http://www.ptb.be/solidaire/article.phtml?lang=1&obid=2217


EXCLUSIF:

Interview de trois prisonniers serbes, victimes de la Kfor, à Mitrovica
(Kosovo)

«En prison depuis treize mois, je n’ai pas encore vu le juge
d’instruction!»

Kosovska Mitrovica (où
l’Otan vient
de fermer une usine),
nord du
Kosovo, 26 juillet.
Nous sommes à
l’hôpital situé dans la
partie serbe de
la ville, le seul resté
ouvert à tous:
Serbes, Albanais et
autres. Le
directeur nous propose
de visiter
aussi «le bâtiment des
prisonniers».
Intrigués, nous y
découvrons deux
Serbes d’une
soixantaine d’années et
un de quarante ans,
gardés par la
Kfor (forces Otan
occupant le
Kosovo). Notre visite
va nous
révéler des souffrances
poignantes,
un arbitraire
insoupçonné et une
parodie de justice de
la part des
forces occupantes.
Bouleversés, nous
le serons encore
davantage en
apprenant, quelques
jours plus tard,
que ces trois
prisonniers ont
mystérieusement
disparu. Se
sont-ils évadés?
Ont-ils, comme
beaucoup le craignent là-bas, été livrés à l’UCK albanaise? Un document
exceptionnel.

Michel Collon et Germain Mugemangango

Kosovoska Mitrovica est la seule ville du Kosovo d’où les Serbes n’ont
pas été chassés par l’actuel nettoyage ethnique.
Nous la visitons avec une délégation de jeunes Belges participant depuis
quelques jours au Camp International d’Amitié à
Sirogojno (Yougoslavie).

Dans le couloir de l’hôpital, plusieurs policiers pakistanais de l’Unmik
(police de l’Onu), armés comme des soldats.
Etonnamment, ils veulent contrôler le directeur de l’hôpital qui nous
sert de guide. Ne le connaissent-ils pas? Non, car
leurs supérieurs les font relever toutes les quatre heures pour éviter
tout contact avec les Serbes. Présents depuis trois
mois, ils n’ont donc jamais vu le directeur. Et ils fuient nos
questions. Ambiance très lourde quand nous entrons dans la
chambre où les trois prisonniers sont allongés sur leur lit après une
grève de la faim...

Quand et pourquoi avez-vous été arrêté?

Dragan Jovanovic. Le 2 juillet 1999, il y a donc
plus d’un an, des soldats
français m’ont arrêté sans aucune explication.
J’ai été enlevé et emmené à la prison
de Lipljane, bien que la prison du district soit
située à Mitrovica même. Plus
tard, j’ai appris que c’était la volonté du juge
albanais, pour empêcher les
protestations dans la ville. En effet, les Serbes
allaient manifester sur les ponts
pour que je sois enfin remis en liberté, car on
m’avait arrêté sans raison.

A Lipljane, j’ai été gardé quatre mois par les
soldats britanniques. Nous étions
une quarantaine de prisonniers serbes et la
majorité se trouve encore en prison. On
n’a pas eu de chance. Il n’y avait pas
d’interprète serbe pour communiquer entre
l’Unmik, la Kfor et les Serbes. Tout se passait
uniquement entre l’Unmik, les
soldats de la Kfor et les Albanais.

Selon vous, quelle est la véritable raison de
votre arrestation?

Dragan Jovanovic. J’ai été arrêté parce que je
défendais le pont. Les Albanais
veulent continuer ici ce qu’ils ont fait dans tout le Kosovo. Dès le
début, ils ont tenté de rentrer dans la partie nord de
Mitrovica, peuplée en majorité de Serbes et qui a toujours été serbe.
Mais, avec quelques Serbes, nous nous sommes
rassemblés sur le pont - une limite naturelle - pour les empêcher de
passer.

Nous n’avons pas dit cela aux Albanais qui vivaient depuis toujours avec
nous. Seulement à ceux qui sont arrivés
récemment d’Albanie, de Macédoine. Cela s’est passé spontanément, sans
aucune organisation, nous voulions simplement
défendre le pont.

Pourquoi ces Albanais veulent-ils venir dans la partie nord?

Dragan Jovanovic. Je ne sais pas exactement si c’est la communauté
internationale, un autre pays ou des groupes
nationalistes qui veulent une Grande Albanie dans les Balkans. La partie
sud de notre ville était en majorité peuplée
d’Albanais, mais il y avait aussi des Serbes. A présent, il n’en reste
plus du tout. Par contre, dans la partie nord, il reste
toujours beaucoup d’Albanais, et ce n’est pas un problème pour nous.

Mais l’UCK affirme que les Albanais étaient persécutés depuis longtemps…

Dragan Jovanovic. Jusqu’il y a dix ans, 75% des policiers étaient
albanais. Ils avaient leurs magasins, leurs écoles.
Toutes les grandes institutions étaient à majorité albanaise. Pour la
présidence de la province, il y avait toujours neuf
Albanais, deux Serbes et un Monténégrin.

Avez-vous beaucoup d’amis albanais?

Dragan Jovanovic. Oui, beaucoup.

Donc, vous pensez qu’on vous a arrêté pour écarter un défenseur du pont?

Dragan Jovanovic. Oui. Une femme qui était de l’autre côté du pont m’a
montré du doigt: «Il a tué 26 personnes!» Cela
a suffi pour me maintenir treize mois en prison!

L’Unmik a-t-elle
vérifié cette
accusation?

Dragan Jovanovic.
Malheureusement, depuis
le jour de
l’arrestation, je n’ai
eu aucune
conversation avec aucun
policier,
aucun juge. Seulement
avec mes
avocats et certains
représentants
d’associations
médicales
internationales. Parce
que nous
avons fait une grève de
la faim qui a
duré quarante jours.

Dragisa, ici à côté de
moi, peut
confirmer mon histoire.
Lui aussi est
en prison depuis treize
mois. Accusé
de ‘génocide’, il n’a
eu aucune
conversation ni avec
l’Unmik, ni avec
un juge. Il n’y a pas d’acte d’accusation. Il ne sait pas quand il sera
jugé. On le garde en prison sans aucune explication.

Dragisa Peca. J’ai été kidnappé par des soldats de la Kfor. Un major
britannique était venu dire que ceux qui le désiraient
pouvaient aller visiter leur maison. Je suis parti visiter ma propriété
où j’ai dû tout abandonner.

Pourquoi?

Dragisa Peca. Pas à cause de mes voisins albanais,
mais à cause des terroristes de
l’UCK. Pendant trois ou quatre jours durant
lesquels je m’étais absenté, le voisin
avait surveillé mon bétail. Il m’a dit: «Si
demain, tu ne prends pas ton bétail,
quelqu’un le volera, je ne peux plus le garder.»
J’ai donc demandé au major de
pouvoir l’accompagner et je suis allé prendre le
bétail. Les voisins albanais sont
venus m’aider à charger le blé et le bétail.

Alors, la police de la Kfor est arrivée avec une
famille albanaise, prétendant que
j’avais commis un génocide sur le peuple albanais.
J’ai interrogé mes voisins
albanais: «Vous savez très bien si j’ai commis un
génocide ou pas.» Et les voisins
ont dit que je n’étais pas coupable. Mais
l’officier britannique leur a dit: «Shut up!»
Je ne savais pas ce que cela voulait dire. C’est
seulement dans la prison que j’ai appris
que cela voulait dire: «Ferme ta gueule!» Ils
m’ont amené à la prison de Lipljane.
Depuis le 23 juin 1999, personne ne m’a dit
pourquoi j’étais en prison, qui j’avais tué.
Ni la Kfor, ni la police de l’Unmik, personne! Et
pourtant, je suis ici.

Au pire moment des bombardements, notre voisine albanaise devait
accoucher. Elle avait perdu ses eaux trois jours plus
tôt. Son frère m’a dit: «Seuls toi et Dieu pouvez la sauver. Veux-tu
bien l’amener à l’hôpital?» J’ai répondu: «Je veux
bien, mais à condition que tu viennes aussi.» Car elle aurait pu mourir,
tant elle était gonflée. Alors, nous l’avons
emmenée à Pristina. Les bombes de l’Otan tombaient de tous les côtés.

Nous avons attendu à l’hôpital, où elle a accouché d’un petit garçon.
Après cinq jours, j’ai ramené son frère. Puis, je suis
retourné à l’hôpital, seul, et je l’ai ramenée chez elle. Aujourd’hui,
ces mêmes personnes, ces mêmes voisins avec qui je
m’entendais très bien, à qui j’amenais de la nourriture et des
médicaments, n’ont pas le droit de dire la vérité. A cause de
l’UCK.

Vous voulez dire que les Albanais sont terrorisés par l’UCK?

Dragisa Peca. Oui, extrêmement terrorisés.

Selon vous, pourquoi la Kfor est-elle au Kosovo?

Dragisa Peca. S’ils voulaient vraiment nous aider, et Kouchner en
premier lieu, ils auraient respecté la résolution 1244
de l’Onu. (Confiant à la Kfor la protection de toutes les nationalités
et le maintien du Kosovo dans le cadre de la
Yougoslavie. En réalité, la Kfor a expulsé elle-même des milliers de
travailleurs serbes de leur lieu de travail, elle a
refusé de protéger les civils serbes contre les expulsions et les
violences, et de nombreuses décisions administratives de
Kouchner préparent une sécession de fait.)

Pensez-vous qu’il sera un jour possible pour les Serbes et les Albanais
de revivre ensemble, paisiblement?

Dragisa Peca. Peut-être, mais sans la Kfor et l’Unmik.

Vous êtes également prisonnier ici. Que vous est-il arrivé?

Vlastimir Aleksic. Avec mon fils Srdjan,
nous vivions dans la partie
sud de Mitrovica. La majorité de nos
voisins étaient albanais.
Jusqu’aux bombardements de l’Otan, nous
n’avions aucun problème
dans l’immeuble, nous allions les uns
chez les autres. Puis, les
sentiments et les opinions de mes voisins
ont changé…

Le 14 août 99, mon fils se trouvait dans
l’appartement de sa
belle-mère. La gendarmerie française y a
procédé à un contrôle. Juste
avant de partir, ils ont demandé les
papiers d’identité de mon fils.
Dès qu’ils ont vu qu’il habitait la
partie sud de la ville, ils l’ont
arrêté et emmené à Vucitrn, à douze
kilomètres d’ici. L’UCK était
présente, et les interprètes étaient
albanais. Ils l’ont obligé à avouer
des choses qu’il n’avait pas faites. Ils
ont menacé de le violer, de le
battre. Ils ont demandé : «Qu’as-tu
encore comme famille?» Puis,
ils ont fouillé son appartement à la
recherche d’une arme, mais n’ont
rien trouvé.

Ils l’ont gardé quelques jours et il a
dit où se trouvait son père. J’étais
à Zubin Potok. La gendarmerie française
est venue m’interroger avec
des interprètes albanais. Ils demandaient
où se trouvait mon fils
Srdjan. J’ai répondu qu’il se trouvait au
Monténégro, parce que sa
femme était enceinte. Mais le problème,
c’est qu’il était revenu au
Kosovo entre temps. Ce que j’ignorais complètement. Alors, ils ont
perquisitionné sans mandat toute ma maison. Ils
n’ont trouvé qu’un pistolet, pour lequel j’avais un permis, avec un peu
de munitions.

Ensuite, ils m’ont emmené à Mitrovica-sud. Les gendarmes français ont
promis qu’ils allaient juste me poser quelques
questions et me ramener ensuite. Mais ce fut tout le contraire.
L’interprète albanais s’est rendu dans la rue où j’habitais.
Les voisins avec qui nous vivions ont raconté les pires choses aux
soldats français…

Y a-t-il eu enquête?

Dragisa Peca. Je suis arrêté depuis le 14 août 1999 et sans nouvelles
depuis. Après trois jours, on m’a mis en prison où
j’ai retrouvé mon fils. J’aimerais ajouter une chose concernant mes
voisins. Quand les bombardements de l’Otan ont
commencé, les Albanais ont quitté la ville. Ils ont choisi leurs
meilleurs voisins pour garder leur appartement, leur
garage ou la voiture. Les Serbes, eux, n’avaient aucun endroit où
s’enfuir, parce que toute la Serbie était bombardée. Ils
étaient donc obligés de rester. Cependant, mes voisins, dont j’ai gardé
tous les biens, ont témoigné contre moi et mon fils
parce qu’ils sont effrayés par l’UCK.

En Occident, on dit que les Serbes sont contre tous les Albanais. Mais
je vois que vous avez des amis albanais...

Dragisa Peca. Oui, nous avions et nous avons toujours de grands amis
albanais. Tous les Albanais ne sont pas des
terroristes de l’UCK. 70% étaient loyaux à l’Etat de la Serbie, à la
Yougoslavie. Malheureusement, ce n’est plus le cas
aujourd’hui. On mène à présent une toute autre politique.

Que pensez-vous de la Kfor?

Dragisa Peca. Ils ont incendié ma maison et détruit tout ce que je
possédais. S’ils ne m’avaient pas arrêté, peut-être
serais-je encore dans mon village...

Mais ce n’est pas la Kfor elle-même qui a incendié votre maison...

Dragisa Peca. Au fond si. En m’arrêtant, ils ont permis aux Albanais de
faire ce qu’ils voulaient. Ils empêchaient les
Serbes de circuler, tandis que les Albanais pouvaient aller où ils
voulaient et faire ce qu’ils désiraient.

Quel métier exercez-vous?

Dragisa Peca. Je travaille comme forestier. J’étais constamment dans la
forêt, à Janjevo, un endroit où vivent des
Croates catholiques. Si j’étais un mauvais homme, si j’avais commis un
génocide, ils auraient pu me tuer à n’importe quel
moment, tous les jours. Ils m’avaient toujours entre leurs mains.
D’ailleurs, le mieux serait de demander aux habitants
de Janjevo et dans les villages serbes des environs quel homme j’étais.
Il faudrait aussi demander aux voisins albanais.
Malheureusement, je ne peux pas vous envoyer là-bas. Ils auraient de
graves problèmes avec l’UCK.

Vlastimir Aleksic. Je voudrais encore vous dire quelque chose. Dans la
partie sud de Mitrovica, j’avais deux
appartements, où je vivais avec les Albanais. Nous avons été expulsés et
nous n’avons pu emporter qu’un sac. Nous
n’avions pas d’endroit où dormir.

Personne ne se soucie de savoir dans quel état sont mes appartements
là-bas. Ils exercent sans arrêt des pressions pour
s’emparer de ces logements qui ne leur appartiennent pas. Personne ne se
préoccupe de ce que j’ai mis trente ans de ma vie à
créer.

Vidéos, voyages, site
info &
paix...

Une vidéo de cette
interview est
disponible auprès de
l’asbl Parole
aux jeunes, qui a
organisé ce voyage
en Yougoslavie. Elle
prépare la
publication de
plusieurs autres
reportages passionnants
réalisés par
les jeunes eux-mêmes.
Et de
nouveaux projets de
voyages
d’enquêtes et de
reportages.

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Sébastien
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l’amitié,
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