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Kosovo : « Indépendance ? Ici c’est le règne des clans »

Tommaso Di Francesco

Decani (KOSOVO) - C’est le monument médiéval le plus important de
Serbie, par ses fresques et par son histoire, tombe de rois et lieu
de couronnements. Eglise, monastère, un grand ensemble monastique, et
maintenant les ateliers du bois et de la peinture d’icônes, et plus
au sud, une antique vigne. Pour l’Unesco elle appartient au
patrimoine de l’humanité, pour l’histoire de l’art c’est « le chaînon
manquant pour comprendre notre Moyen-Âge ».

16 mars 2007 - Il manifesto


Dehors, le contingent militaire italien qui le protège – en 2004 on a
même tiré des coups de mortiers sur le monastère. Dedans, une
communauté de gens réfugiés des destructions qui vont de 1999 à
aujourd’hui, avec un pic en 2004, y compris les quatre religieuses
qui sont venues se mettre à l’abri dans ce couvent après la
destruction de la Sainte Trinité de Djakovica. Une litanie de
réfugiés qui a vu fuir dans la terreur 200 mille serbes et autant de
roms. Et comme il est impossible d’imaginer un lieu de culte dans
l’absolu, d’autant moins chez les orthodoxes, sans une communauté –
d’autant que ces provinces se sont toujours appelées Kosmet (Kosovo
et Metohja, Terre de l’église) – les monastères sont désormais une
lieu de défense, un symbole de ce qui reste de la présence des Serbes
dans ce Kosovo qu’une bonne partie de la communauté internationale
veut remettre à une nouvelle indépendance statale ethnique : albanaise.

Nous avons posé quelques questions au Père Sava, responsable et
souvent porte-parole des Serbes qui sont restés : nous l’avions
rencontré la veille à Villaggio Italia, la base du contingent de la
Kfor, où il était venu pour une rencontre interconfessionnelle avec
des représentants musulmans et catholiques, organisé par le général
Attilio Claudio Borreca, commandant des contingents Kfor de la zone
ouest. Notre entrevue a eu lieu dans l’extraordinaire bibliothèque du
couvent, avec l’aide de Père Andrej.

Que feriez-vous si l’on accordait l’indépendance selon le plan du
médiateur de l’Onu, Martthi Ahtisaari, plan rejeté dans les
négociations officielles de Vienne ? Le Patriarche Pavle a invité les
serbes à rester au Kosovo.

Les Serbes vivent sur ces terres depuis des siècles, ils y ont vécu
sous diverses autorités, et l’église orthodoxe y a vécu, même sous
différents systèmes politiques, en témoignant de la vérité de Christ.
Le Patriarche Pavle a invité notre peuple à rester fidèle à sa foi et
à sa tradition. Le Conseil de sécurité de l’Onu doit encore décider
comment va se développer la crise du Kosovo. Il ne s’agit pas d’une
question « locale » entre Belgrade et Pristina, mais du nouvel ordre
géostratégique mondial. Le plan de Ahtisaari contient pas mal
d’éléments significatifs pour une permanence des Serbes, mais dans le
contexte d’un Kosovo indépendant qui n’aura plus de liens
institutionnels avec la Serbie. Et cela génère une grande
préoccupation du côté serbe, à cause de la peur, fondée, que sans
liens avec la Serbie il ne soit pas possible de garantir la présence
à long terme du peuple serbe au Kosovo. Le plan a de nombreux
éléments positifs, mais le contexte politique institutionnel négatif
qu’il propose décourage les serbes d’accepter même les éléments
positifs. Maintenant on discute beaucoup à Belgrade de la dernière
version du plan Ahtasaari. Qui, d’un côté refuse le projet de
Pristina d’affaiblir les dispositios de protection de la minorité
serbe, mais de l’autre dit non aussi à la demande des autorités de
Belgrade d’une connexion entre les propositions du plan et la
résolution de l’Onu 1244. Cette résolution reconnaissait les accords
de paix de Kumanovo mettant fin à la guerre de l’OTAN, et qui
prévoyait le retour du Kosovo sous l’autorité étatique de la Serbie.

Ces jours ci, après les agressions dont les monastères ont été
l’objet, les autorités de Belgrade ont demandé qu’en plus des
militaires de la Kfor, la police serbe assure la protection des
églises orthodoxes...

Les médias l’ont présenté comme le thème majeur des négociations
auxquelles a participé notre évêque Théodose. Ça n’a été qu’un des
arguments de la discussion, immédiatement abandonné. La proposition,
par contre, a été faite parce qu’à Belgrade on craint que la Kfor,
face à la déclaration de la fameuse indépendance, ne prépare son
retrait de la protection des monastères orthodoxes pour la
transmettre au Corps de police kosovar-albanais (en majorité composé
des ex-milices de l’Uck, NDR). Car, dans le plan Ahtisaari, on dit
qu’ « il faut libérer la Kfor dès que possible de son activité
militaire ». La position de l’Eglise est que la Kfor continue à
protéger le plus longtemps possible les huit lieux sacrés orthodoxes
que la Kfor-OTAN protège déjà – la majorité étant dans cette zone et
impliquant le contingent italien. La police kosovar-albanaise, en
particulier dans cette zone, n’est ni capable ni motivée pour
protéger des monuments chrétiens. Pendant le soulèvement de mars
2004, leur rôle a été décevant. C’est pour cela que la proposition de
la co-présence de la police de Belgrade en appui des militaires OTAN
était assez légitime, mais impossible à proposer parce qu’ensuite il
faudrait encore plus de militaires Kfor pour protéger les policiers
serbes. Mais parler de police serbe n’est pas une provocation, le
danger est encore entier. Et il concerne aussi les églises que nous
reconstruisons à Pristina, à Podujevo, et en particulier à Pec, qui a
été à nouveau violée ces jours derniers. Ce sont des églises qui ont
subi des destructions et des incendies en mars 2004, elles ont été
reconstruites grâce au Conseil européen, qui avaient des
représentants albanais et serbes, et avec l’argent du gouvernement
kosovar ; mais je dois dire qu’elles ont à nouveau été violés et
volées. La police kosovar n’a rien fait.

Mais existe-t-il pour vous des systèmes démocratiques - à l’égard des
minorités, des méthodes non violentes, des garanties des droits
humains – pour concéder son indépendance au Kosovo ?

Nous posons toujours la même question aux représentants de la
communauté internationale : comment peut-on parler d’indépendance
pour une société qui est pratiquement au niveau des clans qui
gouvernent le Kosovo ? Et où les institutions sont une façade
derrière laquelle commandent de puissants personnages de l’ex-Uck ?
Quand nous continuons, nous, à avoir de graves problèmes avec les
municipalités qui nous répondent qu’ils sont impuissants à résoudre
les problèmes que nous posons en tant que communauté religieuse et
serbe, et où tous les problèmes sont délégués, sous l’influence de
personnages comme Ramush Haradinaj et Hasim Thaqui qui se sont
disqualifié internationalement. Alors que pour mettre en acte un plan
d’indépendance assez complexe il faut au moins qu’il y ait une
implication d’autorités réelles, pas seulement locales, et
politiquement crédibles et efficientes. Peut-être que la crédibilité
est plus grande dans le centre du Kosovo, où la présence
internationale est plus importante. Mais le nœud du problème,
partout, reste les municipalités. Avant qu’une décision n’arrive à
Decani, Djakovica ou Pec, elle se perdra en chemin. Et nous
craignons, de ce fait, que de nombreuses dispositions du plan soient
impossibles à garder : les pouvoirs exécutifs doivent rester dans les
mains de la communauté internationale, en espérant que se développe
tôt ou tard une élite démocrate qui n’aura plus besoin de
protectorats. Pour la protection du patrimoine culturel orthodoxe
nous demandons concrètement une tutelle de l’Union Européenne. Nous
voulons que l’OTAN reste le plus loin possible. Ces lieux sacrés
pourraient être détruits en une seule nuit et tout l’effort apporté
jusqu’à présent par vos contingents pourrait être réduit à zéro à
cause de la concession peu prudente à l’indépendance.

Comment cela va-t-il finir, alors ?

Nous sommes optimistes. Bien sûr, pour l’être, nous ne nous fondons
pas que sur des évaluations politiques, sinon nous devrions être plus
que pessimistes. Nous avons une vision eschatologique des problèmes.
Comme les fresques de notre église, nous ne nous représentons pas la
réalité comme elle est mais comme nous croyons qu’elle sera dans le
royaume des cieux. Mais revenons à la réalité. Nous souhaitons, nous,
que la présence internationale demeure, autant militaire que civile,
au moins jusqu’à ce que tous les Balkans occidentaux soient intégrés
dans l’Union européenne. C’est très important de maintenir la
stabilité politique en Serbie, en faisant la concession de ne pas
donner au Kosovo une place aux Nations Unies comme si c’était un état
reconnu internationalement, et cela jusqu’au moment de l’intégration
totale des Balkans occidentaux en Europe quand cette question aura
été résolue. La Serbie est prête maintenant à concéder au Kosovo de
nombreux éléments d’un statut d’autonomie, quasiment étatique, mais à
l’intérieur de la Serbie : il aurait toutes les prérogatives d’un
état sans un poste à l’ONU, et bien sûr avec le maintien de liens
institutionnels avec les Serbes du Kosovo, à travers une
collaboration flexible avec les institutions du Kosovo. La
proclamation d’une indépendance complète entraînerait une
déstabilisation plus grande dans tous les Balkans. Je ne dis pas ça
pour que les Albanais n’obtiennent pas ce qu’ils veulent. Peut-être
eux aussi ont-ils le droit de désirer leur indépendance, de la même
façon que les Serbes ont le droit de continuer à vivre dans leur
pays, dans un Kosovo serbe, comme il l’a été pendant tous ces siècles.

Il faut trouver une solution provisoire, liée à une dynamique vers
l’Union européenne. Cela conditionnerait Belgrade et Pristina à un
objectif commun, et cela les obligerait à être fidèles aux accords.
C’est le seul moyen qui pourrait apporter une plus grande stabilité à
cette région, aux Balkans et à l’Europe. Nous allons voir maintenant
ce que vont décider les grands pouvoirs mondiaux, parce que, pour
finir, l’accord se fera entre Washington, Moscou et Bruxelles, tous
prêts à faire accepter le plan Ahtisaari tel qu’il est.


Edition de jeudi 15 mars 2007 de il manifesto
www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/15-Marzo-2007/art28.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio