La première impression des étrangers qui arrivent à Podgorica est celle de croissance économique. De nouveaux immeubles luxueux en construction, des rues en chantier, des places publiques réaménagées... Pourtant, 10% des Monténégrins vivent dans la pauvreté, et les enseignants ne gagnent que 250 euros par mois. Seuls s’enrichissent les amis du pouvoir.
Par Veseljko Koprivica
Le Monténégro présente aujourd’hui des images comparables à celles que l’on pouvait voir dans les années 1990, lorsque la population faisait la queue pour acheter du pain, du lait, de l’huile, de l’essence... Les habitants de Podgorica font la queue pendant des jours au centre ville pour acheter de nouveaux téléphones portables ! Ca fait longtemps que le Monténégro est classé au sommet de la liste européenne du nombre de portables par habitant, mais la soif de nouveaux modèles de marques prestigieuses ne semble pas encore assouvie. Il en est de même avec les conversations téléphoniques qui se prolongent à l’infini. Les citoyens monténégrins ont dépensé l’année dernière environ dix millions d’euros pour les conversations téléphoniques et les SMS, indiquent les données d’un opérateur mobile. Combien d’appartements et de nourriture auraient-ils pu acheter... ?
La première impression des étrangers qui arrivent à Podgorica est celle de croissance économique. De nouveaux immeubles luxueux en construction, des rues en chantier, des routes en reconstruction, des places publiques réaménagées... Les derniers modèles des marques automobiles sont garés sur les trottoirs. Un habitant sur deux de la capitale monténégrine en possède une, ce qui représente plus de 100.000 voitures au total à Podgorica. Le nombre de familles qui possèdent plus d’une voiture augmente rapidement. On achète des voitures d’occasion, mais aussi les modèles les plus chers. Les vendeurs des voitures d’occasion à la périphérie de Podgorica et ceux de la route Podgorica-Cetinje-Budva offrent tout ce que l’on peut imaginer en industrie automobile. Les Monténégrins sont des passionnés d’automobiles, mais aussi de conduite. En dépit du nombre impressionnant de voitures, qui provoque des embouteillages fréquents en ville, Podgorica possède treize compagnies de taxis. Il semble que ce nombre de taxis par rapport au nombre d’habitants soit unique au monde.
Deux avions, s’il vous plaît !
Il ne serait pas étonnant de voir se créer des associations privées de transport aérien. En effet, il est possible d’obtenir gratuitement des avions de combat sur trois ans. Deux avions, même. C’est ce qui est récemment arrivé à « Nasa krila », le club aérien privé de Podgorica. Milo Djukanovic, ancien Premier ministre et Ministre de la Défense, lui a accordé l’utilisation triennale gratuite de deux avions de combat type « supergaleb ». Le fait que le club en question ait été fondé par ses amis (son ancien garde du corps et plusieurs agents de police) est bien sûr une pure coïncidence.
Les partis d’opposition ont dénoncé ce cadeau surprenant, et ont posé des questions ennuyeuses sur les lois qui permettent au Ministre de la Défense de donner du matériel militaire en cadeau. Le successeur de Milo Djukanovic, Boro Vucinic, a justifié ce cadeau par le fait que ces avions n’étaient plus utilisables par l’armée et que le don avait permis à l’État de « décharger le budget militaire, et de contribuer en même temps à l’affirmation du sport au Monténégro ».
Les députés de l’opposition ont vraiment titillé les partis au pouvoir : ils ont voulu savoir l’origine des moyens financiers qui permettent à d’anciens policiers - les fondateurs du club aérien, d’entretenir et de réparer ces avions. Ranko Kadic, président du parti démocrate serbe a même osé demander : « Cela nous ferait très plaisir, à nous, de faire de la plongée et de la conduite. Pouvez-vous nous offrir un sous-marin et un char de combat ? »
On accuse le gouvernement de dissiper la fortune de l’État, mais en réalité, le gouvernement se comporte en bon maître de maison. L’exemple le plus récent est celui de la privatisation de l’Institut technique marin « Sava Kovacevic » de Tivat, vendu au milliardaire canadien Peter Monk. Le gouvernement affirme que c’est une des affaires les plus réussies dans la récente histoire du Monténégro.
En plus d’environ 280.000 m² de terrains équipés d’une infrastructure excellente et situés sur la plus belle partie de la baie de Tivat, en complément de 90.000 m² de bâtiments, l’homme d’affaires canadien a obtenu un équipement technique d’une valeur de 5.476.975 euros, pour un prix total de 3,26 millions d’euros, indique le journal Vijesti de Podgorica. Le syndicat de l’Institut a demandé au gouvernement de ne pas accepter une offre inférieure à 80 millions d’euros, et cette demande a été unanimement soutenue par l’assemblée municipale de Tivat. Cependant, le gouvernement a décidé de céder le terrain, les bâtiments et des équipements d’une valeur de 5,5 millions euros à M. Monk pour la somme totale de 3,26 millions d’euros. De plus, le milliardaire canadien a obtenu une concession de 30 ans renouvelable deux fois sur les terrains appartenant à l’Institut, bien que cette décision soit illégale car le complexe en question est située sur une zone côtière.
Qui pourrait dire que le Monténégro n’est pas riche ?
Ce sont toujours les étrangers qui se croient beaucoup plus avancés dans tous les domaines que les habitants des Balkans. Un récent sondage du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a démontré qu’environ 70.000 habitants du Monténégro étaient pauvres. 12% des citoyens vivent sous le seuil de pauvreté, au fond de la misère. Les experts étrangers n’ont pas réussi non plus à calculer le nombre de riches, mais ils affirment que la différence entre les pauvres et les riches au Monténégro est aujourd’hui la plus impressionnante de la région. Les riches dépensent sept fois plus que les pauvres. Il y a une chose qui n’a pas été démontrée par le sondage mais qui est évidente : les pauvres ont honte de leur pauvreté tandis que les riches n’ont pas honte de leur fortune, même si elle est acquise en peu de temps et de façon plus que douteuse.
Les statistiques nationales présentent une situation sociale idéalisée : le salaire moyen en novembre serait de 250,34 euros, et le panier du consommateur contenant les produits alimentaires et les boissons pour une famille avec deux enfants serait de 273,01 euros.
Les enseignants et les médecins ont les salaires les plus bas. C’est pourquoi le Syndicat des enseignants a longtemps lutté contre le gouvernement, mais aussi contre la Confédération des syndicats, pour augmenter le salaire minimum. De nombreux économistes proposent d’abolir les prix fixés au niveau national et de laisser le marché se réguler. Le gouvernement a proposé en novembre une augmentation du salaire minimum de deux euros. Le syndicat des enseignants a organisé des protestations devant le Parlement. En même temps, les enseignants se sont fait accuser par la Confédération des syndicats de vouloir compromettre sa réputation de protecteur des droits des travailleurs.
Le niveau des salaires des enseignants est un exemple de ce souci constant des syndicats et de l’État de veiller aux droits des travailleurs. Les indemnités pour les transports et les repas sont toujours en retard et certains enseignants attendant deux ans pour obtenir l’assistance financière obligatoire en cas de décès d’un membre de leur famille...
Ces derniers jours, les partis d’opposition et ceux au pouvoir ont débattu sur une proposition de budget. Devinez qui l’a emporté ! Le budget total pour 2007 sera de 616,86 millions d’euros. La recherche scientifique se verra décerner 0,5% du budget, tandis que l’armée et la police, considérées comme des appareils de répression dans d’autres pays, obtiendront la modeste enveloppe de 110 millions d’euros.
Les critiques de l’opposition n’ont pas fait renoncer le gouvernement à l’idée de se construire un nouveau bâtiment au centre de Podgorica, financé par les impôts des citoyens. Il coûtera un peu plus de six millions d’euros. En effet, le gouvernement est actuellement locataire, puisque son bâtiment est par magie devenu la propriété du Parti démocrate des socialistes (DPS).
Le Monténégro entame son huitième mois d’indépendance, mais de nombreux indépendantistes sont plus préoccupés par leur propre enrichissement et la construction de villas que par la construction d’un État de droit. Les médias monténégrins ont publié les noms des personnalités qui construisent des maisons de manière illégale : Mladen Vukcevic, président de la Cour suprême du Monténégro, Miomir Mugosa, maire de Podgorica, Rajko Kuljaca, maire de Budva.
Les hommes politiques n’aiment pas exposer leurs richesses en public, même s’ils y sont obligés par la loi. La Commission de contrôle des conflits d’intérêts a décidé d’entamer des procédures contre 38 députés nationaux et élus des assemblées locales pour avoir caché leurs revenus et leurs propriétés, dont le vice-Ministre du travail, le maire-adjoint de Podgorica, le directeur exécutif de l’Agence de construction de Podgorica...
Ces personnes appartiennent probablement à la même catégorie sociale que ces gens qui ont réservé toutes les chambres d’hôtel à Zabljak en janvier, qui ont payé si cher pour passer les fêtes de fin d’année sur la côte ou à étranger, et dont les enfants font leurs études dans le monde entier...