["L'Azerbaijan, avamposto coloniale": un eccezionale documento dal
portale di controinformazione Réseau Voltaire. Si veda la pagina
originale per le interessanti foto e piantine che illustrano la
posizione geopolitica del paese.]

http://www.reseauvoltaire.net/article14866.html

Pré carré de BP-Amoco

L'Azerbaïdjan, un poste colonial avancé

Pour tenir la Russie à l'écart des enjeux de la Caspienne, oligarques
et majors du pétrole ont favorisé l'enlisement tchétchène et
simultanément installé un régime fantoche en Azerbaïdjan, point de
départ du plus gros projet d'oléoduc de la région, avant de rééditer
l'opération en Géorgie. La première dynastie depuis la fin de l'empire
soviétique, celle des Aliyev, y règne aux côtés de BP-Amoco. En
repoussant les points de tension vers l'intérieur de la Russie, les
conflits caucasiens font le jeu des majors du pétrole qui sont engagées
dans une course à l'évacuation des ressources de la Caspienne vers les
marchés de l'Ouest.

10 septembre 2004

[PHOTO: La dynastie Aliyev. Ilham Aliyev applaudissant la statue de son
père Heidar.]


Donnant une conférence de presse à l'issue du massacre de Beslan, le
président Vladimir V. Poutine a dénoncé l'action d'une puissance
étrangère animée par une « mentalité de Guerre froide » [1]. Celle-ci
tenterait de tirer les ficelles du Caucase pour tenir la Russie à
l'écart des enjeux internationaux. Le « Grand jeu » est en effet
rouvert sur les rives de la mer Caspienne depuis l'effondrement de
l'URSS et l'apparition de nouveaux États indépendants. Comme au XIXe
siècle, les grandes puissances s'y affrontent par peuples interposés.
D'autant que la région est un véritable carrefour stratégique (au point
d'être parfois qualifiée de « pipelinistan ») qui, de plus, renferme 5%
des réserves mondiales de pétrole.


La partie en cours

Comme nous l'avons montré dans ces colonnes, les deux conflits
Tchétchènes [2] avaient pour enjeu principal de priver la Russie de son
accès à la Caspienne, car son économie dépend en grande partie des
exportations d'hydrocarbures. Nous avons également souligné le rôle
probable de l'oligarque Boris Berezovski
[http://www.reseauvoltaire.net/article13544.html%5d, actuellement réfugié
au Royaume-Uni, dans l'enlisement du conflit, ainsi que le soutien des
indépendantistes tchétchènes par Washington, via les États limitrophes.
Juste au sud de la Tchétchénie, la Géorgie a vécu, en novembre 2003,
une « révolution de velours » téléguidée par la CIA. L'ancien ministre
des Affaires étrangères soviétique et proche de Moscou, Edouard
Chevarnadze, a été écarté du pouvoir au profit de Mikhaïl Saakachvili.
Le nouveau gouvernement s'est aussitôt aligné sur Washington au point
d'envoyer des troupes en Irak [3]. Nous évoquions alors la pièce
maîtresse de la stratégie d'influence états-unienne dans la région :
l'oléoduc Bakou-Tblissi-Ceyhan (BTC).

Cet ouvrage, qui est le plus important à ce jour en matière de
transport de brut depuis les gisements de la mer Caspienne, part
d'Azerbaïjan, un autre « pion » du grand jeu de l'Asie centrale qui
oppose les influences russe et états-unienne. Avant 1922 et l'arrivée
de l'Armée rouge, sa capitale Bakou vivait déjà au rythme frénétique de
l'aventure pétrolière, au point que Churchill déclara un jour : « Si le
pétrole est roi, alors Bakou est son trône ».
Les problèmes d'instabilité politique dans la région et les difficultés
à évacuer le pétrole de la Mer Caspienne ont longtemps fait renoncer la
plupart des compagnies à s'aventurer dans la région, d'autant que les
investissements nécessaires sont très lourds. Depuis quelques années
sont venues s'ajouter à cela des déconvenues relatives à l'estimation
des réserves véritablement enfermées sous les fonds de la Caspienne.

À mesure que l'extraction du pétrole de la Caspienne s'est développée,
les anciens dispositifs russes qui acheminaient le brut vers le nord
via la Tchétchénie, ou vers l'ouest via le port géorgien de Supsa et le
Bosphore, n'étaient plus en mesure d'évacuer toute la production vers
les marchés. Le BTC est donc destiné à capter ce surplus et à le
diriger vers l'ouest avec les profits générés. Mais de sérieuses
négociations et quelques changements de régime étaient impératifs avant
que les plus grosses compagnies s'y aventurent, appuyées par leurs
puissances tutellaires.

Le tracé très politique de la liaison BTC révèle la répartition de
l'influence des deux vieilles puissances rivales : il contourne
soigneusement la Tchétchénie (territoire russe), l'Arménie (État sous
influence russe) et l'Iran (État classé dans « l'Axe du Mal ») en
traversant l'Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie, où il alimentera
les navires de la Méditerranée, évitant par la même occasion le détroit
de Bosphore qui est saturé. L'alliance avec la Turquie s'en trouve
ainsi confortée, même si le tracé le plus économique aurait dû passer
par l'Iran. Il aura fallu que le consortium qui dirige le projet, dont
BP est majoritaire, demande des subventions étatiques plus élevées et
surtout, qu'en 1996, les États-Unis le déclarent « stratégique »,
c'est-à-dire devant être réalisé même si sa rentabilité n'est pas
assurée, pour que les travaux soient finalement lancés début 2003.
L'oléoduc devrait être opérationnel à la mi-2005 pour un coût total
d'environ 4 milliards de dollars. Il transportera jusqu'à 800 000
barils de brut par jour vers les marchés européens et américains.

Le cadre légal du BTC tient compte des fortes contraintes économiques
et politiques qui pèsent sur sa réalisation. Il ne provoquera donc que
très peu de retombés positives pour les populations vivant aux abords
de son tracé, bien au contraire. Toutes les mesures à venir qui
pourraient porter atteinte à la rentabilité du projet, qu'il s'agisse
de taxes prélevées par les pays traversés ou de dégâts
environnementaux, seront aux frais des États. Le consortium n'hésitera
pas à réclamer des indemnités à leurs gouvernements. Les accords
précisent d'ailleurs que l'oléoduc n'est pas destiné à opérer dans
l'intérêt public [4].

Récemment, l'échec de l'invasion de l'Irak à « noyer le marché du
pétrole » et la montée subséquente des prix, stimulée par une demande
effrénée et les difficultés à produire ailleurs, ont augmenté la
rentabilité à court terme du projet et certainement contribué à raviver
les tensions dans la région.

[PHOTO: Réunion d'affaire. Parmi les convives, Zbigniew Bzrezinski (2è
en partant de la droite droite), le théoricien du « grand jeu
caucasien » et le président Azéri Ilham Aliyev (à gauche).]


« Au nom du père, du fils et du contrat du siècle »

Le gouvernement azéri s'apprête à célébrer les 10 ans de la signature
du « contrat du siècle », ratifié en 1994, à la suite d'un coup d'État
financé par BP-Amoco [http://www.reseauvoltaire.net/article14167.html%5d
contre le dirigeant de l'époque, Abulfaz Elchibey. Cet épisode, qui
porta au pouvoir l'ancien responsable local du KGB, Heidar Aliyev,
permit à la compagnie pétrolière coalisée de doubler sa part dans
l'extraction, la transformation et le transport des réserves
nationales. Elle obtint ainsi un monopole de fait sur l'économie du
pays. Simultanément, la Grande-Bretagne et les États-Unis posaient un
pied sur les marches du vieil empire soviétique.

Il aura fallu attendre l'année 2000 pour qu'une fuite provenant des
services secrets turcs et relayée par le Sunday Times mette à jour des
éléments sur les modalités de ce discret changement de régime [5].
Un premier contrat avait été signé par le Front populaire d'Elchibey
début 1993, pour le plus grand malheur de la famille Aliyev qui y
voyait la fin de ses espoirs d'arriver un jour au pouvoir [6].
En juin 1993, un chef militaire proche de l'opposition dirigea une
colonne de soldats, tanks et armes lourdes vers Bakou et força le
président Elchibey à se retirer. Le 24 juin 1993, Heidar Aliyev était
déclaré président, puis « élu » en octobre de la même année.
Accusé d'avoir fourni un financement et des armes par des
intermédiaires en échange d'une promesse de renégociation de ses parts,
BP-Amoco a simplement admis avoir été sollicité pour verser 360
millions de dollars à un proche d'Aliyev, Marat Manafov. Pourtant le
rapport des services turcs transmis au Sunday Times était accompagné du
témoignage détaillé d'un ancien agent turc présent lors des
négociations d'armes. Par la suite Manafov disparut après avoir dénoncé
« les accords secrets entre la famille Aliyev et les compagnies
pétrolières ».

[PHOTO: Signature du « contrat du siècle », 20 septembre 1994. Au
premier rang de gauche à droite : Tim Eggar, ministre de l'énergie
britannique ; John Browne, PDG de BP-Amoco ; le président Heydar
Aliyev ; Bill White, sous-secrétaire à l'énergie états-unien et Usam
Jafari de la Banque islamique du développement.]

Quelques mois après l'opération, au printemps 1994, le « contrat du
siècle » est signé, avec cette fois une part belle de 35 % à BP-Amoco,
qui a en réalité un contrôle plus étendu car la compagnie possède plus
ou moins directement 80% des infrastructures pétrolières du pays. Le
contrat, qui portait sur un montant de plus de 5 milliards de dollars,
a été décrié en Azerbaïdjan comme nettement défavorable au le
gouvernement azéri. Celui-ci va encore rembourser la mise de départ de
BP-Amoco pendant de nombreuses années et ne commencera à toucher une
part significative des bénéfices que lorsque la production approchera
de son déclin final. Alors que le confort de l'azéri moyen n'a toujours
pas rattrapé son niveau d'avant 91, la dynastie Aliyev se porte bien.
Quelques temps avant de mourir fin 2003, le père, Heidar Aliyev, a
légué le pouvoir à son fils Ilham [http://www.ilham-aliyev.org/%5d,
plutôt habitué des casinos de la capitale où il a la réputation d'avoir
perdu jusqu'à six millions de dollars en une seule nuit [7]. Il avait
auparavant pris soin de mettre les commandes du pays en « pilote
automatique » grâce aux revenus pétroliers et avait nommé des membres
de son clan aux postes importants.

Comme Karimov en Ouzbékistan, le régime d'Aliyev ne supporte pas la
contestation et recourt volontiers à la rhétorique de la « guerre au
terrorisme » pour faire enfermer les chefs religieux qui le
critiquent [8]. La liberté de la presse n'est pas non plus au mieux :
le journaliste Elmar Huseynov par exemple, qui a beaucoup critiqué
Aliyev et sa gestion des ressources du pays, a fait l'objet de
pressions judiciaires et financières qui l'ont conduit à renoncer à la
publication de sa revue Monitor [9].


La montée des cours réveille les acteurs locaux

La réaction de la Russie au coup de force azéri n'a pas été immédiate.
Encore une fois, tant que le prix du brut était faible, la Russie
jouait la carte de la rentabilité qui freinait l'expansion
états-unienne. Mais récemment, les choses ont sensiblement évolué, une
accélération sûrement liée par ailleurs à la « révolution de velours »
géorgienne.
Afin de répondre aux inquiétudes de ceux qui, en Turquie, privilégient
le BTC pour soulager le détroit de Bosphore, la compagnie russe
Transneft a trouvé un partenaire turc et propose de construire un
oléoduc à faible coût, long de 193 kilomètres (contre 1760 pour le
BTC). Il contournerait à la fois le Bosphore et le BTC [10]. En outre,
les accords avec l'Iran se multiplient : le volume devant être
transporté cette année entre le port russe d'Astrakhan en Caspienne
vers l'Iran devrait doubler. D'autant que la construction d'un nouvel
oléoduc iranien facilite le transport du pétrole russe vers le sud et
le Golfe arabo-persique. Avec la découverte du méga-gisement de
Kashagan, il y a quelques années, le Kazakhstan est devenu à son tour
une puissance pétrolière locale.

Des discussions ont récemment été engagées pour la signature d'un
partenariat militaire entre l'Azerbaïdjan et les États-Unis. Le général
Charles F. Wald, vice-commandant des forces états-uniennes stationnées
en Europe, s'est rendu à Bakou en juin 2004 pour évoquer un programme
d'entraînement des troupes azéries et la possibilité pour les forces US
d'utiliser des bases dans ce pays [11]. Le Pentagone a alors précisé
qu'il entendait aider l'Azebaïdjan à protéger ses gisements.

Un conflit territorial au sujet des eaux de la Caspienne et donc la
répartition des gisements oppose notamment l'Azerbaïdjan à l'Iran
depuis plusieurs années. En juillet 2001, un navire militaire iranien
enjoignit un navire de prospection de la société BP-Amoco de s'éloigner
des eaux territoriales de l'Iran sous la menace de faire feu, ce qui
manqua de provoquer un incident diplomatique majeur [12].

La Chine s'intéresse désormais de près au pétrole de la Caspienne. Elle
envisage des partenariats avec la Russie pour s'approvisionner. Les
gouvernements russe et chinois ont décidé conjointement, l'année
passée, de mettre sur pied un projet d'oléoduc s'étirant de la ville
d'Angarsk au sud-est de la Russie jusqu'à Daqing au nord-ouest de la
Chine, pour moins de 3 milliards de dollars.

Dans ces conditions, l'objectif de Moscou est de tenir son bastion de
Tchétchénie à tout prix et ne pas se laisser dépasser par le siphon
états-unien. L'organisation et le financement par des intérêts
anglo-saxons de deux putschs à ses frontières immédiates, dans une zone
hautement stratégique et pour construire un projet qui fait de l'ombre
à sa première industrie n'a rien pour plaire à Moscou. S'il devait
d'avérer que les troubles en Ossétie du Nord étaient commandités de
l'extérieur pour forcer la Russie à se replier sur ses problèmes
internes et discréditer la politique de Poutine aux yeux du monde, il
faudrait s'attendre à de nouvelles démonstrations de force au détriment
des populations.

Arthur Lepic


[1] Vladimir Poutine s'est adressé à des journalistes mardi 7 septembre
pour évoquer ce qui est perçu à l'Ouest comme son échec à combattre le
terrorisme, à savoir la prose d'otage de Beslan qui s'est soldée par la
mort de plus de 300 personnes.
[2] « La première guerre de Tchétchénie »
[http://www.reseauvoltaire.net/imprimer13741.html%5d et « Le "domino
tchétchène" » [http://www.reseauvoltaire.net/article13834.html%5d, par
Paul Labarique, Voltaire, 4 et 11 mai 2004.
[3] « Les dessous du coup d'État en Géorgie »
[http://www.reseauvoltaire.net/article11807.html%5d et « Coups de maîtres
sur l'échiquier géorgien »
[http://www.reseauvoltaire.net/article12938.html%5d, par Paul Labarique,
Voltaire, 7 janvier 2004 et 19 mars 2004.
[4] « Un oléoduc contre les droits humains »
[http://www.lecourrier.ch/
modules.php?op=modload&name=NewsPaper&file=article&sid=3272], par Lara
Cataldi, Le Courrier de Genève, 6 janvier 2004.
[5] « BP accused of backing "arms for oil" coup », The Sunday Times,
Londres, 26 mars 2000.
[6] « Elmar Husseinov », hebdomadaire Monitor #30, 20 septembre 2003.
[7] Op. Cit.
[8] « L'islam au tapis », par Régis Genté, Le Temps, 27 avril 2004.
[9] CPJ concerned about journalist facing criminal prosecution
[http://www.cpj.org/protests/03ltrs/Azer27feb03pl.html%5d, Comittee to
Protect Journalists, février 2003.
[10] Putin's hands on the oil pumps
[http://www.axisoflogic.com/artman/article_11269.shtml%5d, par John
Helmer, AxisofLogic, 26 août 2004.
[11] "Top US general in Azerbaijan for military cooperation talks",
AFP, 10 juin 2004.
[12] "Azerbaijan, Iran disagree over sea border"
[http://www.eurasianet.org/resource/azerbaijan/hypermail/200107/
0053.html], Interfax, 24 juillet 2001.