La Comédie Française censure Handke

1) Le Nouvel Observateur : " Peter Handke crée la polémique "
2) Ne censurez pas l'oeuvre de Peter Handke, par Anne Weber
3) "Le motif principal de mon voyage, c'était d'être témoin"
4) "Je n'ai jamais eu de position négationniste"

Source : http://fr.groups.yahoo.com/group/alerte_otan/messages
Liste gérée par des membres du Comité de Surveillance OTAN


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Le Nouvel Observateur : " Peter Handke crée la polémique "

"Je suis heureux d'être près de Slobodan Milosevic qui a défendu son
peuple", a déclaré - en serbe - Peter Handke, le 18 mars, sur la
place de la Libération à Pozarevac. L'invité surprise y affichait son
deuil aux côtés de 20.000 fanatiques. Fidèle au "Boucher des Balkans"
et à sa propre position révisionniste, l'écrivain autrichien, auteur
de "Justice pour la Serbie", était venu en "voyageur de la vérité".
Ainsi Handke, pour qui "être pro-serbe est un titre d'honneur",
persiste dans sa défense de "Slobo", considère les Serbes comme "les
vraies victimes de la guerre", approuve le massacre de Srebrenica et
autres crimes commis au nom de la purification. Brandissant le
drapeau serbe, se pressant pour toucher le corbillard et y déposer sa
rose rouge, Handke fait triste figure. Avec son hommage au despote,
le poète a définitivement creusé la tombe de son honneur perdu."

Ruth Valentini
Le Nouvel Observateur - 06/04/2006


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http://www.lemonde.fr/web/article/
0,1-0@2-3232,36-767768@51-765912,0.html

Ne censurez pas l'oeuvre de Peter Handke, par Anne Weber

Le 6 avril 2006, dans la rubrique "Sifflets" du Nouvel Observateur,
parut une notule portant sur Peter Handke, signée Ruth Valentini. La
journaliste y qualifie l'écrivain de "révisionniste", prétend qu'il
"approuve le massacre de Srebrenica et autres crimes commis au nom de
la purification", et lui prête des propos qu'il n'a jamais tenus.
Dans une lettre au Nouvel Observateur, Peter Handke répond à ces
accusations. Trois semaines plus tard, sa réponse n'a toujours pas
été publiée, "la personne qui s'occupe du courrier des lecteurs étant
actuellement en vacances".

En attendant, il a suffi des cinq phrases mensongères de Ruth
Valentini pour décider Marcel Bozonnet, administrateur de la Comédie-
Française, à déprogrammer une pièce de Peter Handke qui devait être
jouée dans une mise en scène de Bruno Bayen à la rentrée de 2007. En
rendant publique sa décision, Marcel Bozonnet n'a pas eu honte de
donner pour seul motif la parution de cet article dans Le Nouvel
Observateur (après l'avoir lu, "mon sang n'a fait qu'un tour"). Sans
prendre la peine de vérifier les affirmations de la journaliste,
Marcel Bozonnet, en profite pour se poser publiquement - et à peu de
frais - en défenseur des victimes et en héros des droits de l'homme.

Retenons la seule information vraie de l'article de Ruth Valentini :
Peter Handke est allé à l'enterrement de Slobodan Milosevic. Il ne
s'agit pas ici de décider s'il a eu tort ou raison d'y aller. Il
s'agit de savoir si ce fait doit justifier ou non le rétablissement
en France d'une forme de censure exercée par les bien-pensants.

En réalité, la censure a déjà fonctionné bien avant cette
déprogrammation qui n'est que l'aboutissement (provisoire) d'une mise
au ban systématique exercée depuis quelques années maintenant à
l'encontre de Peter Handke. Depuis qu'il a commencé à dénoncer la
diabolisation des Serbes et à poser des questions sur la guerre
civile yougoslave dans Un voyage hivernal vers le Danube, la Save, la
Morava et la Drina (Gallimard), l'écrivain est traité par les médias
comme un dangereux ennemi public qu'on peut insulter impunément et
dont chacun peut déformer les propos à sa guise : le calomniateur
apparaîtra dès lors comme un admirable militant pour la bonne cause.

L'unanimité des journaux est frappante, et leur influence est telle
qu'il y a désormais des libraires qui refusent d'avoir des livres de
Peter Handke dans leurs rayons. Le Recommencement, Le Malheur
indifférent, La Leçon de la Sainte-Victoire, qui comptent parmi les
plus beaux livres du siècle dernier, sont boycottés, censurés. On
préfère se fier à l'avis du Nouvel Observateur plutôt que de se
confronter à une oeuvre considérable et magnifiquement singulière.

Cette oeuvre, heureusement, n'a pas besoin qu'on la défende. Elle
ignore les opinions. Elle est là, riche et calme, vaste et vivante.
Elle n'aura pas "le dernier mot", d'ailleurs, elle ne cherche pas à
l'avoir. Elle n'attend rien. Elle ne donne pas de réponse. Ceux qui
n'ont pas tout compris d'avance sauront la trouver.

Anne Weber est écrivain.
Ce texte a reçu le soutien de :
Klaus Amann, Nicole Bary, Ruth Beckermann, Patrick Besson, Gérard
Bobillier, Luc Bondy, Jacqueline Chambon, Yves Charnet, Vladimir
Dimitrijevic, Anne Freyer, Robert Hunger-Bühler, Elfriede Jelinek,
Peter Stephan Jungk, Colette Kerber, Emir Kusturica, Christine
Lecerf, Olivier Le Lay, Jean-Yves Masson, André Marcon, Jean-Michel
Mariou, Mladen Materic, Robert Menasse, Pierre Michon, Patrick
Modiano, Emmanuel Mosès, Paul Nizon, Bulle Ogier, Colette Olive,
Pierre Pachet, Christophe Pellet, Serge Regourd, Pierre-Guillaume de
Roux, David Ruffel, Eryck de Rybercy, Robert Schindel, Elisabeth
Schwagerle, Sophie Semin, Erich Wolfgang Skwara, Gerald Stieg, Josef
Winkler.


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http://www.lemonde.fr/web/article/
0,1-0@2-3246,36-767785@51-765912,0.html

"Le motif principal de mon voyage, c'était d'être témoin"

Voici de larges extraits du récit envoyé par Peter Handke à la revue
allemande Focus, qui lui avait adressé une demande d'interview après
sa participation aux obsèques de Slobodan Milosevic. Le texte a été
publié le 27 mars.

A la mort de Slobodan Milosevic, contrairement à une collectivité que
je ne crois pas si collective, je n'ai pas "réagi avec satisfaction",
tant il est avéré que le tribunal a laissé mourir le détenu
emprisonné depuis cinq ans dans une prétendue "prison cinq
étoiles" (Libération). Non-assistance à personne en danger : cela
n'est-il pas un crime ? J'"avoue" avoir ressenti quelque chose comme
un chagrin qui, le soir qui a suivi la nouvelle du décès, en marchant
dans les rues environnantes, m'a donné l'idée d'allumer un cierge
pour le défunt.

Et cela en serait resté là. Je n'avais pas l'intention de me rendre
aux funérailles à Pozarevac. Quelques jours plus tard me parvenait
l'invitation, non pas du parti, mais de la famille (qui, du reste, à
l'heure de l'enterrement, à la différence de ce qui a été colporté,
était en grande partie présente). C'est évidemment moins cela qui m'a
poussé au voyage que les réactions des médias occidentaux,
unanimement hostiles, plus hostiles encore après le décès, et au-
delà, des porte-parole du tribunal, ainsi que de l'un ou l'autre
"historien". C'est le langage tenu par tous ceux-là qui m'a poussé à
faire le voyage. Non, Slobodan Milosevic n'était pas un "dictateur".
Non, Slobodan Milosevic n'a pas "déclenché quatre guerres dans les
Balkans". Non, Slobodan Milosevic ne peut être qualifié de "bourreau
de Belgrade". Non, Slobodan Milosevic n'était pas un apparatchik, ni
un "opportuniste". Non, Slobodan Milosevic n'était pas
"indubitablement" coupable. Non, Slobodan Milosevic n'était pas
"autiste" (d'ailleurs, les autistes si gravement malades pourront-ils
jamais se défendre de cette référence diffamatoire à leur maladie ?)
Non, avec sa mort dans sa cellule de Scheveningen, Slobodan Milosevic
ne "nous" (le tribunal) a pas "joué un mauvais tour" (Carla del
Ponte), non, avec sa mort, Slobodan Milosevic ne nous a pas "tiré le
tapis sous les pieds", ni n'a "éteint la lumière" (les mêmes). Non,
Slobodan Milosevic ne s'est pas "dérobé à la condamnation de
culpabilité, sans doute À VIE".

Slobodan Milosevic "n'échappera cependant pas pour autant au jugement
des historiens" (un "historien") : langage une fois encore non
seulement mensonger, mais éhonté.

C'est un tel langage qui m'a incité à prononcer ce mini-discours à
Pozarevac - en premier et dernier lieu ce langage. (...) Non pas par
loyauté à Slobodan Milosevic, mais par loyauté à cet autre langage
qui n'est pas celui des journalistes, qui n'est pas le langage dominant.

(...) Le motif principal de mon voyage, c'était d'être témoin.
Témoin, ni dans le sens de l'accusation, ni dans le sens de la
défense. Est-ce qu'aujourd'hui ne pas vouloir être le témoin de
l'accusation signifie être pour l'accusé ? "Indubitablement",
conformément à l'une des formules majeures du langage dominant ?

Traduction : Monique Rival.


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http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3260,36-768083,0.html

"Je n'ai jamais eu de position négationniste"

Le 18 mars, Peter Handke assistait à l'enterrement de Slobodan
Milosevic, l'ex-président de la Serbie, mort le 11 mars alors qu'il
était jugé pour génocide et crimes de guerre devant le Tribunal pénal
international de La Haye. Suite à un court article publié dans Le
Nouvel Observateur - que Peter Handke a décidé d'attaquer en
diffamation -, l'administrateur général de la Comédie-Française,
Marcel Bozonnet, décidait de déprogrammer la pièce de Peter Handke
Voyage au pays sonore ou l'art de la question, qui devait être mise
en scène en janvier-février 2007 au Vieux-Colombier par Bruno Bayen.

"Dégoûté" par toute cette affaire, Peter Handke accepte aujourd'hui
d'en parler, même si sa voix, jusqu'alors si calme, devient plus
pressée, les mots plus durs, et qu'il s'emporte dès qu'il fait - et
s'en excuse - "le politicien".

En 1996, lorsque parut, dans la Süddeutsche Zeitung, le grand
quotidien allemand, le texte qui allait devenir Un voyage hivernal
vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina, Peter Handke se
rappelle avoir été qualifié de "terroriste", d'"avocat proserbe". Le
quotidien espagnol El Pais y avait même lu une approbation du
massacre de Srebenica. "Je n'ai jamais eu de position négationniste,
s'insurge Peter Handke. Pourquoi n'ouvre-t-on pas ce livre, mes
livres, au lieu de m'accuser ! J'ai écrit sur les victimes serbes
parce que personne n'avait écrit sur elles, même si je pense aussi
aux victimes croates, aux Musulmans." Parti au pays des "agresseurs"
- un terme qu'il refuse -, Peter Handke décide de donner à lire une
réalité plus complexe que celle que donnaient "les hordes des agités
à distance, lesquels confondent leur métier qui est d'écrire avec
celui d'un juge et même avec le rôle d'un démagogue". Il voulait
alors, dit-il, "écouter, donner à voir et à réfléchir. Sans juger".

"Je raconte les réfugiés serbes. Personne ne parle de ça. Pourquoi
les journaux ne font-ils pas de grands reportages là-dessus ?",
s'interroge-t-il, ajoutant : "Je reviens du Kosovo. Il ne reste que
deux ou trois villages serbes, littéralement encerclés. Sait-on que
l'on jette des pierres sur les bus qui ont gardé des inscriptions
cyrilliques ? A quoi pensent les parents albanais pour laisser leurs
enfants faire ça ? Il faut qu'on parle de ça, qu'on raconte."

Celui qui a "admiré" la Yougoslavie ("C'est le premier pays en Europe
qui s'est libéré quasiment tout seul : ils ont chassé les Allemands")
dit avoir été "véritablement en colère contre François Mitterrand
d'avoir cédé à Helmut Kohl quand la Croatie et la Slovénie ont
réclamé leur indépendance. La guerre était dès lors inévitable. Tout
ça au nom de la prétendue amitié franco-allemande. Mais pour moi ça
ne vaut rien une amitié qui détruit un grand Etat !"

Pour montrer son opposition à la participation de l'Allemagne à la
guerre, Peter Handke rend le prix Georg-Büchner (l'équivalent du prix
Goncourt) en 1999. Cette même année, il quitte l'Eglise catholique,
après qu'elle eut approuvé le bombardement de la Serbie par l'OTAN et
que le pape Jean Paul II eut béatifié le cardinal d'origine croate
Alojzije Stepinac, accusé d'avoir soutenu le régime oustachi, milice
croate responsable de l'extermination de centaines de milliers de
juifs et de Tziganes, ainsi que de sanglants massacres de Serbes. La
même année, Claudio Magris tentait, dans les colonnes du quotidien
italien Il Corriere della Sera, de comprendre Handke. L'écrivain
italien y voyait "une réaction à l'information unilatérale qui
dénonce sans cesse les crimes commis par les hommes de Milosevic mais
passe sous silence ceux perpétrés par les hommes du Croate Tudjman et
du Musulman Izetbegovic, pourtant nombreux et atroces, mais qui, à la
différence des premiers, ne sont pas entrés dans la conscience
occidentale".

Mais pourquoi aller à Pozarevac, sur la tombe de Milosevic ? "Je le
disais dans les quelques mots que j'ai prononcés à cette occasion :
le monde, le prétendu monde, sait tout sur Slobodan Milosevic. Le
prétendu monde sait la vérité. C'est pour ça que le prétendu monde
est absent aujourd'hui, et pas seulement aujourd'hui, et pas
seulement ici (...). Je ne sais pas la vérité. Mais je regarde.
J'entends. Je sens. Je me rappelle. Je questionne. C'est pour ça que
je suis présent aujourd'hui." Aujourd'hui encore, il refuse le terme
de dictateur : "Il a été élu." Et affirme être non pas "pour", mais
toujours "avec" les Serbes, et "avec" la Serbie, même si, ajoute-t-
il, il ne s'agit en aucun cas d'"insulter un autre peuple".

"Je suis seul et, quand on vit seul, on a tendance à se sentir
coupable (c'est la tendance Kafka) ou magnifique. Ce sont les deux
dangers. Je ne suis ni coupable ni un héros. Je suis le troisième
homme", ajoute-t-il enfin.

Emilie Grangeray
Article paru dans l'édition du 05.05.06