Depuis
Cologne (Allemagne)
Le gouvernement de Berlin a utilisé sa présidence du Conseil européen, qui s’est terminée le 30 juin, pour intégrer les ONG dans la politique militaire européenne. Cela ressort des documents de travail du ministère des Affaires étrangères et de la Fondation Bertelsmann. Les ONG (les organisations non gouvernementales) sont associées aux services de l’Etat par des subventions ; le but est de faire accompagner les opérations militaires à l’étranger par de l’aide civile et humanitaire. Le résultat en est que la distinction entre les forces militaires d’occupation et les secouristes non militaires est effacée. Des critiques y voient une raison des attaques croissantes contre les collaborateurs des ONG humanitaires dans les territoires occupés par les troupes occidentales, qui se terminent toujours plus souvent par la mort – 83 fois l’an dernier. Berlin et Bruxelles utilisent le danger croissant que courent les ONG pour les faire participer à un « système mondial d’information pour la sécurité ». Il servirait à mettre systématiquement les informations captées par des civils à disposition de l’armée. Les représentants de grandes ONG critiquent de manière acerbe leur instrumentalisation par des gouvernements.
La priorité
L’intégration d’ONG dans la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) est de première priorité pour Berlin, apprend-on dans un document du ministère des Affaires étrangères qui informe sur les conférences, sur la coopération des institutions de l’UE et des organisations non gouvernementales. Pendant la présidence allemande, ont eu lieu à Bruxelles cinq rencontres lors desquelles des services de l’UE ont discuté avec des collaborateurs supérieurs des ONG (« field experts ») comment leurs organisations pourraient être intégrées le plus tôt possible dans le planning et la réalisation de missions PESD. Entre temps, Bruxelles entretient un comité spécial pour le rattachement institutionnalisé des ONG (« Committee for the Civilian Aspects of Crisis Management – Civ-Com »). Il a le devoir d’analyser les « aspects civils » de « la gestion des crises » militaires [1].
Les instruments
Un rôle décisif est destiné aux ONG européennes pour la création et la transformation de la police et la justice dans les territoires actuels et futurs d’intervention de l’UE. En tant que « Global player », Bruxelles disposerait d’une multitude d’instruments en matière de politique, de développement et de sécurité (« political, developmental and security tools ») pour « réformer le secteur de la sécurité » au sein des états concernés, peut-on apprendre lors d’un congrès organisé par le ministère des Affaires étrangères et la Fondation Bertelsmann (« Partners in Conflict Prevention and Crisis Management : EU and NGO Cooperation »). Les ONG doivent coopérer aux mesures par la formation du personnel (« training ») et la formation de la conscience publique (« awareness-raising ») ; car c’est uniquement ainsi que des autorités judiciaires et policières « fiables » (« Transitional Justice ») peuvent être créées [2].
L’expérience
Parmi les sujets principaux traités lors de ce congrès de Berlin se trouvaient ainsi les missions policières de l’UE en Afghanistan, au Kosovo, en République démocratique du Congo, en Palestine et en Bosnie-herzégovine. Les ONG participantes, dont Swisspeace et amnesty international, ont d’abord été « informées » de l’« utilité » des interventions de l’UE par des représentants du ministère des Affaires étrangères et du European Peacebuilding Liaison Office (EPLO), qui est une plate-forme européenne d’ONG. Puis les représentants des ONG ont eu l’occasion de transmettre aux organisateurs du congrès leurs connaissances des états nommés et des situations spécifiques de conflits qui y règnent (« conflict settings »). Selon les organisateurs, on assure – par la sélection ciblée et la préparation des représentants des ONG – une importance maximale aux informations transmises [3]. L’utilisation des connaissances des ONG, qui peuvent espérer une franchise inconditionnelle de la part de la population dans les territoires occupés, compte parmi les éléments les plus importants de cette collaboration. C’est pourquoi les représentants des ONG étaient aussi invités à une autre conférence internationale (titre : « Paix et justice ») que le ministère des Affaires étrangères a organisé début juillet pour traiter notamment de « la réforme du secteur de la sécurité ». Le critère pour la sélection des ONG était « l’importance de leurs connaissances ».
Les informateurs
Aujourd’hui déjà, de nombreuses ONG sont des informateurs directs pour les opérations militaires. Ils entrent les données sur la situation actuelle de sécurité, récoltées dans des régions d’intervention à l’étranger, dans le système électronique « Safety Information Reporting Service » (SIRS). La banque de données a été développée par les groupes leader de logiciels (Microsoft, Yahoo) à la demande de la « Crisis Management Initiative » (CMI) de l’émissaire spécial de ONU pour le Kosovo, Martti Ahtisaari. Cette banque de données est ouverte aux ONG et aux militaires depuis 2005 [4].
Utilisation à long terme
Le ministère des Affaires étrangères et la Fondation Bertelsmann exigent que l’UE, par la mise à disposition de moyens financiers, crée des capacités utilisables à long terme chez les ONG dont elle compte parmi les financiers les plus importants. Aussi faut-il désigner des « officiers de liaison pour ONG » au sein de la Commission européenne pour pouvoir – lors d’opérations militaires – profiter à tout moment des connaissances des informateurs non gouvernementaux. En outre, les ONG doivent aussi être recensées et évaluées à l’aide de critères d’utilité gouvernementale (« mapping and ranking ») pour garantir dans tout scénario d’intervention imaginable le choix du « meilleur partenaire » [5].
Complémentaire à l’armée
Selon le jugement de Pierre Micheletti, directeur de l’organisation humanitaire internationale « Médecins du Monde », la dépendance des moyens financiers de l’UE amène actuellement déjà beaucoup d’ONG à « participer à des programmes qui les transforment en véritables prestataires de services, pour ainsi dire stratégiquement complémentaires à l’armée ». Par la suite, les ONG sont identifiées aux troupes d’intervention de leurs pays d’origine et déclarées comme cible militaire légitime par les opposants à l’occupation. En 2006, cela a coûté la vie à 83 humanitaires – selon Micheletti ce nombre correspond « au triple du nombre des soldats tués lors de missions de paix de l’ONU ». Le directeur de « Médecins du Monde » met instamment en garde contre « la constante apparition en commun de soldats et d’humanitaires » qui change de façon définitive et irrévocable l’image des ONG : « Si le chevauchement […] des intérêts et des apparences s’enracinent dans la perception publique, toute la logique de l’aide « sans frontières » serait remise en question » [6] – les humanitaires deviennent des collabos.
[1] European Peacebuilding Liaison Office/Crisis Management Initiative/Bertelsmann-Stiftung : Partners in Conflict Prevention and Crisis Management. EU and NGO Cooperation. Federal Foreign Office, Berlin 20–21/6/07. Conference Background Papers
[2] ibid.
[3] International Conference « Building a Future on Peace and Justice », Nuremberg 25– 27/6/07 ; www.peace-justice-conference.info
[4] Crisis Management Initiative : Launching SIRS : The Safety Information Reporting Service.
[5] European Peacebuilding Liaison Office/Crisis Management Initiative/Bertelsmann-Stiftung, loc. cit.
[6] Pierre Micheletti : Schutzlose Helfer ; Le Monde diplomatique du 8/6/07