Privatisation au Kosovo : dix années d’échec
Une population paupérisée, des services publics sabordés et des infrastructures inopérantes, voilà le résultat des neuf années de privatisation orchestrée par la Minuk et la Kosovo Trust Agency. Mené sans concertation et entaché de nombreuses irrégularité, ce processus n’a jamais fait l’objet d’une évaluation sérieuse ni du moindre débat public. Il s’agit pourtant d’un enjeu majeur pour l’avenir du pays.
Par Parim Olluri
L’Institut Norvégien pour les Relations Internationales (NUPI) a présenté mardi 14 septembre un rapport très sévère sur les privatisations menées par le « pilier IV » de la Minuk, en charge de la reconstruction économique du Kosovo. « Les neuf années de privatisation, conduite par les acteurs internationaux, qui en avait fait le cœur de leur stratégie économique, ne semblent pas avoir amélioré la situation globale du pays. Près de la moitié de la population se trouve toujours sans emploi ou dans une situation de pauvreté. Les infrastructures, l’agriculture et la production nationale sont dans une situation très difficile et l’éducation comme les services sociaux ont été sabordés », a expliqué Rita Augestad Knudsen, en présentant le rapport.
Le rapport porte sur les neuf années de gestion des privatisations par la Kosovo Trust Agency (KTA) et montre que les internationaux ont été incapables de mener à bien cette mission. « Bien qu’il n’y ait toujours pas de chiffres exacts, il apparaît que la processus de privatisation dirigé par les internationaux a occasionné une perte sèche d’emplois », note le rapport. En 2002, de 50 à 60.000 emplois ont été supprimés en raison de la gestion des entreprises publiques par la Minuk alors que, selon le syndicat du Kosovo (BSPK), 70.000 travailleurs se sont retrouvés sans emploi, sans retraite et sans aide sociale à cause de la privatisation.
La privatisation menée par la Minuk, une « catastrophe »
Selon l’auteur de ce rapport, la privatisation gérée par les internationaux n’a pas rempli les objectifs déterminés par la Minuk concernant la reconstruction et le développement économique. « Même si aucune évaluation générale n’a encore été réalisée sur l’influence de la privatisation sur l’économie du Kosovo, les quelques résultats disponibles montrent que le processus a surtout limité le potentiel socio-économique du pays », déplore le rapport.
Ce rapport va même jusqu’à affirmer que les actions de la Minuk et de la KTA ont eu des conséquences destructrices. Le BSPK et la société civile ont formulé de vives critiques, portant notamment sur la mauvaise gestion et la corruption. « Ceux qui ont intérêt à soutenir le processus de privatisation au Kosovo affirment que celui-ci a été un succès, arguant qu’il était indispensable. Les experts, par contre, le décrivent comme une catastrophe, comme un échec quasi-total du point de vue économique. »
Selon ce rapport, les officiels affirment que le processus de privatisation illustre la faillite de la mission dont se réclamait de la Minuk, en éclairant ses limites dans l’utilisation de la privatisation au Kosovo pour favoriser la reprise économique.
« Certains affirment que la Minuk était incapable d’administrer l’économie du Kosovo et donnait ainsi une mauvaise image de l’Onu, minant de fait son principal objectif de créer une économie qui fonctionne selon les principes de l’état de droit », constate le rapport.
L’UE et les États-Unis poussent à la privatisation
Indépendamment du caractère douteux du processus de privatisation au Kosovo – à l’image d’expériences semblables dans d’autres pays –, les internationaux ont continué à mener une privatisation rapide et totale, même lorsqu’a pris fin l’activité de la Kosovo Trust Agency (KTA).
« L’UE et surtout les États-Unis continuent d’inciter à la privatisation en insistant sur le fait que l’économie kosovare a besoin de se libérer du fardeau de l’État et en déclarant que c’est la seule solution pour garantir la survie à long terme du Kosovo indépendant ». Mais, selon ce rapport, au lieu de promouvoir la gouvernance démocratique ou le vrai renforcement des pouvoirs locaux, les internationaux sont plus disposés à écarter toute gestion locale et à distinguer l’ami de l’ennemi selon des critères subjectifs. D’après ce rapport, il y a eu notamment une politisation de la loi dans la participation internationale sur la privatisation au Kosovo.
L’épineuse question des mises en faillite
Le processus de mise en faillite est le principal obstacle de la privatisation au Kosovo. De même, 451 millions d’euros sont toujours bloqués et ne peuvent toujours pas être utilisés, parce qu’ils peuvent tomber aux mains des créditeurs et propriétaires qui sont principalement serbes, évoque ce rapport.
« La conséquence de la responsabilité des internationaux s’est présentée lors des discussions à propos du processus de liquidation ». Ceux-ci se sont concentrés sur la légalisation de la propriété privée sans s’exposer personnellement, qu’ils ont ensuite utilisée à des fins politiques.
« Le KTA n’a terminé aucune mise en liquidation, qui était un de ses objectifs finaux », ajoute le rapport. « Ceci a mené au blocage des 451 millions d’euros de la privatisation, qui ne peuvent pas être retiré parce qu’ils sont bloqués par les créditeurs et les propriétaires, à qui la plus grande partie de cette somme reviendra. Selon le rapport, Pieter Feith a soulevé ces questions dans une lettre au ministre de l’Économie et des finances, Ahmet Shala ; courrier qui faisait suite à un conflit entre la Banque centrale du Kosovo et l’Agence kosovare de privatisation.
« L’issue du processus de liquidation est attendue avec impatience par ceux qui pensent que le Kosovo profitera de la privatisation menée par les internationaux, alors que les autres insistent sur le fait que les bénéfices n’iront pas dans les caisses du Kosovo, mais dans celles des créditeurs et des propriétaires, majoritairement serbes. Certains craignent que la liquidation ne soit à l’origine d’un conflit social », affirme le rapport.
Les problèmes liés au processus de liquidation, ainsi que l’évaluation des plaintes qui y sont relatives par une Chambre spéciale, favorisent le maintien de la Minuk comme seule autorité officielle compétente, démontrant de fait le pouvoir des internationaux sur des pans essentiels de l’économie kosovare.
Des rumeurs gênantes
Le rapport rappelle qu’au début du processus de privatisation, des rumeurs couraient sur le Parti démocratique du Kosovo (PDK) du Premier ministre Hashim Thaçi concernant son influence sur la privatisation des entreprises publiques.
Ainsi, le retrait par la Minuk du droit historique des communes sur les entreprises publiques aurait été la conséquence des liens politiques des membres locaux du Département du Commerce et de l’Industrie avec le Parti démocratique du Kosovo (PDK), qui avait en charge leur nomination. Ce parti ayant perdu les élections municipales de 2001 contre la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), la majorité des municipalités n’étaient plus contrôlées par le PDK. Le contrôle des communes par la LDK avait incité le PDK à inciter les communes à abandonner leurs droits sur les entreprises publiques.
« Indépendamment des raisons qui ont conduit la Minuk à mettre hors-jeu les communes en 2001, les responsables internationaux impliqués dans la privatisation au Kosovo ont prouvé depuis longtemps leurs préférences à minimiser l’autorité locale », conclut le rapport.