ÉLIE WIESEL PRIX NOBEL DE LA GUERRE

Élie Wiesel, prix Nobel de la Paix en 1986, publiait dans San
Francisco Chronicle le 12 mars 2003 un article appuyant la politique
des États-Unis face à Saddam Hussein.

Dans cet article Wiesel déclare, à propos de la guerre en Irak, qu'en
toute autre circonstance il aurait sans doute rejoint les marcheurs
de la paix. Quand on connaît les prises de position du Prix Nobel de
la paix, dans des conflits antérieurs, on se demande quelles doivent
être les circonstances d'une guerre pour que Wiesel rejoigne les
marcheurs de la paix? Il suffit d'examiner ses attitudes dans des
conflits récents pour douter de sa sincérité.

Ainsi, lors de la première guerre dans le Golf, Élie Wiesel brillait
par son absence parmi les marcheurs de la paix. Pourtant, dans le même
article il se demande si la guerre n'est pas la cruauté absolue et la
forme ultime de la violence. Enfin, à propos de la guerre en
Afghanistan, Élie Wiesel se tait aussi bien à propos du massacre des
prisonniers talibans que d'internement des survivants à la base de
Guantanamo, privés de toute protection juridique et enfermés dans des
cages, comme des fauves.

Mais si dans ces deux cas, l'intervention armée des États-Unis ait pu
paraître en partie justifiée par l'invasion de Kuweit et le fanatisme
des talibans, ce sont des conflits en Yougoslavie et la dernière
guerre contre Irak qui avaient mis en lumières l'alignement
inconditionnel d'Élie Wiesel sur la politique des États-Unis.

Dans l'article mentionné, Élie Wiesel affirme, en parfait accord avec
le président Bush, que Saddam Hussein était un tyran impitoyable d'un
État voyou, mais il oublie de rappeler que les États-Unis l'avait
soutenu tant qu'il faisait la guerre contre l'Iran. Quant à
l'épouvantail des armes prohibées dont Saddam aurait pu se servir,
Wiesel croit à leur existence, car il croit à la parole de Colin
Powell: « un homme d'un tel calibre ne risquerait pas sans raison son
nom, sa carrière, son prestige, son passé, son honneur ». On reste
perplexe devant la crédibilité d'Élie Wiesel. Ou elle frise la
jobardise ou elle est feinte. Dans ce dernier cas Wiesel suppose, à
tort, l'opinion publique capable d'avaler des pareilles couleuvres.
Or, voici qu'un mois après la fin des hostilités, les troupes
anglo-américaines n'ont pas trouvé la moindre trace de ces armes de
destruction massive. Élie Wiesel, est-il pris de doutes, de remords
d'avoir proféré un mensonge? La question ne se pose même pas. Le grand
homme se terre dans le silence, car il compte sur notre amnésie.

Mais c'est probablement dans le conflit qui avait déchiré
l'ex-Yougoslavie qu'apparaît le plus clairement l'ambiguïté d'Élie
Wiesel, l'homme de la paix virtuel et de la guerre réelle. Dans son
article, il affirme que seule une intervention militaire avait pu
mettre fin au bain du sang dans les Balkans. En effet, le 13 décembre
1995, Wiesel avait déclaré dans le bureau ovale de la Maison Blanche
et en présence du président Clinton que l'envoie des troupes de
maintien de la paix en Bosnie est un impératif moral. Fidèle à lui
même, il évoque la morale pour justifier les visées géostratégiques
des États-Unis et d'Allemagne, des véritables maîtres d'œuvre de cette
guerre.

Il est impossible d'imaginer que Élie Wiesel ne le savait pas, lui qui
fraie le gratin politique et intellectuel de son pays d'adoption. Si on
en doutait de cette réalité, il suffirait de relire les journaux
européens du décembre 1991 pour se rappeler que dans la nuit du 17 au
18 décembre 1991 le ministre allemand des affaires étrangères Hans
Dietrich Genscher avait arraché à Rolland Dumas, ministre des affaire
étrangères de la France, la reconnaissance de la Slovénie et de la
Croatie par les pays européens, ce qui a mis le feu aux poudres.
L'armement de la Croatie par l'Allemagne réunifiée et des musulmans
par des avions cargo américains atterrissant la nuit à l'aéroport de
Tuzla, en dépit de l'embargo sur les armes proclamées par les Nations
Unies, sont des secrets de polichinelle. Par la décomposition de la
Yougoslavie l'Allemagne avait enfin réalisé son vieux rêve de faire
disparaître le dernier vestige du traité de Versailles.

Pour ce qui est de la guerre en Bosnie tout se passait comme si dans
les esprits de certains dirigeants occidentaux ce conflit se présenta
comme une occasion unique de faire un deal avec le monde islamique :
concluons la paix en Israël et en contre partie vous aurez un État
musulman en Bosnie. Comment expliquer autrement sa charge contre les
Serbes dans son article du Time du 7 août 1995 et son support pour un
fondamentaliste islamique tel que Alia Izetbegovitch, auteur de la
fameuse Déclaration islamique qui prône l'incompatibilité d'un État
laïque avec la charia ?

Dans la politique tous les accords se font sur le principe du donnant
donnant, Hélène Carrère d'Encausse dixit. Elie Wiesel était le
complice conscient de cette politique.

Toutes les sanctions économiques contre la Yougoslavie et les actions
militaires contre les Serbes en Bosnie ont été justifiées par des
prétendus massacres commis par les Serbes. Or nous disposons
aujourd'hui des témoignages irrévocables prouvant qu'au moins deux de
ces massacres étaient organisés par les musulmans. Le premier de ces
massacres se produisit le 27 mai 1992 devant une boulangerie de la rue
Vasa Miskin à Sarajevo. Le général canadien Lewis MacKenzie, le
premier commandant des troupes des Nations Unies à Sarajevo, témoin
privilégié, écrit à ce propos dans son livre The road to Sarajevo :

« La présidence bosniaque dénonce un bombardement serbe. Les Serbes
parlent d'une charge explosive préparée à l'avance. Nos soldats (les
Canadiens) disent qu'il y a un certain nombre de détails qui ne
collent pas. La rue a été bloquée juste avant l'incident. Une fois la
file d'attente formée, les médias bosniaques ont fait leur apparition,
mais sont restés à distance avant de se ruer sur les lieux sitôt
l'attaque terminée ».

La première intervention militaire contre les Serbes de Bosnie s'était
produite suite au massacre de la place de Marcalé, commis prétendument
par les Serbes. D'après Le Nouvel Observateur du 31 août 1995, Édouard
Balladur, premier ministre français et les généraux français savaient
très bien que ce massacre n'était pas l'œuvre des Serbes, mais il a
permit à l'Otan de sortir de ses atermoiements. Donc les Serbes ont
été bombardé pour raison de commodité. Du moins Édouard Balladur a eu
le courage de dire « nul ne le conteste, pour gouverner, il arrive
qu'il faille recourir à des procédés qui ont peu à voir avec la morale
courante « ( Les mots des politiques, Éditions Ramsay, 1996).

Élie Wiesel ne pouvait pas ignorer ces faits, comme il ne pouvait pas
ignorer la mise en scène du massacre de Ratchak au Kosovo en 1999 car
celui-ci avait servi du prétexte pour déclencher la guerre contre la
Yougoslavie en mars de la même année, mais il continuait de se taire.

Ceci nous amène à poser la question si désormais le prix Nobel de la
Paix ne devait pas être attribué à titre posthume. Le cas d'Élie
Wiesel montre qu'un récipiendaire du prix Nobel de la paix peut de son
vivant se métamorphoser en un partisan de la guerre.

Il est probable aussi que si les membres de l'Académie norvégienne
s'étaient donnée la peine de lire le livre de Wiesel Legends of our
times, publié pour la première fois en 1968 chez Schocken Books, New
York, ils auraient réfléchi deux fois avant de lui donner le
prestigieux prix. Ils auraient pu y trouver notamment la phrase
suivante: « Chaque Juif, quelque part dans son être, doit instaurer une
zone de haine – une haine saine, une haine virile - pour tout ce que
les Allemands personnifient et représentent. Faire autrement serait
trahir les morts ».

Sans doute, Élie Wiesel a souffert dans sa chair à Auschwitz et on
peut comprendre qu'il ne porte pas les Allemands dans son cœur, mais
de là à faire l'apologie de la haine de tout un peuple, il y a là
quelque chose d'incompatible avec un homme qui aspire à être la
conscience universelle. Et puis, qui peut le nier, la haine n'est-elle
pas en dernière instance le désir de meurtre ?

À propos d'Élie Wiesel, on ne peut s'empêcher de penser à Primo Lévi,
un autre juif rescapé du camp d'Auschwitz et qu'on est tenté de
regarder comme antithèse de Wiesel. Il en est sur plusieurs plans. À
sa libération il reprend son métier d'ingénieur chimiste et fuit les
honneurs, les mondanités et surtout la fréquentations des puissants de
ce monde. Dans sa volonté de comprendre, il ira jusqu'à établir le
contact avec celui qui fut son chef au laboratoire de chimie à
Auschwitz et seule la mort de cet homme l'empêchera de le rencontrer.
Dans son œuvre magistrale, en grande partie autobiographique, la haine
d'Allemand est totalement absente. Lévi ne s'instaure pas le juge
suprême du Bien et du Mal, comme le fait Wiesel qui s'approprie ainsi
des attributs de Dieu. Pour un homme, qui se dit croyant, cette
appropriation abusive laisse une impression de malaise. L'œuvre de
Lévi pose implicitement la question fondamentale: comment un univers
concentrationnaire ait pu éclore au pays de Goethe et de Beethoven ?
C'est finalement la même question que Soljenitsyne pose pour la
Russie, patrie de Dostoïevski et de Tchaïkovski.

Plus je réfléchis sur ces deux rescapés d'Auschwitz, plus mes
préférences vont à Primo Lévi.


Trois-Rivieres (Canada), 15 mai 2003

Négovan Rajic

negovan.rajic@...