(Estratti delle interviste a Karadzic, tratti dal testo originale - in lingua italiana - di Jean Toschi Marazzani Visconti IL CORRIDOIO Viaggio nella Jugoslavia in guerra, sono riprodotti alla pagina https://www.cnj.it/documentazione/karadzic.htm su gentile concessione dell'Autrice)

Extraits du livre Le Corridor par Jean Toschi Marazzani Visconti

 

Chapitre 5: Pale

 

(...) L'ouverture des hostilités entre Serbes orthodoxes et musulmans, en avril 1992, avait été précédée d'une série de provocations réciproques, dont celle qui avait eu pour prétexte le mariage entre une musulmane et un Serbe, le 1er mars - le père du marié avait été tué par une bande de musulmans. Les provocations avaient culminé avec l'attaque de la caserne de l'armée fédérale de Novi Sarajevo, le 7 avril suivant. (...)

En mai 1993, j'interviewai pour la première fois Radovan Karadzic, la veille d'un rendez-vous crucial avec le Parlement de la petite république. Il s'agissait pour lui de faire accepter le plan de division Vance-Owen, qu'il avait signé sous la pression internationale, sous celle du président fédéral yougoslave, Dobrica Cosic, et du président de la Serbie, Slobodan Milosevic au cours d'une réunion qu'ils avaient eue à Athènes. La rencontre, organisée en terrain  neutre par le gouvernement grec, avait eu pour but de convaincre Karadzic de souscrire au plan pour éviter une intervention armée, et dans l'espoir d'obtenir un blocage des nouvelles sanctions. Naturellement, le projet de diviser la Bosnie en dix provinces, avec des corridors de jonction sous contrôle des casques bleus, était considéré comme injuste par les Serbes, puisqu'ils avaient conquis 70% du territoire. Sous le poids des menaces internationales, Karadzic avait cependant dû signer l'accord, s'en remettant, pour la décision finale, au Parlement de la République Srpska et à un éventuel référendum populaire.
Le choix de Karadzic avait déchaîné la colère des groupes les plus extrémistes du Parti Radical de Seselj, qui avaient proféré de graves menaces à son encontre. La réunion parlementaire allait se tenir le mercredi 5 mai à Bijeljina, avec la participation du président fédéral de la Yougoslavie et des deux présidents de la Serbie et du Monténégro, outre celle du premier ministre grec Costantin Mitsotakis, promoteur de l'action pacificatrice.

Cette interview, la voici ( Interview pubbliée sur Il Manifesto, mercredi 5 mai 1993) :

 

Q.     « Aujourd'hui, le parlement serbo-bosniaque devra se prononcer sur l'acceptation ou non du plan de paix que vous avez signé dimanche dernier. Y a-t-il  des chances qu'il soit approuvé ?

R.      Il y en a 50%. Mais j'espère, pour le bien du peuple serbe, que la réponse sera positive, pour sortir de l'étau des sanctions, qui rendent la vie des civils impossible.

Q.     Pourquoi avez-vous accepté de signer le plan Vance-Owen à Athènes ?

R.      J'y ai été contraint par l'énorme pression internationale, et par la perspective d'atteindre, après la guerre, des objectifs très importants pour nous. Quoi qu'il en soit, le plan de paix n'a pas été signé. J'y ai donné mon aprobation sous condition : j'ai exigé qu'une clause y soit insérée, précisant que ma signature doit être avalisée par notre Parlement.

Q.     Malgré la signature du cessez-le-feu et l'accord d'Athènes, les Serbes bombardent encore Sarajevo et d'autres villes de la Bosnie. Pourquoi ?

R.      Les Serbes se défendent s'ils sont attaqués. Depuis le 18 décembre 1992, nous avons déclaré notre volonté de paix. Nous ne sommes donc plus en guerre. Nous répondons seulement si nous sommes agressés. Ce ne sont pas les Serbes qui bombardent Sarajevo, ce sont les musulmans. Ils le font toujours, pendant qu'il y a des conférences. C'est une de leurs habitudes que de bombarder leurs propres zones et de prétendre que ce sont les Serbes qui le font. Il s'agit d'une opération médiatique classique.

Q.     Est-il vrai que les Serbes ont l'intention d'occuper toute la Bosnie orientale ?

R.      Les Serbes ne veulent que leurs territoires. Ceux dans lesquels ils sont en majorité.

Q.     Si le Parlement serbo-bosniaque refuse l'accord et que les Etats-Unis interviennent militairement, que comptez-vous faire ?

R.      Il est probable que, si le Parlement refuse l'accord, nous serons bombardés. Des milliers de civils, femmes et enfants serbes mourront. Je pense que, si nous sommes attaqués, nous aurons le droit de nous défendre. Alors, nous ne serons plus les agresseurs, mais les agressés. Même si nous sommes forcés de nous battre pour nos droits. C'est ce que la communauté internationale a toujours refusé de comprendre.

Q.     Comment jugez-vous la position de Belgrade, qui a exercé sur vous une forte pression pour vous faire accepter le plan Vance-Owen ? Et quelle influence a-t-elle eu sur votre décision ?

R.      Une très forte. C'est compréhensible. Les Serbes de la Fédération Yougoslave souffrent durement à cause de l'embargo et de la guerre en Bosnie. Ils en sont arrivés à la catastrophe économique. Ils désirent la paix pour mettre fin à cette situation impossible.

Q.     Y a-t-il quelque fondement, dans les bruits qui courent sur l'éclatement possible d'une guerre civile entre les Serbes yougoslaves et bosniaques ?

R.      Je ne le crois pas. Ils nous ont toujours soutenus. Si nous signons, ce sera pour eux un grand soulagement. Mais si le plan n'est pas accepté, ce sera un désastre terrible pour tout le monde.

Q.     Est-il possible qu'une des raisons qui ont poussé Belgrade à faire pression sur vous, soit qu'ils prévoient devoir affronter sous peu un problème au Kosovo ?

R.      Effectivement. Ils ont des problèmes au Kosovo. Et nous savons qu'aussitôt que la paix sera faite, les Etats-Unis commenceront à créer des ennuis au Kosovo . Nous coopérons avec Belgrade. Ils voudraient que nous signions la paix, mais personne ne peut forcer notre Parlement à le faire.

Q.     Nous avons entendu dire qu'il court des bruits à propos d'un complot destiné à vous assassiner. Cela correspond-il à une réalité ?

R.      Beaucoup de radicaux sont hostiles à ma décision d'accepter le plan Vance-Owen. Le nombre des extrémistes est en augmentation. Pour eux, nous sommes trop modérés. Les Serbes ne réussissent pas à comprendre pourquoi tout le monde nous condamne, uniquement parce que nous voulons vivre pacifiquement, en toute indépendance, sur nos territoires, et parce que nous voulons éviter que se répètent les massacres dont nous avons été victimes dans le passé. »

 
 
(...) J'avais interviewé le président serbo-bosniaque, le 1er février 1994, au siège du gouvernement de la République Srpska, une villa du quartier élégant de Dedinje, sur les collines de Belgrade. Radovan Karadzic venait juste de terminer de manger avec Yasuchi Akashi, le représentant du Secrétaire Général de l'ONU, et avec le général britannique Michael Rose, nouveau chef des forces UNPROFOR en Bosnie. La rencontre avait été positive, comme me l'avaient confirmé, en sortant de la salle à manger, le Japonais Akashi et le général. Des accords avaient été conclus sur tous les points discutés. But de la rencontre : la réouverture de l'aéroport de Tuzla et l'entrée du nouveau contingent hollandais à Srebrenica, en remplacement du contingent canadien.

Voici le texte de l'interview ( Il Manifesto, jeudi 3 février 1994) :


Q.           « Quels sont les résultats de la rencontre ?

R.      Nous sommes tombés d'accord sur le remplacement des troupes canadiennes. Nous préférerions que les nouvelles troupes soient également canadiennes, mais les hollandaises feront aussi l'affaire. Il y aura approximativement le même nombre d'hommes et le même type d'armes. Nous étions très préoccupés du fait que, si un jour, les soldats de l'ONU se retiraient, les musulmans puissent prendre possession de leurs armes lourdes et les utiliser contre nous. Mais espérons que cela n'arrivera pas. Le problème de Srebrenica est résolu. Pour ce qui concerne l'aéroport de Tuzla, nous devons envisager toutes les possibilités. Nous avons offert à Madame Ogata de doubler ou de tripler les convois humanitaires. Nous avons peur que l'aéroport soit  utilisé de manière non appropriée par l'OTAN et par les musulmans. Si nous recevons l'assurance que cela n'arrivera pas, et qu'un contrôle pourra être exercé par les force serbes et par celles de l'ONU, nous pourrons prendre en considération la proposition.

Q. Vous avez proclamé la mobilisation générale des hommes et des femmes. Vous avez l'intention de la maintenir ?

R.      C'est une nouvelle mesure de sûreté. A de nombreuses reprises, nous avons été surpris par le comportement américain. Et d'abord, quand ils ont reconnu la dissolution de la Yougoslavie et soutenu la sécession unilatérale de la Slovénie et de la Croatie. Nous avions espéré que les Etats-Unis répondraient négativement aux sécessions unilatérales. Aujourd'hui, Washington aide les musulmans à continuer la guerre, en leur promettant que les résultats en seront reconnus. Dans ce cas, les Serbes, eux aussi, ont droit aux mêmes reconnaissances. Nous avons le dos au mur. Il ne nous reste d'autre alternative que celle de nous défendre.

Q.     Pourquoi, chaque fois que la paix semble proche, se produit-il quelque chose qui la fait reculer ?

R.      Il y a quelqu'un qui conseille aux musulmans de ne pas accepter. La même chose s'est produite pendant la conférence de Lisbonne, avant la guerre (1991). Nous nous étions mis d'accord sur une confédération en Bosnie-Herzégovine. Les trois parties concernées avaient accepté. Puis, l'ambassadeur américain Zimmerman a conseillé à Alija Izetbegovic de refuser. Voilà pourquoi nous avons eu la guerre. Deux ans d'un conflit tragique, pour nous retrouver dans la même situation : trois républiques. Tout pouvait être réglé sans guerre, mais on a conseillé aux musulmans de refuser la solution politique. L'ambassadeur Zimmerman en porte toute la responsabilité. De même que Messieurs Genscher et Mock, et d'autres hommes politiques européens.

Q.     Quelles sont vos prévisions en ce qui concerne le processus de paix ?

R.      Il y aura un temps d'arrêt, parce que les musulmans sont en train de chercher à regagner du terrain par les armes. Je crois qu'ils vont épuiser leurs forces. Quand on en sera là, quelqu'un dira «basta» et alors, nous recommencerons à négocier. Si la communauté internationale levait les sanctions à l'encontre de la Serbie, les musulmans signeraient tout de suite. Comme cela ne se produit pas, cela les incite à continuer. On dirait que quelqu'un pousse les musulmans vers l'autoanéantissement. Les nations européennes  n'ont pas envie de voir naître un état musulman au coeur de l'Europe. Je pense que certains pays voudraient voir les Serbes et les Croates défaire les musulmans et partager la Bosnie en deux : une partie serbe et une partie croate, où les musulmans pourraient vivre en autonomie. Ainsi, il n'y aurait pas d'état islamique en Europe.

Q.     N'est-ce pas contradictoire ?

R.      Ceux qui invitent les musulmans à faire la guerre ne sont pas leurs amis. Encourager les musulmans à la lutte à outrance est injuste à leur égard. Je crois que les meilleurs amis des musulmans sont encore les Serbes, qui leur ont offert 3,3% de territoire en plus. Les pousser à se battre pour un territoire que nous leur avons déjà concédé est absurde ! Maintenant, bien sûr, nous allons retirer toute concession. Les résultats sur le terrain doivent être reconnus aux musulmans et aux Serbes.  »


Deux jours après la publication de ce dialogue, un projectile de mortier éclatait sur le marché de la rue Markalé à Sarajevo, tuant 28 personnes et en blessant des dizaines.  Les Serbes furent accusé de l’atroce  carnage.

Yossef Bodansky écrit dans  le premier chapitre de Offensive in the Balkans, à page 54 :
«... Depuis l'été 1992, il y avait eu des provocations marquées, mises en oeuvre par les forces musulmanes, pour susciter une plus forte intervention militaire occidentale contre les Serbes, et, accessoirement, des interventions mineures contre les Croates. Initialement, ces provocations étaient surtout constituées d'attaques en apparence absurdes contre les populations musulmanes elles-mêmes, mais elles prirent bien vite pour cible des objectifs occidentaux et de l'ONU. Une enquête des Nations unies arriva à la conclusion que divers événements-clé, qui avaient galvanisé l'opinion publique et incité les occidentaux à intensifier leur action en Bosnie-Herzégovine, avaient, en fait, été mis en scène par les musulmans bosniaques eux-mêmes, pour dramatiser la condition de Sarajevo. Les enquêtes des Nations unies et celles d'autres experts militaires ont mis au nombre de ces actions auto-infligées, celle de la bombe dans la file de la boulangerie (27 mai 1992), la fusillade lors de la visite de Douglas Hurd (17 juillet 1992), les tirs de snipers dans le cimetière (4 août 1992), l'assassinat du présentateur et producteur de télévision américain de la chaîne ABC, David Kaplan (13 août 1992), et la destruction en vol d'un avion de transport de l'Aviation Italienne G.222, sur le point d'atterrir à Sarajevo (3 septembre 1992). Dans tous ces cas, les forces serbes étaient hors de portée, et les armes utilisées contre les victimes n'étaient pas celles dénoncées par les autorités musulmano-bosniaques et, avec insistance, par les médias occidentaux.»
Depuis 1992, on avait constaté beaucoup d'autres incidents d'importance moins grande, toujours aux dépens des citoyens de Sarajevo. La bombe au marché était le deuxième massacre important.
Le gouvernement de la République Srpska de Bosnie avait violemment nié toute responsabilité. Les résultats des premières vérifications opérées sur les lieux par des experts de l'UNPROFOR n'étaient pas communiqués et restaient nébuleux. Les sources internationales bien informées soutenaient que, d'après les relevés, il était impossible que le coup de mortier eût été tiré des lignes serbes, mais qu'il avait dû l'être, plutôt, du toit d'une des maisons voisines. Cependant, les médias occidentaux s'étaient déchaînés, accusant les Serbes de l'atroce carnage.

En octobre 1994, Pale semblait, comme jamais, un amène petit pays de montagne, au milieu des collines recouvertes de toutes les couleurs de l'automne. Le bourdonnement saccadé de la circulation des voitures et des transports militaires était drastiquement réduit par le rationnement sévère de l'essence, dû aux doubles sanctions, les internationales et les yougoslaves. L'eau et l'électricité manquaient plusieurs heures par jour. La petite capitale semblait immobilisée, presque suspendue dans une autre dimension du temps. Les communications étaient interrompues. Peu d'informations écrites. De rares contacts avec les protagonistes de la politique internationale, qui paraissaient ignorer Pale en faveur de Belgrade.

Ceci est la transcription de ma conversation avec Radovan Karadzic, à l'hôtel Panorama :


Q.     « Monsieur le Président, au-delà des dures sanctions actuelles entre la Serbie et la République Srpska, comment expliquez-vous le silence médiatique ?

R.      L'absence de nouvelles nous concernant veut faire croire qu'en réalité nous n'existons pas. C'est ce qu'ils veulent obtenir. Le silence médiatique veut empêcher que le public sympathise avec nous et sache ce qui se passe. Ils espèrent notre effondrement. Ceci est humiliant, inacceptable. Malheureusement, la Yougoslavie a pratiqué cette coupure dans les télécommunications, en allant plus loin même que les recommandations du Conseil de Sécurité.  Elle a fait beaucoup plus que ce qui lui était demandé. Il lui avait été demandé de ne pas nous soutenir politiquement et militairement. La Yougoslavie nous a imposé des sanctions, non seulement aux niveaux militaire et politique, mais aussi économique et télématique. Ils veulent obscurcir cette zone pour finit le «travail» dans l'intérêt des Etats-Unis; certainement pas dans l'intérêt de l'Europe. Ce serait un grand désastre pour celle-ci, si les musulmans atteignaient leur but. Avec l'occultation médiatique, les Serbes de Bosnie sont laissés seuls dans cette situation dramatique.

Q.     Quand vous dites «ils», de qui parlez-vous ?

R.      De la Communauté Européenne. Plus précisément de la partie qui est sous influence américaine. Malheureusement, même la Yougoslavie n'a pas l'air de savoir ce qui est en train d'arriver ici. La communauté internationale et l'ONU subissent le diktat des Etats-Unis. Exactement comme la Société des Nations dans les années précédant la deuxième guerre mondiale. Alors, la domination totale était celle de l'Allemagne; aujourd'hui, c'est celle des Etats-Unis. On rencontre beaucoup d'autres analogies. Les Etats-Unis soutiennent l'Allemagne pour qu'elle devienne dominante en Europe, de façon que les pays qui en seraient gênés fassent appel à l'aide américaine. Ils cherchent, de la même manière, à réinstaurer les vieux pouvoirs, Allemagne et Turquie, pour bloquer la Russie et toute influence future qu'elle pourrait exercer sur l'Europe méridionale. C'est une grande partie qui se joue, raison pour laquelle ils essaient de nous annihiler et d'obtenir ce qu'ils veulent. C'est le nouvel ordre mondial : l'Amérique et très peu de nations auront le pouvoir; les autres seront des pays de seconde classe, parmi ceux-ci, l'Italie, la France et aussi l'Angleterre.

Q.     L'hiver approche, vous êtes sous le coup de sanctions sévères; vos propositions territoriales ne trouvent pas d'écho; comment pensez-vous résoudre les problèmes du futur proche ?

R.      Nous avons informé notre peuple que, si notre plan est refusé, il nous faudra subir de graves conséquences et souffrir beaucoup pour survivre à la période qui s'annonce. Nous sommes à court de tout. C'est pour cette raison que nous avons décidé le référendum, pour permettre un choix libre, et nous avons invité tous les médias à venir constater qu'il n'y avait de notre part aucune manipulation. Le peuple a décidé de souffrir mais d'atteindre un objectif réaliste qui ne soit pas en contradiction avec la communauté internationale. Aujourd'hui, nous avons un pays soudé. Nous sommes disposés à accepter une proposition qui nous garantisse un territoire inférieur à 64% de notre territoire réel, au nom de la paix, mais nous sommes forcés de refuser le découpage que l'on veut nous imposer, qui correspond à 20% des territoires sous notre contrôle. Ils nous ont offert des zones montagneuses et un territoire divisé en trois. Le plan propose de couper c'est-à-dire d'isoler la ville de Brcko, le long du «corridor». Dans ce cas, les gens évacueraient la zone et n'investiraient pas dans l'avenir. Ils ne voudraient jamais dépendre d'un pont de passage à la merci des musulmans. C'est exactement le but que poursuit Alija Izetbegovic : que deux millions de Serbes se réfugient en Serbie. Ces deux millions d'habitants en plus créeraient de graves problèmes sociaux, par suite de la différence d'habitudes, de mentalité, et par suite de la rage et de la pauvreté où ils seraient réduits. Ce serait une catastrophe pour la Serbie. Il est stupéfiant que les dirigeants yougoslaves ne se rendent pas compte que c'est la Yougoslavie qui veut se détruire, et non pas la République Srpska ou la Krajina.      
                                                                                                                                                                                                                         
Q.     Comment pensez-vous résoudre ce problème ?

R.      Nous devons nous battre pour notre liberté. Pendant les quatre derniers mois, nous avons subi de nombreuses attaques de la part des forces musulmanes. Elles ont eu quelques succès. Pas vraiment graves. Nous pouvons soutenir l'affrontement. Ils devraient cependant comprendre l'utilité d'avancer des propositions acceptables, quelque chose qui permette à notre Etat d'être en sécurité et reconnu en dehors de la Fédération croato-musulmane. La Bosnie doit être transformée en deux états indépendants. Nous acceptons la religion et le système musulman. Nous demandons la réciprocité.

Q. Comment comptez-vous résoudre le problème de la ville de Sarajevo ?

R.      Le problème doit être résolu. Les gens ne peuvent pas vivre de cette façon. Si les musulmans désirent avoir une capitale et de bonnes connexions entre la ville et la Bosnie centrale, ils doivent en accepter la division en deux. Nous ne désirons pas prendre Sarajevo, sinon il y a beau temps que nous l'aurions conquise. Nous serons très généreux en matière de partition, à condition qu'ils corrigent leurs cartes. Nous sommes disposés à céder de grandes parties de la ville, en échange de Brcko, Sanski Most, Posavina. Sarajevo pourra se transformer en deux capitales autonomes, qui survivront avec ou sans collaboration réciproque. Après quelque temps, je suis certain qu'il s'instaurera une coopération aux niveaux économique et sanitaire. Nous ne renoncerons jamais à notre part de Sarajevo. Elle deviendra le centre commercial, universitaire et administratif, pour toute une vaste région serbe de la Bosnie Orientale.

Q.     En combien de temps ce processus pourrait-il s'accomplir ?

R.      Si les Etats-Unis étaient favorables à la paix, il pourrait se réaliser en quelques semaines. Nous avons été souvent très près d'aboutir à une solution, mais, à chaque fois, quelqu'un a conseillé aux musulmans d'interrompre les négociations. Tout dépend de l'Amérique. J'espère qu'après les élections, le 8 novembre, les Américains seront prêts à considérer la situation de manière plus réaliste. Il n'y avait pas besoin d'une guerre pour diviser la Bosnie. Nous étions divisés dès avant la guerre. Les musulmans ont voulu un conflit pour unifier le pays. Mais la majorité chrétienne, les Serbes et les Croates, ne voulait pas être contrainte de vivre dans le système politique et juridique des musulmans pour la seule raison que ceux-ci sont les plus nombreux. Les musulmans ont encore l'intention de tenir le pouvoir politique comme ils l'ont fait depuis cent ans. La Bosnie pouvait subsister seule, à l'intérieur de la Fédération yougoslave.

Q.     Au cours d'une interview, il y a quelques mois, le président Milan Martic avait affirmé que si la Croatie avait attaqué la Krajina, le jour même il y aurait eu fusion avec la République Srpska. Est-ce toujours du domaine du possible ?

R. Cela pourrait se produire. Ce serait absolument naturel. Nous sommes le même peuple, avec la même religion, la même langue et la même culture. L'unification ne se fait pas, pour éviter que la Croatie attaque la Krajina. Car elle justifierait son agression par la nécessité d'empêcher l'unification. De fait, celle-ci existe déjà à travers des systèmes communs d'éducation, d'information et de communication, même si nous ne sommes pas encore un seul Etat. Mais si la Croatie attaquait la Krajina, ce serait une raison valable pour créer une république unique.

Q.     La Russie vous a décerné le prix Michail Sholohov de poésie. Est-ce un présage de paix ?

R.      Je ne sais pas si j'ai obtenu le prix pour mes mérites ou par influences politiques. Mais moi et mes amis, ici en Bosnie, sommes heureux de savoir qu'en Russie quelqu'un se préoccupe de la poésie serbe. Il existe beaucoup de poésie en République Srpska. Elle ne peut pas aider à gagner la guerre, mais sans aucun doute à trouver la paix de l'âme. »


Quelques heures après cette interview, Radovan Karadzic allait de nouveau proclamer la mobilisation générale. En uniforme militaire, il allait se rendre à Bosanski Petrovac où seraient concentrés des milliers de Serbes, qui auraient fui de l'enclave musulmane de Bihac. (...)

 

Chapitre 6Après Dayton


Je retournai en Bosnie le 27 mai 1996. J'arrivai à Pale vers les 11h30 du soir. Radovan Karadzic m'attendait dans la nouvelle Présidence située en ville. J'entrais pour la première fois dans ce lieu. Un palais blanc, simple. Le bureau de Karadzic était vaste, sobrement meublé. Aux murs : les drapeaux aux aigles, ainsi que tous les symboles et icônes orthodoxes. Au fil des années, ces objets avaient progressivement augmenté par rapport à la première fois où je l'avais rencontré et où son bureau en était totalement privé. Cela pouvait signifier un retour à la religion et au mysticisme, ou simplement une concession à la raison d'Etat. Le Président avait l'air psychologiquement fatigué. Il devait avoir perdu vingt kilos. Il était vêtu de beige clair et paraissait encore plus grand qu'auparavant. Désormais, il était officiellement un criminel de guerre poursuivi. Pendant toute notre conversation, le ton de sa voix oscilla entre fatigue, désillusion et douleur.


Q.     « Après les accords de Dayton, comment considérez-vous la situation actuelle ?

R.      La situation n'est pas bonne, parce que les musulmans n'adoptent pas une attitude claire par rapport à la paix. Leurs leaders continuent à déclarer publiquement qu'ils prendront la Bosnie tout entière. La lutte n'est pas finie. Le long des frontières entre leur territoire et celui de la République Srpska, les musulmans tentent d'entrer dans nos petites villes pour terroriser les populations. Ils le font pour que la peur et le malaise les poussent à partir. Il faudrait que quelqu'un les arrête. C'est écrit dans le Coran : «Pas de paix !»

Q.     Les forces de l'OTAN n'interviennent pas pour vous protéger ?

R.      Non. Il y en a qui veulent que la tension perdure dans cette région. Je prévois la présence de l'OTAN pendant très longtemps. Nous sommes les victimes de ce genre de jeu politique. La guerre dans l'ex-Yougoslavie n'a pas éclaté contre la volonté de la communauté internationale, mais par sa volonté. Ceci est très grave pour nous. Quoi qu'il en soit, je peux dire que, pendant les quatre à cinq ans de guerre, les généraux des Nations Unies arrivaient ici avec de lourds préjugés à notre encontre, mais qu'après un mois, ils se rendaient compte de qui était et faisait quoi dans cette guerre. Beaucoup d'entre eux ont été remplacés parce qu'ils avaient acquis trop d'informations et devenaient favorables à notre cause.

Q.     Pensez-vous qu'il y ait un lien entre ce qui se passe ici et les événements qui se déroulent en Israël ?

R.      Il y a toujours des liens. Je comprends ce qui se passe en Israël aujourd'hui. Je ne justifie pas les bombardements de civils au Liban, mais n'importe quel général des Nations Unies peut raconter ce qui nous a été fait par les musulmans à Sarajevo, y compris le général Rose, pourtant toujours très prudent et favorable à la Fédération croato-musulmane qui a répondu publiquement à quelqu'un se plaignant de ce que les Serbes tiraient sur la ville : «Pourquoi, Messieurs, placez-vous votre artillerie à côté d'objectifs civils, faites-vous en sorte de provoquer des représailles Serbes, et déplacez-vous, ensuite, vos positions ?» C'est une habitude des musulmans de Sarajevo de mettre leur artillerie sur des camions, de tirer et de partir. Quand ils nous font des victimes, nous sommes obligés de riposter. A ce moment-là, ils déplacent les camions avec leurs batteries, et appellent les équipes de télévision pour montrer ce qu'ont fait les méchants Serbes. C'est également ce qui se passe dans le sud du Liban avec  les Hezbollah. Même politique, mêmes trucs, même logique, même morale.

Q.     D'après vous, ils sont présent aussi en Bosnie-Herzégovine ?

R.      Ils sont ici. Plusieurs centaines.

Q.     La zone de Banja Luka est sous l'aile du commandement britannique de l'OTAN. Il existe, dans la région, une zone musulmane qui devrait être également sous son contrôle et qui, pourtant, est sous contrôle des Etats-Unis. Connaît-on la raison pour laquelle toutes les zones musulmanes sont tenues par les Etats-Unis ? Comme s'ils exécutaient un plan spécial ?

R.      Je ne comprends pas les Américains. Ils se comportent d'une façon totalement irrationnelle. Les USA ont ruiné leurs propres intérêts en Europe et dans les Balkans, pas tant à cause de cette guerre que pour leur aide à l'Allemagne et à l'Iran en Bosnie, aide qui, qu'on le veuille ou non, affaiblit l'Europe. Locus minoris resistentiae. Ils ont causé un dommage chronique en armant l'armée musulmane et en soutenant la communauté musulmane ici. Très vite, l'Allemagne prendra le pouvoir, et les Américains se rendront compte qu'ils ont perdu de bons amis, les Serbes, leurs alliés dans deux guerres mondiales. En ce moment, la Russie est en train de faire la paix avec la Chine. Très bientôt, l'Allemagne nouera d'excellentes relations avec la Russie.

Q.     Selon la logique territoriale, la ville de Tuzla aurait également dû être protégée par les Anglais. Que font les Américains à Tuzla ?

R.      Je ne crois pas qu'ils soient en train de fomenter la paix dans cette région. Ils nous empêchent de contrôler le passage de terroristes. Nous avons néanmoins réussi à en capturer quelques-uns. Il n'y a aucun doute sur leur appartenance, parce qu'ils l'ont reconnue. Ils nous empêchent de contrôler les marchandises en transit, pour découvrir l'introduction d'armes. Ceci ne signifie pas que nous n'appliquions pas des contrôles sévères. Nous devons aussi faire attention aux «vaches folles»; il existe un danger réel qu'il en soit introduit dans nos troupeaux. Personne n'a la permission de transporter des marchandises sans payer un octroi aux musulmans. Nous demandons par conséquent de pouvoir en faire autant. La communauté internationale et les soldats de l'OTAN nous empêchent de nous protéger. Ils se comportent comme une force d'occupation. Nous cherchons à développer chez nos gens, un sentiment amical et de collaboration envers ces jeunes soldats qui ne sont pas responsables d'une telle politique, mais c'est de plus en plus difficile. Ils empêchent également ma police de faire son travail normal. Nos finances souffrent. Je crains une augmentation du terrorisme, une augmentation des maladies, parce que nous ne pouvons pas contrôler ce qui entre sur notre territoire. A présent, les musulmans réclament le droit de visiter les cimetières dans nos zones. Cette revendication est anormale, parce qu'il ne fait pas partie des traditions islamiques de se rendre dans les cimetières. C'est juste une autre manière de créer de la tension. Ils font faire des manoeuvres à leur armée, et je ne crois pas que cela présage rien de bon. Ils appliquent, en fait, la politique de la pression exponentielle.

Q.     Vous attendez-vous encore à des problèmes de la part des musulmans ?

R.      Chaque jour. Ils essayeront de faire irruption dans nos villages pour y arrêter les gens.

Q.     Comment peuvent-ils arrêter les populations d'une autre nation ?

R.      Avec la protection de l'IFOR tout simplement, en usant de ce qu'on appelle «freedom of moment». Dans les accords de Dayton, il est prévu que seulement dix personnes ont le droit de recourir à cette clause. Il y a cinq mille musulmans ou soldats démobilisés qui cherchent à créer et qui créent des incidents.

Q.     Où vous attendez-vous à ce qu'ils opèrent dans ce sens ?

R.      A Prijedor, Doboj, Tuzla, Brcko. Ils ont essayé dans beaucoup de petites villes. Nous savons tout. Nous avons des gens à nous parmi les musulmans. Ils ne seront jamais enclins à la paix !

Q.     D'après ce que vous me dites, il semblerait que la situation ne se soit pas stabilisée.

R.      Je crois que l'OTAN est ici pour très longtemps. Dans le cadre du Parlement avec la Fédération croato-musulmane, notre Assemblée n'a approuvé en aucune façon l'installation de l'OTAN, sinon pour une période temporaire, excepté le long des lignes de démarcation. Maintenant, ils veulent déplacer leur quartier général de Gornji Vakuf à Banja Luka, qui est une ville universitaire. Des soldats étrangers, dans une ville de cette espèce, au milieu des jeunes, c'est inconcevable. Nous avons fait savoir que cela allait à l'encontre de notre volonté. S'ils viennent, les Serbes ne feront rien contre eux naturellement, mais cela provoquera un grave mécontentement. Ils sont réellement une force d'occupation. S'il s'agissait d'un contingent anglais et non de l'OTAN, peut-être les considérerions-nous différemment, parce que nous avons de l'estime pour la Grande Bretagne, c'est un pays européen, mais ceci est l'OTAN.

Q.     Laure Adler, la journaliste française, dans son livre L'année des adieux, qui parle de la dernière année du président Mitterand, rapporte à la page 162 un commentaire du Président, où celui-ci soutient : «(...) les musulmans essayent d'internationaliser le conflit, mais malheureusement, nous ne sommes pas en 1914 et nous n'avons pas un archiduc à leur offrir (...)», et il parle d'un coup de téléphone qu'il a reçu du Secrétaire Général de l'ONU, en août 1995, au cours duquel Boutros Boutros Ghali lui a dit que l'obus sur le marché de la rue Markalé était une provocation des musulmans.

R.      Oui, et ils se sont tus. Tous ! Aujourd'hui, tout le monde peut voir que la partie serbe de Sarajevo se trouve dans les zones de ceinture. Je peux vous montrer la carte ethnique de la ville. Nos «attaques» consistaient en une simple protection des faubourgs serbes qui entourent Sarajevo.

Q.     Aujourd'hui, peut-être est-il préférable qu'il n'y ait plus de Serbes autour de Sarajevo. Ils auraient utilisé toutes les excuses pour chercher à traverser vos lignes, si vous étiez restés là où vous étiez.

R.      Vous avez raison. Mais les Serbes de Sarajevo ont payé un prix très élevé. Je dois vous dire qu'initialement, j'ai été très tenté de les faire rester dans les quartiers qui étaient les leurs et d'éviter ainsi cinquante mille nouveaux réfugiés, mais, comme vous voyez, je respecte le désir de mon peuple, je n'abandonne pas mes gens.  On ne peut pas les persuader de se battre à moins qu'ils se trouvent en grand péril, et en même temps, personne ne peut les dissuader de se battre et les persuader de rester là-haut ou leur imposer de partir. Les gens simples savent ces choses-là d'instinct. Je ne suis pas un mage, ni un dictateur, j'ai des institutions démocratiques, une opinion publique, une radio et des journaux indépendants, un Parlement. Je ne puis pas faire ce que mes gens ne veulent pas que je fasse. Ils ne veulent pas rester sous la domination musulmane. Vous avez vu ce qui est arrivé en Krajina ? Vous verrez ce qui va arriver en Slavonie orientale. Même si elle ne risque pas de guerre, la population serbe l'abandonnera. Personne ne peut dire que M. Milosevic les pousse à partir. C'est la grande défaite de la nation serbe, en particulier après ce qui est arrivé en Krajina et en Slavonie occidentale.

Q.     Savez-vous ce qui arrive au Kosovo ces jours-ci ?

R.      Je n'ai pas d'informations suffisantes. On m'a dit, cependant, que huit Serbes ont été tués, et qu'on procède à des arrestations dans différentes villes.

Q.