Le film de Nikola Stojanovic, tourné en 1990 et interrompu par l’éclatement de la Yougoslavie, retrace l’histoire de Sarajevo à la veille de la Première Guerre mondiale et de l’attentat contre François-Ferdinand. Un film prémonitoire sur la fin d’une époque et sur l’histoire cinématographique de la Bosnie-Herzégovine, projeté enfin, dix-sept ans après son tournage et de nombreuses péripéties.
Par Nenad Kovacevic
A Uzice, le film Belle époque ou Dernière valse à Sarajevo (Poslednji valcer u Sarajevu), scénarisé et réalisé par Nikola Stojanovic, a été projeté pour la première fois en Serbie, dix-sept ans après son tournage, le vendredi 15 juin 2007 dans la nouvelle salle de cinéma de la ville. Le film retrace la fin d’une période appelée en Europe la « Belle époque ». L’action se déroule donc entre 1910 et 1914, à la veille de l’attentat de Sarajevo et de la Première Guerre mondiale. Et il a été tourné lors d’une autre Belle époque, celle qui précède l’éclatement de l’ex-Yougoslavie.
La projection du film était réservée à l’équipe du tournage, aux acteurs et à ceux qui ont permis que le film puisse voir le jour. La première du film a été projetée à Uzice car la compagnie de production Maja Film se situe dans cette ville.
Ce long métrage présente des passages du début du XXe siècle sur la question yougoslave. Un de ces passages montre les Serbes, les Croates et les Musulmans manifester ensemble contre l’Autriche-Hongrie, en chantant l’hymne « Hej Sloveni » et en faisant flotter le drapeau yougoslave...
Dernière valse à Sarajevo retrace l’histoire de Sarajevo à la veille de la Première Guerre mondiale et de l’attentat contre François-Ferdinand. On y voit aussi l’histoire cinématographique du pays à travers la vie de l’un de ses premiers metteurs en scène, Anton Valic, qui, avec sa caméra, a pu filmer l’attentat du 28 juin 1914. Le destin du film se lie au destin du pays dans lequel il fut tourné. Ce projet lancé au début des années 1990 a été entravé par l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. C’est pourquoi il n’est projeté qu’aujourd’hui.
Nikola Stojanovic, le scénariste du film, a gagné en 1989 le Concours du Fonds pour le cinéma de Bosnie-Herzégovine pour un scénario d’une qualité exceptionnelle. L’équipe d’acteurs venant de Sarajevo, Zagreb, Ljubljana, Paris et Varsovie, a participé au tournage en 1990 en un temps record de 42 jours. Le montage du film et de la série télévisée a débuté l’année suivante, mais le travail a été interrompu par la guerre.
« J’ai trouvé le sujet du film en m’inspirant de la période de turbulences de 1910 à 1914 que l’on appelait en Europe la « Belle époque ». J’ai fait des recherches sur cette période historique pendant deux ans, même si le plan historique n’allait me servir que de fond dramatique me permettant d’exprimer la dichotomie entre les valeurs spirituelles et matérielles au sein de la société. Le sujet du film fait inévitablement référence à la période 1945-1990, il transcrit aussi la crainte d’assister à une nouvelle catastrophe dont Sarajevo serait l’épicentre. Le film n’aborde pas pour autant des thèmes comme la rhétorique politique, l’enchère ou l’arbitraire », explique Nikola Stojanovic.
Mihailo Todorovic, producteur de la compagnie Maja Film à Uzice, grâce à qui le film a pu être achevé, affirme qu’une somme d’environ 1.250.000 euros a été utilisée pour venir au bout de ce projet. Il ajoute que lors du siège de Sarajevo, « le matériel a failli être détruit ». « Les négatifs étaient à la compagnie Jadran Film à Zagreb, alors que le matériel de travail pour le montage utilisé avant la guerre se trouvait à Bosna Film à Sarajevo. Le producteur Bakir Tanovic a décidé de protéger le matériel chez lui. Cela n’a pas empêché le matériel d’être gravement endommagé », explique Todorovic. « Nos efforts surhumains nous ont permis de sauvegarder une œuvre artistique alors que tout le monde y avait renoncé, je veux parler des institutions culturelles des ex-républiques yougoslaves qui avaient participé à l’origine du projet », affirme le producteur.
L’équipe du film a fui Sarajevo au début de la guerre. « Notre première tentative de terminer le film en 1999 a échoué car l’opinion publique bosnienne nous accusait de ’nationalisme serbe’ », explique Todorovic. Le public serbe et croate interprétait mal le film et ce n’est qu’en 2003, après avoir rétabli les rapports culturels, que la réalisation du projet a pu reprendre avec le soutien de certains acteurs du cinéma.
Lors de la projection à Uzice, auteurs et artistes de différentes régions de l’ex-Yougoslavie se sont rassemblés pour assister à la séance du dernier film yougoslave. Nikola Stojanovic, scénariste et metteur en scène, est arrivé de Belgrade, le producteur Bakir Tanovic de Sarajevo, mais aussi les acteurs Davor Janjic, Petar Bozovic, Radmila Zivkovic, Boro Stjepanovic, Mira Banjac, Nebojsa Kundacina, Tatjana Pujin... Les rôles ont été distribués aussi à Vita Mavric, Alain Nouri, Senad Basic, Slobodan Ustic, Filip Sovagovic, Zvonko Lepetic, Rade Markovic, Davor Dujmovic, Snezana Martinovic, Haris Burina. On a pu voir aussi Arsen Dedic qui a composé la musique, Radosav Vladic, directeur de photographie, Miodrag Nikolic, scénographe, et Petar Putnikovic qui s’est occupé du montage.
« Mes amis, mes collègues, qui s’étaient dispersés, sont aujourd’hui réunis. Je suis heureuse de pouvoir vous rencontrer après ces nombreuses années de travail. A l’époque je n’imaginais pas que nous tournions un film sur la fin d’une époque au moment de la fin d’une autre époque. Je sais seulement que j’ai eu un immense plaisir à jouer dans ce film et que pour moi ce fut une époque forte de l’art », exprime l’actrice Mira Banjac après la projection du film qu’elle voyait pour la première fois. « Ce soir j’ai ressenti un véritable concert d’émotions. Tant d’années se sont écoulées depuis le tournage... Nous sommes nostalgiques et c’est assez douloureux de se remémorer tous ces souvenirs », nous a confié Nebojsa Kundacina.
La première officielle du film aura lieu au début du mois de juillet au Festival du film de Novi Sad puis en autonome il sera consécutivement diffusé à Belgrade, Sarajevo, Zagreb et Ljubljana.
Joie, douleur, tristesse...
« Ce film à été tourné lors d’une époque merveilleuse et maintenant je ne sais plus comment m’en rappeler : avec joie, douleur ou tristesse ? Ce film va être diffusé à Zagreb, Belgrade, Sarajevo dix-sept ans après que tout se soit écroulé, et la seule conclusion que l’on puisse en tirer est que l’art a, une nouvelle fois, surpassé la politique. Je regrette seulement que ceux qui nous dirigent et décident de notre destin ne comprendront pas que nous n’avons pas besoin d’eux pour nous réunir. » Ce sont les mots de l’acteur Petar Bozovic qui tient le rôle d’un capitaine autrichien à Sarajevo.