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Le mensonge de Dubrovnik

John Peter Maher    01/07/2004
source : Balkans-Info

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http://www.anti-imperialism.net/lai/
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I. La propagande

Il y a une douzaine d'années, l'assaut de cette pittoresque ville
fortifiée du Moyen âge sur la mer Adriatique face à l'Italie, a
enflammé la conscience mondiale en rappelant des noms du passé
comme Guernica, Coventry ou Hiroshima. J'ai appris les détails de
l'histoire pendant un voyage d'études le mois dernier sur la côte
dalmate de l'ex-Yougoslavie. Je pense qu'elle intéressera les
importants groupes ethniques croates, serbes et Slovènes de Pittsburgh.

Au début de la visite, nous avons contemplé Dubrovnik des hauteurs à
partir desquelles les Serbes ont bombardé pendant sept mois, en
1991-92, quelques-uns des plus beaux monuments d'Europe au cours de la
soi-disant guerre civile. Pour dire vrai, il a été difficile
d'apprécier l'envergure de l'assaut jusqu'à ce qu'on note la différence
de teinte de rouge entre les tuiles anciennes des dessins des toitures
et les nouvelles tuiles de remplacement. Mais cela n'avait rien à voir
avec les villes écrasées que j'avais vues comme soldat de la Seconde
guerre mondiale. Mais au fur et à mesure des explications des guides
fournis par les organisateurs, l'histoire du siège de Dubrovnik et de
son impact sur l'opinion publique est devenue plus claire.

L'experte en art Kate Bagoje a décrit la sinistre situation de ce
qu'elle a appelé une "agression inattendue" pour laquelle cette ville
touristique méditerranéenne n'était "absolument pas préparée". Elle a
cité un total de 824 bâtiments endommagés, dont 563 directement
frappés, et 9 palais incendiés pour un coût total de 30 millions de
dollars. Plus de 150 personnes ont été tuées, et 1.000 blessées par les
bombardements. La colère de la communauté internationale a été
provoquée par le fait que les forces serbes semblaient prendre pour
cibles les symboles spécifiques de la culture croato-dalmate dans une
ville que l'UNESCO avait désignée comme faisant partie du patrimoine
mondial en 1979. Par exemple, il y a eu 51 frappes sur le célèbre
monastère franciscain. Le cœur de l'histoire de Dubrovnik au XXe siècle
a été la réaction mondiale à l'agression serbe. D'abord, il y a eu un
afflux international d'argent et d'aide technique pour restaurer la
ville. Des contributions sont venues des agences de l'ONU, d'Amérique,
d'Angleterre, d'Allemagne et du Japon, de Croates vivant à l'étranger,
et de fondations de sociétés ou de particuliers. L'argent de l'UNESCO a
servi à réparer les murs épais qui donnent à la cité son caractère. La
France a envoyé des tuiles de remplacement, les USA de l'argent pour
remettre en état les pavés et les fameux "escaliers espagnols" (ainsi
nommés par comparaison avec ceux de la Piazza di Spagna à Rome). Une
équipe allemande de Düsseldorf a restaurée une précieuse fontaine. En
fait, a dit Bagoje, le travail a été si bien fait que les gens ne
réalisent pas l'étendue des dommages ainsi effacés.

Le second résultat majeur a été l'impact sur la politique mondiale.
Quelles qu'aient été les responsabilités de la guerre - Croates et
Serbes ont commis des atrocités - le siège a contribué à tourner
l'opinion publique contre les Serbes. Quand la guerre s'est étendue à
la Bosnie et au Kosovo, l'aboutissement a été le bombardement USA-OTAN
de Belgrade et de restant de la Serbie.

Vjekoslav Vierda, directeur de l'Institut pour la restauration de
Dubrovnik, a expliqué à notre groupe que "tout le monde pensait qu'on
pouvait résoudre les vieux problèmes en s'entretuant." Les difficultés
remontent à des siècles de relations tendues entre les Serbes chrétiens
orthodoxes, les Croates catholiques romains et les Bosniaques
musulmans, exacerbées au cours de la Seconde guerre mondiale quand les
Oustachis croates ont pris le parti de l'Allemagne nazie contre les
Techtniks serbes, avec les partisans de Josip Tito remportant la
victoire à la fin. Après la mort de Tito en 1980, la désintégration de
la Yougoslavie une décennie plus tard a coïncidé avec l'écroulement du
communisme en Europe. Pendant quelque temps, la Serbie a détenu les
meilleures cartes avec l'armée yougoslave, la troisième d'Europe. Mais
les Croates, à travers les marchands d'armes clandestins, sont arrivés
à construire leur armée - en particulier avec des armements en
provenance de l'ex-Allemagne de l'Est - au point de pouvoir reconquérir
des territoires aux dépens des Serbes. Vierda a ajouté la peu
réjouissante conclusion que ces marchands d'armes possèdent aujourd'hui
80 % de la richesse croate - industries, hôtels, etc.

La communauté internationale est finalement arrivée à imposer les
accords de Dayton de 1995. Malheureusement, la démocratie n'a pas pris
pied en Croatie jusqu'à la mort de son leader autocratique, Franjo
Tudjman, en 1999. En Serbie, la situation est encore fragile, bien que
son chef de guerre, Slobodan Milosevic, soit inculpé à La Haye de
crimes de guerre. Une heureuse exception est la Slovénie, qui a si bien
mis en ordre ses affaires qu'elle a rejoint l'Union européenne le 1er
mai. En tous cas, il est clair que la communauté internationale a été
la clef de la paix et du progrès dans les Balkans, à dater du siège de
Dubrovnik.

Clarke THOMAS.
"The Lesson of Dubrovnik", Pittsburgh Post-Gazette, 12 mai 2004.

II. La vérité

Cher Monsieur Thomas.

A première vue, votre rubrique donne l'impression d'être écrite par un
homme correct à l'esprit ouvert. Mais votre article sur Dubrovnik du 12
mai dernier ressort un scénario qui est faux du début à la fin. Je suis
allé à Dubrovnik, pas convaincu par la propagande du genre "armes de
destruction massive" répandue dans les médias à l'époque. J'ai pris
avec moi un cameraman professionnel. Ceci se passait juste trois mois
après la "destruction". La Vieille ville était entière et intacte.
Votre texte ne fait que perpétuer et propager un faux.

Vous avez écrit incidemment que vous aviez du mal à croire les récits
de destruction, car vous n'arriviez pas à discerner des traces de
dommages comparables à ce que vous aviez vu en Allemagne après la
Seconde guerre mondiale, mais vous avez tout de même répété la leçon
mensongère apprise de ceux qui vous ont manipulé. Vous et moi avons à
peine quelques années de différence d'âge. J'avais tout juste 12 ans
lors du jour V de la victoire. J'ai été diplômé en grec et latin à
l'Université catholique d'Amérique de Washington, et j'ai enseigné
l'anglais, le français et le latin en 1956-57. En 1957, je me suis
enrôlé aux USA, et j'ai été volontaire pour apprendre le serbo-croate
dans l'Ecole militaire de langues du Praesidium de Monterey. Puis j'ai
travaillé pendant deux ans au bureau yougoslave d'une unité en Italie
du Nord. Au cours des quarante années qui ont suivi, je me suis
maintenu à jour de mes langues, j'ai enseigné et fait de la recherche
aux USA, en Angleterre, en Irlande, en Allemagne, en Italie, en Suisse,
en Tchécoslovaquie, en Bulgarie et en Yougoslavie. Aujourd'hui, en tant
que retraité, j'ai suivi de près les conflits en Yougoslavie, avec une
attention particulière portée à la propagande de guerre. J'ai voyagé en
Slovénie, Serbie (y compris le Kosovo), Croatie, Bosnie-Herzégovine,
Slavonie et Dalmatie. Venons-en à Dubrovnik. Comme vous devez le
savoir, l'ancienne Raguse a été une ville-Etat pendant 750 ans, jusqu'à
ce que Napoléon la remette à l'Autriche. Les Autrichiens n'ont jamais
incorporé Dubrovnik à la Croatie. La région étroite autour de Zagreb
appartenait au royaume de Hongrie. Ce n'est qu'en 1939, une grande
année pour Hitler, que Dubrovnik a été rattachée à une Croatie
délimitée pour des raisons politiques, en violation des implantations
ethniques et sans le consentement des populations concernées, par le
royaume de Yougoslavie qui craignait les visées allemandes sur
l'Adriatique.

En 1945, Tito a parachevé l'intégration de la vieille république de
Dubrovnik. En 1991, les Allemands et leurs satellites, les fascistes
croates, étaient de retour. Les Croates non-fascistes, les Serbes et
les autres ont été expulsés de la "perle de l'Adriatique". Cela s'est
passé le 1er octobre 1991, et l'exode a été occulté par le rideau de
fumée de la propagande de guerre à laquelle vous participez.

En ce qui me concerne, j'ai rencontré en l'été 1990 une de mes
étudiantes de Chicago, une croato-hongroise qui, l'année précédente,
exultait à l'idée de rentrer comme professeur d'anglais dans sa ville
natale de Subotica, en Serbie, à la frontière hongroise. La ville a une
importante population croate et hongroise. La Serbie est le seul Etat
multiethnique qui subsiste de l'ex-Yougoslavie.

Le projet de mon étudiante était en cendres. "Mes parents reviennent
de vacances près de Dubrovnik, m'a-t-elle raconté. Ils m'ont dit qu'il
ne fallait pas que je revienne à la maison. Il allait arriver des
malheurs... Les fascistes croates s'attaquaient aux voitures avec des
plaques d'immatriculation serbes et les jetaient à la mer."

Plus d'un an avant que la guerre ne fasse la "une" des médias, au
printemps 1990, j'avais lu dans les journaux yougoslaves, au cours d'un
séjour en Slovénie, que les militants croates incendiaient les maisons
de vacances sur l'Adriatique appartenant aux Serbes et aux Slovènes.
L'été suivant, en 1991, les seuls "touristes" à Dubrovnik étaient des
irréguliers croates équipés d'armes fournies en contrebande par
l'Allemagne. Vous pouvez vérifier les registres des hôtels. En août
1991, les irréguliers croates ont attaqué une base militaire yougoslave
à l'entrée de la baie de Kotor, à deux douzaines de km au sud de
Dubrovnik. Les Croates ont massacré les recrues non armées de l'Armée
populaire yougoslave (JNA), une force multiethnique.

La JNA était l'armée légale d'un Etat constitué. C'était une force
multiethnique, ni serbe, ni commandée par des Serbes. Il y avait des
Slovènes, des Albanais, des Macédoniens, des Tchèques, des Slovaques,
des Serbes de toutes les régions de la Serbie... et des Croates.
Beaucoup ont été tués. Le commandant en chef était un Croate, pas
Milosevic. Un officier du renseignement naval m'a dit que l'opération
avait été filmée de bout en bout par le service du contre-espionnage de
la JNA. Celle-ci a observé sans bouger. Les ordres sont les ordres.

D'octobre à décembre 1991, les "militants" croates ont multiplié les
sorties de la vieille ville fortifiée pour attaquer les forces de la
JNA. Celles-ci ont riposté. Voilà vos "150 morts croates". A l'automne
1991, les journaux croates (lisez-les, si vous pouvez) étaient pleins
de nécrologies de leurs tués. Un des héros tombés y a même figuré comme
membre de la "3e escouade génocide". Vous pouvez trouver la référence
dans le quotidien de Zagreb Globus. En voulez-vous une photocopie ?
Tout le monde sait aujourd'hui que les racontars, si souvent martelés
dans nos têtes, sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein
étaient des faux, comme la crise du Tonkin de Lyndon Johnson ou les
"atrocités serbes" de Bill Clinton.

La firme de relations publiques de Washington Rudder Finn a orchestré
une campagne qui comprenait un appel "achetez une tuile".
L'hebdomadaire croato-américain Zajednicar a publié des photos montrant
soi-disant Dubrovnik "avant" et "après" la destruction. Quant j'ai
montré le journal à Pippa Smith, elle a dit : "Ce sont deux villes
différentes. Regardez les lignes des toits. J'ai étudié l'architecture."

La fable que l'historienne d'art K. Bagoje vous a racontée est
contredite par la spécialiste croate Lejla Miletic-Vejvozic dans un
article de Spécial Libraries. Elle apporte la preuve que des containers
étanches avaient été fournis par l'Allemagne. Les trésors ont été
embarqués à l'étranger, en premier lieu en Italie. Où sont-ils
maintenant ? Y avait-il parmi eux des icônes orthodoxes serbes ?

Le seul bâtiment de la Vieille ville de Dubrovnik qui a été détruit
par un incendie contenait une collection d'icônes orthodoxes serbes. Le
mensonge de "Dubrovnik détruite et reconstruite" a été révélé par le
capitaine Michael Shuttleworth (représentant anglais à l'Union
européenne à l'époque), par les journalistes Stephen Kinzer (New York
Times), Michael Steiner (National Review), Bruno Beloff, par l'écrivain
autrichien Peter Handke, et par moi. Je vous enverrai à Pittsburgh la
chronologie de cette falsification.

John Peter MAHER.
Ph. D. Professeur émérite, Chicago.