca. Peut-être, mais sans la Kfor et lUnmik.
Vous êtes également prisonnier ici. Que vous est-il arrivé?
Vlastimir Aleksic. Avec mon fils Srdjan,
nous vivions dans la partie
sud de Mitrovica. La majorité de nos
voisins étaient albanais.
Jusquaux bombardements de lOtan, nous
navions aucun problème
dans limmeuble, nous allions les uns
chez les autres. Puis, les
sentiments et les opinions de mes voisins
ont changé
Le 14 août 99, mon fils se trouvait dans
lappartement de sa
belle-mère. La gendarmerie française y a
procédé à un contrôle. Juste
avant de partir, ils ont demandé les
papiers didentité de mon fils.
Dès quils ont vu quil habitait la
partie sud de la ville, ils lont
arrêté et emmené à Vucitrn, à douze
kilomètres dici. LUCK était
présente, et les interprètes étaient
albanais. Ils lont obligé à avouer
des choses quil navait pas faites. Ils
ont menacé de le violer, de le
battre. Ils ont demandé : «Quas-tu
encore comme famille?» Puis,
ils ont fouillé son appartement à la
recherche dune arme, mais nont
rien trouvé.
Ils lont gardé quelques jours et il a
dit où se trouvait son père. Jétais
à Zubin Potok. La gendarmerie française
est venue minterroger avec
des interprètes albanais. Ils demandaient
où se trouvait mon fils
Srdjan. Jai répondu quil se trouvait au
Monténégro, parce que sa
femme était enceinte. Mais le problème,
cest quil était revenu au
Kosovo entre temps. Ce que jignorais complètement. Alors, ils ont
perquisitionné sans mandat toute ma maison. Ils
nont trouvé quun pistolet, pour lequel javais un permis, avec un peu
de munitions.
Ensuite, ils mont emmené à Mitrovica-sud. Les gendarmes français ont
promis quils allaient juste me poser quelques
questions et me ramener ensuite. Mais ce fut tout le contraire.
Linterprète albanais sest rendu dans la rue où jhabitais.
Les voisins avec qui nous vivions ont raconté les pires choses aux
soldats français
Y a-t-il eu enquête?
Dragisa Peca. Je suis arrêté depuis le 14 août 1999 et sans nouvelles
depuis. Après trois jours, on ma mis en prison où
jai retrouvé mon fils. Jaimerais ajouter une chose concernant mes
voisins. Quand les bombardements de lOtan ont
commencé, les Albanais ont quitté la ville. Ils ont choisi leurs
meilleurs voisins pour garder leur appartement, leur
garage ou la voiture. Les Serbes, eux, navaient aucun endroit où
senfuir, parce que toute la Serbie était bombardée. Ils
étaient donc obligés de rester. Cependant, mes voisins, dont jai gardé
tous les biens, ont témoigné contre moi et mon fils
parce quils sont effrayés par lUCK.
En Occident, on dit que les Serbes sont contre tous les Albanais. Mais
je vois que vous avez des amis albanais...
Dragisa Peca. Oui, nous avions et nous avons toujours de grands amis
albanais. Tous les Albanais ne sont pas des
terroristes de lUCK. 70% étaient loyaux à lEtat de la Serbie, à la
Yougoslavie. Malheureusement, ce nest plus le cas
aujourdhui. On mène à présent une toute autre politique.
Que pensez-vous de la Kfor?
Dragisa Peca. Ils ont incendié ma maison et détruit tout ce que je
possédais. Sils ne mavaient pas arrêté, peut-être
serais-je encore dans mon village...
Mais ce nest pas la Kfor elle-même qui a incendié votre maison...
Dragisa Peca. Au fond si. En marrêtant, ils ont permis aux Albanais de
faire ce quils voulaient. Ils empêchaient les
Serbes de circuler, tandis que les Albanais pouvaient aller où ils
voulaient et faire ce quils désiraient.
Quel métier exercez-vous?
Dragisa Peca. Je travaille comme forestier. Jétais constamment dans la
forêt, à Janjevo, un endroit où vivent des
Croates catholiques. Si jétais un mauvais homme, si javais commis un
génocide, ils auraient pu me tuer à nimporte quel
moment, tous les jours. Ils mavaient toujours entre leurs mains.
Dailleurs, le mieux serait de demander aux habitants
de Janjevo et dans les villages serbes des environs quel homme jétais.
Il faudrait aussi demander aux voisins albanais.
Malheureusement, je ne peux pas vous envoyer là-bas. Ils auraient de
graves problèmes avec lUCK.
Vlastimir Aleksic. Je voudrais encore vous dire quelque chose. Dans la
partie sud de Mitrovica, javais deux
appartements, où je vivais avec les Albanais. Nous avons été expulsés et
nous navons pu emporter quun sac. Nous
navions pas dendroit où dormir.
Personne ne se soucie de savoir dans quel état sont mes appartements
là-bas. Ils exercent sans arrêt des pressions pour
semparer de ces logements qui ne leur appartiennent pas. Personne ne se
préoccupe de ce que jai mis trente ans de ma vie à
créer.
Vidéos, voyages, site
info &
paix...
Une vidéo de cette
interview est
disponible auprès de
lasbl Parole
aux jeunes, qui a
organisé ce voyage
en Yougoslavie. Elle
prépare la
publication de
plusieurs autres
reportages passionnants
réalisés par
les jeunes eux-mêmes.
Et de
nouveaux projets de
voyages
denquêtes et de
reportages.
Intéressé? Contactez
Sébastien
Vandeputte au 02 / 513
66 26 ou
jab@.... Vous pouvez
aussi aider
à promouvoir la paix et
lamitié,
grâce à linformation
directe et aux
réfutations des médiamensonges. Avec le site Internet: Peace and
resistance (www.lai-aib.org)
--------- COORDINAMENTO ROMANO PER LA JUGOSLAVIA -----------
RIMSKI SAVEZ ZA JUGOSLAVIJU
e-mail: crj@... - URL: http://marx2001.org/crj
http://www.egroups.com/group/crj-mailinglist/
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EXCLUSIF:
Interview de trois prisonniers serbes, victimes de la Kfor, à Mitrovica
(Kosovo)
«En prison depuis treize mois, je nai pas encore vu le juge
dinstruction!»
Kosovska Mitrovica (où
lOtan vient
de fermer une usine),
nord du
Kosovo, 26 juillet.
Nous sommes à
lhôpital situé dans la
partie serbe de
la ville, le seul resté
ouvert à tous:
Serbes, Albanais et
autres. Le
directeur nous propose
de visiter
aussi «le bâtiment des
prisonniers».
Intrigués, nous y
découvrons deux
Serbes dune
soixantaine dannées et
un de quarante ans,
gardés par la
Kfor (forces Otan
occupant le
Kosovo). Notre visite
va nous
révéler des souffrances
poignantes,
un arbitraire
insoupçonné et une
parodie de justice de
la part des
forces occupantes.
Bouleversés, nous
le serons encore
davantage en
apprenant, quelques
jours plus tard,
que ces trois
prisonniers ont
mystérieusement
disparu. Se
sont-ils évadés?
Ont-ils, comme
beaucoup le craignent là-bas, été livrés à lUCK albanaise? Un document
exceptionnel.
Michel Collon et Germain Mugemangango
Kosovoska Mitrovica est la seule ville du Kosovo doù les Serbes nont
pas été chassés par lactuel nettoyage ethnique.
Nous la visitons avec une délégation de jeunes Belges participant depuis
quelques jours au Camp International dAmitié à
Sirogojno (Yougoslavie).
Dans le couloir de lhôpital, plusieurs policiers pakistanais de lUnmik
(police de lOnu), armés comme des soldats.
Etonnamment, ils veulent contrôler le directeur de lhôpital qui nous
sert de guide. Ne le connaissent-ils pas? Non, car
leurs supérieurs les font relever toutes les quatre heures pour éviter
tout contact avec les Serbes. Présents depuis trois
mois, ils nont donc jamais vu le directeur. Et ils fuient nos
questions. Ambiance très lourde quand nous entrons dans la
chambre où les trois prisonniers sont allongés sur leur lit après une
grève de la faim...
Quand et pourquoi avez-vous été arrêté?
Dragan Jovanovic. Le 2 juillet 1999, il y a donc
plus dun an, des soldats
français mont arrêté sans aucune explication.
Jai été enlevé et emmené à la prison
de Lipljane, bien que la prison du district soit
située à Mitrovica même. Plus
tard, jai appris que cétait la volonté du juge
albanais, pour empêcher les
protestations dans la ville. En effet, les Serbes
allaient manifester sur les ponts
pour que je sois enfin remis en liberté, car on
mavait arrêté sans raison.
A Lipljane, jai été gardé quatre mois par les
soldats britanniques. Nous étions
une quarantaine de prisonniers serbes et la
majorité se trouve encore en prison. On
na pas eu de chance. Il ny avait pas
dinterprète serbe pour communiquer entre
lUnmik, la Kfor et les Serbes. Tout se passait
uniquement entre lUnmik, les
soldats de la Kfor et les Albanais.
Selon vous, quelle est la véritable raison de
votre arrestation?
Dragan Jovanovic. Jai été arrêté parce que je
défendais le pont. Les Albanais
veulent continuer ici ce quils ont fait dans tout le Kosovo. Dès le
début, ils ont tenté de rentrer dans la partie nord de
Mitrovica, peuplée en majorité de Serbes et qui a toujours été serbe.
Mais, avec quelques Serbes, nous nous sommes
rassemblés sur le pont - une limite naturelle - pour les empêcher de
passer.
Nous navons pas dit cela aux Albanais qui vivaient depuis toujours avec
nous. Seulement à ceux qui sont arrivés
récemment dAlbanie, de Macédoine. Cela sest passé spontanément, sans
aucune organisation, nous voulions simplement
défendre le pont.
Pourquoi ces Albanais veulent-ils venir dans la partie nord?
Dragan Jovanovic. Je ne sais pas exactement si cest la communauté
internationale, un autre pays ou des groupes
nationalistes qui veulent une Grande Albanie dans les Balkans. La partie
sud de notre ville était en majorité peuplée
dAlbanais, mais il y avait aussi des Serbes. A présent, il nen reste
plus du tout. Par contre, dans la partie nord, il reste
toujours beaucoup dAlbanais, et ce nest pas un problème pour nous.
Mais lUCK affirme que les Albanais étaient persécutés depuis longtemps
Dragan Jovanovic. Jusquil y a dix ans, 75% des policiers étaient
albanais. Ils avaient leurs magasins, leurs écoles.
Toutes les grandes institutions étaient à majorité albanaise. Pour la
présidence de la province, il y avait toujours neuf
Albanais, deux Serbes et un Monténégrin.
Avez-vous beaucoup damis albanais?
Dragan Jovanovic. Oui, beaucoup.
Donc, vous pensez quon vous a arrêté pour écarter un défenseur du pont?
Dragan Jovanovic. Oui. Une femme qui était de lautre côté du pont ma
montré du doigt: «Il a tué 26 personnes!» Cela
a suffi pour me maintenir treize mois en prison!
LUnmik a-t-elle
vérifié cette
accusation?
Dragan Jovanovic.
Malheureusement, depuis
le jour de
larrestation, je nai
eu aucune
conversation avec aucun
policier,
aucun juge. Seulement
avec mes
avocats et certains
représentants
dassociations
médicales
internationales. Parce
que nous
avons fait une grève de
la faim qui a
duré quarante jours.
Dragisa, ici à côté de
moi, peut
confirmer mon histoire.
Lui aussi est
en prison depuis treize
mois. Accusé
de génocide, il na
eu aucune
conversation ni avec
lUnmik, ni avec
un juge. Il ny a pas dacte daccusation. Il ne sait pas quand il sera
jugé. On le garde en prison sans aucune explication.
Dragisa Peca. Jai été kidnappé par des soldats de la Kfor. Un major
britannique était venu dire que ceux qui le désiraient
pouvaient aller visiter leur maison. Je suis parti visiter ma propriété
où jai dû tout abandonner.
Pourquoi?
Dragisa Peca. Pas à cause de mes voisins albanais,
mais à cause des terroristes de
lUCK. Pendant trois ou quatre jours durant
lesquels je métais absenté, le voisin
avait surveillé mon bétail. Il ma dit: «Si
demain, tu ne prends pas ton bétail,
quelquun le volera, je ne peux plus le garder.»
Jai donc demandé au major de
pouvoir laccompagner et je suis allé prendre le
bétail. Les voisins albanais sont
venus maider à charger le blé et le bétail.
Alors, la police de la Kfor est arrivée avec une
famille albanaise, prétendant que
javais commis un génocide sur le peuple albanais.
Jai interrogé mes voisins
albanais: «Vous savez très bien si jai commis un
génocide ou pas.» Et les voisins
ont dit que je nétais pas coupable. Mais
lofficier britannique leur a dit: «Shut up!»
Je ne savais pas ce que cela voulait dire. Cest
seulement dans la prison que jai appris
que cela voulait dire: «Ferme ta gueule!» Ils
mont amené à la prison de Lipljane.
Depuis le 23 juin 1999, personne ne ma dit
pourquoi jétais en prison, qui javais tué.
Ni la Kfor, ni la police de lUnmik, personne! Et
pourtant, je suis ici.
Au pire moment des bombardements, notre voisine albanaise devait
accoucher. Elle avait perdu ses eaux trois jours plus
tôt. Son frère ma dit: «Seuls toi et Dieu pouvez la sauver. Veux-tu
bien lamener à lhôpital?» Jai répondu: «Je veux
bien, mais à condition que tu viennes aussi.» Car elle aurait pu mourir,
tant elle était gonflée. Alors, nous lavons
emmenée à Pristina. Les bombes de lOtan tombaient de tous les côtés.
Nous avons attendu à lhôpital, où elle a accouché dun petit garçon.
Après cinq jours, jai ramené son frère. Puis, je suis
retourné à lhôpital, seul, et je lai ramenée chez elle. Aujourdhui,
ces mêmes personnes, ces mêmes voisins avec qui je
mentendais très bien, à qui jamenais de la nourriture et des
médicaments, nont pas le droit de dire la vérité. A cause de
lUCK.
Vous voulez dire que les Albanais sont terrorisés par lUCK?
Dragisa Peca. Oui, extrêmement terrorisés.
Selon vous, pourquoi la Kfor est-elle au Kosovo?
Dragisa Peca. Sils voulaient vraiment nous aider, et Kouchner en
premier lieu, ils auraient respecté la résolution 1244
de lOnu. (Confiant à la Kfor la protection de toutes les nationalités
et le maintien du Kosovo dans le cadre de la
Yougoslavie. En réalité, la Kfor a expulsé elle-même des milliers de
travailleurs serbes de leur lieu de travail, elle a
refusé de protéger les civils serbes contre les expulsions et les
violences, et de nombreuses décisions administratives de
Kouchner préparent une sécession de fait.)
Pensez-vous quil sera un jour possible pour les Serbes et les Albanais
de revivre ensemble, paisiblement?
Dragisa Peca. Peut-être, mais sans la Kfor et lUnmik.
Vous êtes également prisonnier ici. Que vous est-il arrivé?
Vlastimir Aleksic. Avec mon fils Srdjan,
nous vivions dans la partie
sud de Mitrovica. La majorité de nos
voisins étaient albanais.
Jusquaux bombardements de lOtan, nous
navions aucun problème
dans limmeuble, nous allions les uns
chez les autres. Puis, les
sentiments et les opinions de mes voisins
ont changé
Le 14 août 99, mon fils se trouvait dans
lappartement de sa
belle-mère. La gendarmerie française y a
procédé à un contrôle. Juste
avant de partir, ils ont demandé les
papiers didentité de mon fils.
Dès quils ont vu quil habitait la
partie sud de la ville, ils lont
arrêté et emmené à Vucitrn, à douze
kilomètres dici. LUCK était
présente, et les interprètes étaient
albanais. Ils lont obligé à avouer
des choses quil navait pas faites. Ils
ont menacé de le violer, de le
battre. Ils ont demandé : «Quas-tu
encore comme famille?» Puis,
ils ont fouillé son appartement à la
recherche dune arme, mais nont
rien trouvé.
Ils lont gardé quelques jours et il a
dit où se trouvait son père. Jétais
à Zubin Potok. La gendarmerie française
est venue minterroger avec
des interprètes albanais. Ils demandaient
où se trouvait mon fils
Srdjan. Jai répondu quil se trouvait au
Monténégro, parce que sa
femme était enceinte. Mais le problème,
cest quil était revenu au
Kosovo entre temps. Ce que jignorais complètement. Alors, ils ont
perquisitionné sans mandat toute ma maison. Ils
nont trouvé quun pistolet, pour lequel javais un permis, avec un peu
de munitions.
Ensuite, ils mont emmené à Mitrovica-sud. Les gendarmes français ont
promis quils allaient juste me poser quelques
questions et me ramener ensuite. Mais ce fut tout le contraire.
Linterprète albanais sest rendu dans la rue où jhabitais.
Les voisins avec qui nous vivions ont raconté les pires choses aux
soldats français
Y a-t-il eu enquête?
Dragisa Peca. Je suis arrêté depuis le 14 août 1999 et sans nouvelles
depuis. Après trois jours, on ma mis en prison où
jai retrouvé mon fils. Jaimerais ajouter une chose concernant mes
voisins. Quand les bombardements de lOtan ont
commencé, les Albanais ont quitté la ville. Ils ont choisi leurs
meilleurs voisins pour garder leur appartement, leur
garage ou la voiture. Les Serbes, eux, navaient aucun endroit où
senfuir, parce que toute la Serbie était bombardée. Ils
étaient donc obligés de rester. Cependant, mes voisins, dont jai gardé
tous les biens, ont témoigné contre moi et mon fils
parce quils sont effrayés par lUCK.
En Occident, on dit que les Serbes sont contre tous les Albanais. Mais
je vois que vous avez des amis albanais...
Dragisa Peca. Oui, nous avions et nous avons toujours de grands amis
albanais. Tous les Albanais ne sont pas des
terroristes de lUCK. 70% étaient loyaux à lEtat de la Serbie, à la
Yougoslavie. Malheureusement, ce nest plus le cas
aujourdhui. On mène à présent une toute autre politique.
Que pensez-vous de la Kfor?
Dragisa Peca. Ils ont incendié ma maison et détruit tout ce que je
possédais. Sils ne mavaient pas arrêté, peut-être
serais-je encore dans mon village...
Mais ce nest pas la Kfor elle-même qui a incendié votre maison...
Dragisa Peca. Au fond si. En marrêtant, ils ont permis aux Albanais de
faire ce quils voulaient. Ils empêchaient les
Serbes de circuler, tandis que les Albanais pouvaient aller où ils
voulaient et faire ce quils désiraient.
Quel métier exercez-vous?
Dragisa Peca. Je travaille comme forestier. Jétais constamment dans la
forêt, à Janjevo, un endroit où vivent des
Croates catholiques. Si jétais un mauvais homme, si javais commis un
génocide, ils auraient pu me tuer à nimporte quel
moment, tous les jours. Ils mavaient toujours entre leurs mains.
Dailleurs, le mieux serait de demander aux habitants
de Janjevo et dans les villages serbes des environs quel homme jétais.
Il faudrait aussi demander aux voisins albanais.
Malheureusement, je ne peux pas vous envoyer là-bas. Ils auraient de
graves problèmes avec lUCK.
Vlastimir Aleksic. Je voudrais encore vous dire quelque chose. Dans la
partie sud de Mitrovica, javais deux
appartements, où je vivais avec les Albanais. Nous avons été expulsés et
nous navons pu emporter quun sac. Nous
navions pas dendroit où dormir.
Personne ne se soucie de savoir dans quel état sont mes appartements
là-bas. Ils exercent sans arrêt des pressions pour
semparer de ces logements qui ne leur appartiennent pas. Personne ne se
préoccupe de ce que jai mis trente ans de ma vie à
créer.
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