[ Il testo originale dell'articolo di Miodrag Lekic "Balcani, vuoto a
perdere", apparso su Il Manifesto del 28 Ottobre 2005, può essere
letto alla URL:
http://it.groups.yahoo.com/group/crj-mailinglist/message/4605 ]

Autres commentaires sur le 10.eme anniversarie de Dayton á lire sur le
site de Reseau Voltaire:

Yougoslavie : commémorations et mémoire courte
http://www.voltairenet.org/article131669.html

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http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=2847

Balkans, vide à perdre, par Miodrag Lekic - il manifesto.

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5 novembre 2005


il manifesto , 28 octobre 2005.


Alors qu'on attend encore la réponse des historiens à la question de
savoir si la Yougoslavie est morte de mort naturelle, si elle a été
assassinée, si elle s'est suicidée ou si d'autres l'ont « suicidée »,
sa longue désintégration et agonie célèbre en 2005 ses anniversaires.

Dans la géopolitique des anniversaires on se souvient de fait cette
année des débuts de deux « protectorats » : celui, désormais décennal,
de la Bosnie-Herzégovine et les six ans du protectorat sur le Kosovo.
Il est probablement inutile, à ce stade, de se demander si l'Europe
n'aurait pas mieux fait, dans son propre intérêt, de chercher à sauver
cet élément de stabilisation et d'intégration entre les peuples que
représentait la Yougoslavie, au lieu de se retrouver face à une série
de nouveaux Etats sur une base ethnique, quelques fois pseudos Etats
ou protectorats, comme fruit sanglant du « printemps des peuples
ex-yougoslaves ».

En novembre, il y a dix ans, les accords de Dayton mettaient fin aux
combats en Bosnie, après des années d'engagements sanglants, qui, à un
moment, avaient pris le caractère de bellum omnium contra omnes .
Caractéristique d'un accord diplomatique, avec éléments d'un traité
international et de ce fait tout à fait atypique, on prétendit imposer
aussi un modèle de système constitutionnel. C'est ainsi qu'est née une
machinerie politico bureaucratique complexe qui compte quatre
présidents, trois premiers ministres, trois parlements, plus de cent
ministres, deux armées et 14 niveaux de gouvernement. Même si certains
résultats positifs ont été atteints, surtout en ce qui concerne les
réfugiés (environ 50% ont pu s'établir), l'appareil d'état se présente
comme éléphantesque, très onéreux et souvent inefficace. En outre,
selon presque tous les analystes politiques, il est indéniable que,
aujourd'hui encore, la Bosnie accueille trois populations en grande
partie ethniquement divisées entre elles et la pacification est,
aujourd'hui encore, garantie par la présence d'un contingent de
troupes, actuellement celles de l'Ue.


Un Haut protecteur, non élu

Dans le cadre du développement démocratique du pays - institution
building - on a prévu la figure du Haut représentant de la communauté
internationale (non élu), qui peut licencier des politiciens locaux
(élus), suspendre ou casser des lois approuvées par les Parlements
(élus) et imposer des décrets avec valeur de loi.

Le décennal pourrait être une occasion de faire le point de la
situation et voir si ce ne serait peut-être pas l'occasion de
proposer de nouvelles solutions équilibrées et ne créant de dommages à
aucun groupe ethnique. Il serait peut-être profitable de relire les
propositions formulées par la communauté internationale avant Dayton -
le plan Cutillero et le plan Owen -Stoltenberg, initiatives
européennes dans les deux cas, refusées dans des circonstances non
encore totalement éclaircies. Selon Lord Owen, dans son livre Odyssée
balkanique , les américains auraient saboté son plan pour déplacer le
siège des négociations dans la base militaire de Dayton, afin de
s'attribuer -à des fins électorales- le mérite d'avoir arrêté la guerre.

Ala différence de la Bosnie, qui a des institutions sui generis qui
cohabitent avec de forts éléments de protectorat, le Kosovo, à plus de
six ans de la fin de la guerre (juin 99), continue à vivre sous un
protectorat international classique (Unmik/Kfor).

Lors de ces derniers mois, ont été avancées différentes propositions
pour une solution définitive. Après des années où l'on s'est retranché
derrière la formule « d'abord standard, ensuite status » qui a
garanti le pire status quo dans la région, qui vit dans une sorte d'
« obscurité médiatique », se profilent aujourd'hui les premiers signes
d'un intérêt international renouvelé. Le 24 octobre, les Nations
Unies, après la discussion au Conseil de Sécurité, ont décidé d'ouvrir
formellement les négociations pour définir le status de la province.

Avant d'entrer sur le fond des solutions possibles, prenons la peine à
ce stade de récapituler brièvement comment on en est arrivé à la
situation actuelle.

La guerre, que les stratèges de l'OTAN, à la fin du mois de mars 1999,
avaient prévue de brève durée (3,4 jours) s'est terminée après 78
jours de bombardements intenses et la signature à Kumanovo d'un accord
entre forces militaires yougoslaves et Alliance atlantique. Au Kosovo,
le retrait de l'armée de Belgrade s'est accompagné de l'entrée
simultanée des forces de l'OTAN et des milices de l'UCK.

Il est indubitable que, si l'on ne pouvait pas parler de « nettoyage
ethnique » des albanais avant le début de la guerre, la campagne
aérienne a déchaîné des représailles des serbes contre les albanais,
qui ne peuvent naturellement pas être justifiées par la brutalité des
bombardements eux même (qui ont touché des infrastructures civiles :
hôpitaux, écoles, aqueducs, ponts, centrales électriques, etc., ont
causé la mort de femmes et d'enfants, en faisant usage d'armes
interdites par de nombreuses Conventions internationales...).

Après la « libération » du Kosovo, a commencé un « nettoyage
ethnique » dans l'autre sens : 90% de la population non albanaise a
été obligée de quitter le Kosovo et n'a pas pu encore y retourner, en
dépit de toutes les promesses et garanties de la « communauté
internationale » ; en outre, les lieux saints de la région ont été
détruits (jusqu'à présent 150 églises et monastères orthodoxes). Il
s'agit de témoignages médiévaux du Christianisme serbe, patrimoine de
l'Humanité selon l'Unesco, au demeurant.

De nombreux observateurs s'accordent à reconnaître que la situation
économique et des droits humains est actuellement à bien des égards
pire que ce qu'elle a été il y a six ans. (Sur ce thème, voir
l'article du général Fabio Mini, qui a été longtemps Commandant OTAN
au Kosovo, « Kosovo roadmap » , Limes, 2004/2).


Un truquage, les accords de Kumanavo ?

La définition du status final ne pourra pas ne pas tenir compte du
document qui a conclu la guerre de 1999 : la résolution 1244 du
Conseil de Sécurité de l'ONU du 10 juin, dont font partie intégrante
les accords technico militaires de Kumanovo. Dans les documents sont
confirmées explicitement « une souveraineté et une intégrité
territoriale de la République Fédérale de Yougoslavie » et « une
autonomie substantielle du Kosovo ». Les conclusions du G8, le 6 mai
1999, comme l'accord stipulé grâce à la médiation de Ahtisaari et
Chernomyrdin, et accepté par l'Assemblée nationale serbe le 3 juin,
prévoient également l'intégrité territoriale de la Yougoslavie. La
guerre n'aurait pas pu se terminer le 10 juin sans cette
reconnaissance de l'intégrité du pays. Reconnaître maintenant
l'indépendance du Kosovo serait comme admettre qu'on est arrivé à une
« victoire » de la plus grande puissance militaire de l'histoire
contre un petit pays grâce à un truquage diplomatique habile.

Mais comment trouver une solution en partant d'un document qui
attribue de jure la souveraineté sur le Kosovo à la Yougoslavie (et à
la Serbie), pendant que de facto il a transformé la région en
protectorat militaire de l'OTAN et sous administration de
l'UNMIK-Nato ? Toute solution crédible, du point de vue de la légalité
internationale, doit se fonder sur la résolution Onu et ne peut
résulter que du dialogue direct entre Pristina et Belgrade, fut-il
médiatisé par une présence internationale super partes . Maintenant
qu'il y a en Serbie, au gouvernement, des politiciens considérés comme
pro occidentaux, et qui défendent de façon égale les principes
démocratiques et les intérêts nationaux, on peut espérer qu'il se
trouve en face des leaders kosovars qui partagent les mêmes valeurs.
Belgrade a simultanément la responsabilité de proposer un modèle
d'intégration démocratique pour les albanais en Serbie et de se poser
comme facteur de stabilité régionale. Comme les politiciens serbes se
prononcent pour une solution qui envisage « plus que l'autonomie et
moins que l'indépendance » peut-être vaudrait-il la peine de reprendre
les recherches sur le modèle du Haut Adige, que Rugova a entre-temps
abandonné, peut-être aussi parce que soumis à de fortes pressions
internes. Et la « communauté internationale » pourrait leur expliquer
que la comparaison avec les habitants du Haut-Adige ne serait pas une
offense. Mais la condition sine qua non pour la réussite des
négociations, sont le retour de plus de 200.000 réfugiés et la
reprise de la vie civile, dans ses formes les plus élémentaires pour
tous les non albanais. Si la « communauté internationale » n'est pas
en mesure, en dépit de sa forte présence, civile et militaire, de
garantir une vie « normale » aux serbes et autres autres groupes
ethniques, comment peut-on penser que ceux-ci pourront rentrer au
Kosovo et y jouir des droits humains, une fois que la Kfor et l'Unmik
auront quitté la région ? Il devrait être clair que si le Kosovo, pour
la première fois dans l'histoire, aura atteint son indépendance, pour
la première fois tout autant, cette région sera « ethniquement propre ».

En des termes réalistes le procès de définition du status devra
nécessairement tenir compte de trois éléments de la politique
internationale : les intérêts nationaux des parties en présence, les
rapports de force et les règles. Mais, concrètement, il reste beaucoup
d'inconnues : qui, par exemple, aura l'initiative d'un point de vue
international ? Les Etats-Unis, l'Union Européenne ou l'ONU ? Ou, pour
une fois, y aura-t-il une véritable tractation directe entre les
parties, sans solution imposée de l'extérieur ?


Le lobby de l'indépendance par nettoyage ethnique

Pendant que, en même temps que le lancement du processus, demeurent
les ambiguïtés des facteurs internationaux, on assiste désormais de
façon évidente, en cette année 2005, à un puissant engagement de
groupes informels, à fortes connotations lobbystico-médiatiques, en
faveur de l'indépendance du Kosovo.

Le 25 janvier de cette année l'International crisis group , auquel
appartiennent, entre autres, Zbigniew Brzezinsky, Marti Ahtasaari, le
général Wesley Clark, Georges Soros et Emma Bonino, a présenté un
document qui prévoit l'indépendance du Kosovo. Un autre groupe,
l'International commission on the Balkans , présidée par l' onorevole
Giuliano Amato, et financée par quatre Fondations privées, est arrivé
en avril, à une proposition analogue d'indépendance, à rejoindre
toutefois en quatre phases. Il convient de souligner que, à l'occasion
de la présentation à la Farnesina du plan Amato (26 avril 2005), les
responsables du Ministère et le ministre même, l' on , Gianfranco
Fini, ont fait preuve d'une extrême prudence.

On reconnaîtra à l' on . Amato le mérite d'avoir fourni un panorama
réaliste, et impitoyable, de la situation actuelle des Balkans, et
surtout de la Bosnie et du Kosovo. En outre sa proposition
d'intégration de toute la région dans l'Ue, dans des délais
relativement brefs, est certes convaincante. Mais, dans ce cas, il
s'agit de passer de la proposition aux faits, et pour cela il est
nécessaire d'avoir une vision claire de l'Europe de l'avenir.

Elle est certes très belle cette image de l' on . Amato, d'après qui
l'année 2014, où l'on va commémorer le centenaire de l'attentat de
Sarajevo et de la folie de la première guerre mondiale, devrait voir
l'entrée de tous les pays des Balkans finalement en paix, dans l'Ue,
et voir s'ouvrir une phase de concorde et de prospérité, sorte de
belle époque retrouvée.

Mais quelques fois, dans les Balkans, l'histoire, dans ses composantes
internes et externes, revient sur le lieu du crime, tel Raskolnikov,
le héros de Dostoïevski. Tous les acteurs de la tragédie sont encore
en place, espérons que le crime ne s'accomplisse pas.

Miodrag Lekic


Miodrag Lekic, ex ambassadeur yougoslave en Italie, 1996-1999 et
2001-2003, actuellement professeur contractuel à la LUISS et à
l'université de Rome « La Sapienza ».

Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

Traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio


On lira aussi sur ce thème l'ouvrage de la journaliste américaine
Diana Johnstone, La Croisade des fous (Ed. Le temps des Cerises. 2005)
www.letempsdescerises.net ainsi que son article dans la revue
Balkans-Info : www.b-i-infos.com

Toutes les notes sont de la traductrice.