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2007:27:46&log=invites

Slovénie : Un élève pas si modèle que ça !

Georges Berghezan


La paisible et prospère Slovénie entrera donc, le 1er janvier
prochain, dans le « club euro », seule parmi les dix nouveaux
adhérents de l’Union européenne à être jugée prête à utiliser la
monnaie unique. La réussite économique de cette ex-république
yougoslave de deux millions d’habitants ne devrait cependant pas
masquer d’autres aspects plus discutables des nouvelles institutions
slovènes.

L’accession à l’indépendance du pays a été marquée par une courte
guerre entre l’armée fédérale yougoslave, déployée aux frontières
internationales de la petite république, et des policiers et membres
de la « défense territoriale » slovène. Lors d’un de ces
affrontements, le 28 juin 1991, un cameraman de la chaîne
autrichienne ORF a filmé ce qui apparaît être l’exécution de trois
jeunes conscrits yougoslaves qui déployaient un drap blanc en signe
de reddition. Selon les Conventions de Genève, abattre des
prisonniers relève du crime de guerre et cet épisode, au poste de
Holmec, à la frontière autrichienne, serait dès lors le tout premier
cas de crime de guerre enregistré lors du démantèlement sanglant de
la Yougoslavie qui s’étendra tout au long des années ’90.

Il fallut attendre près de huit ans pour qu’un journal slovène révèle
l’affaire et que la séquence vidéo soit diffusée par la télévision
locale. Une enquête sera expédiée, concluant à l’inexistence de tout
crime qui aurait pu ternir la guerre d’indépendance : les soldats
auraient simulé leur exécution. L’affaire aurait été définitivement
enterrée si une ONG slovène de défense des droits humains, le
Helsinki Monitor (HMS), et sa présidente, Neva Miklavcic Predan, ne
s’en étaient emparées et n’aient entamé elles-mêmes leur propre
enquête. Ainsi, avec l’aide de la presse et d’ONG d’autres
républiques ex-yougoslaves, le HMS réussit à identifier des
survivants de la fusillade et des proches des victimes, un Croate
d’Herzégovine et deux Serbes de Vojvodine.

En 2003, Miklavcic Predan suscita le courroux des autorités de
Ljubljana en accusant Milan Kucan, alors encore président de
Slovénie, de faux témoignage pour avoir déclaré lors du procès de
Milosevic à La Haye que l’enquête sur l’affaire de Holmec suivait son
cours, tout en niant tout crime de guerre. Miklavcic Predan se
retrouva avec trois procès intentés à son encontre, dont un pour
diffamation à l’initiative d’une association d’anciens combattants.
Ce procès s’est achevé fin mai par l’acquittement de la prévenue, le
juge devant reconnaître qu’il n’y avait pas diffamation car l’accusée
n’imputait le crime à personne, mais réclamait simplement que leurs
auteurs soient identifiés et ne demeurent pas impunis.

Entre-temps, le procureur spécial pour crimes de guerre à Belgrade a
ouvert une enquête sur cet événement. Le Tribunal de La Haye, après
avoir d’abord manifesté son peu d’intérêt pour l’affaire – car il
s’agirait d’un « crime individuel », a donné son aval à la procédure
ouverte en Serbie.

Quinze ans après, les faits finiront donc peut-être par être établis
par une autorité judiciaire. En Slovénie également, l’affaire est
loin d’être close, car le procureur de Ljubljana vient de faire appel
contre l’acquittement de la présidente de HMS. Malmenées, voire
insultées par plusieurs médias slovènes, Miklavcic Predan et son ONG
viennent d’être maintenant la cible du Premier ministre Janez Jansa
qui a réclamé des mesures répressives à leur encontre, les accusant
d’être atteintes de « démence », de « faire chanter le gouvernement »
et de diffuser des « mensonges absurdes et pathologiques ». Il s’agit
là d’une immixtion et d’une pression manifeste sur un processus
judiciaire par le chef du gouvernement, en violation flagrante du
principe de séparation des pouvoirs.

Au-delà d’une pratique bien peu conforme avec les normes européennes
de démocratie, la réaction du Premier ministre montre que, comme les
autres républiques yougoslaves, la Slovénie est loin d’avoir tourné
la page des événements sanglants de la décennie précédente et d’être
en mesure d’examiner avec sérénité son passé récent. Ici comme
ailleurs, il est plus facile de se poser en innocente victime que
d’admettre ses propres torts. De plus, les remous causés par
l’affaire de Holmec dans toute l’ex-Yougoslavie (en contraste avec le
silence presque total des médias du reste du monde) ont permis la
mise à jour d’autres violations des Conventions de Genève par les
forces sécessionnistes slovènes. Et de revenir sur le scandale des «
effacés », ces dizaines de milliers de non-Slovènes qui, du jour au
lendemain, ont perdu toute identité administrative, et du même coup
leur droit au travail, à la pension, à la sécurité sociale… Un «
nettoyage ethnique » discret qui a fait bien moins de bruit que les
déportations et massacres commis dans les autres républiques.

L’Union européenne devrait être beaucoup plus attentive à
l’acharnement politico-judiciaire à l’encontre du HMS et de sa
présidente, ainsi qu’à d’autres dérives constatées parmi les nouveaux
adhérents, telle la réhabilitation du nazisme dans les pays baltes.
Faute de quoi, les discours sur la démocratie, où l’UE aime se poser
en exemple, sonneront de plus en plus creux et ne feront que
renforcer le camp de ceux qui ne voient dans l’Europe qu’un
instrument économique et financier, étranger aux réalités humaines.

Post scriptum:
En outre, quelques après sa rédaction, la répression s’est encore
durcie : Neva Miklavcic Predan est maintenant accusée d’avoir «
offensé l’Etat » (selon l’article 174 du Code Pénal), un délit
punissable de 2 ans d’emprisonnement. Le HMS est également sous la
menace d’une confiscation de son équipement et Neva pourrait perdre
son mobilier, afin de payer les frais judiciaires occasionnés par une
ancienne affaire, concernant une affaire d’éviction illégale d’un
appartement militaire jugée en 1999. D’autre part, le HMS reçoit un
nombre croissant de témoignages sur des crimes de guerre commis par
des paramilitaires slovènes en 1991, doit donc assumer un surcroît de
travail, alors qu'il est confronté à des difficultés financières de
plus en plus aiguës. Une demande de financement a été rejetée par la
Fondation Soros. Face aux mesures de plus en plus dures du
gouvernement et de l’appareil judiciaire slovènes, le HMS est donc en
recherche urgente de moyens d’encaisser le choc et de poursuivre sa
quête de la justice.


Ceux qui le peuvent sont donc invités à aider par des contributions
financières le HMS à poursuivre ses activités.
Adresse du HMS : Rimska Cesta 17, Ljubljana
Adresse de la banque : VIPA d.d.Ljubljana, Dunajska 48
Coordonnées bancaires : n° du compte : 005100 - 8000015997 ; IBAN :
SI 56-005100-8000015997 ; BIC : ABANSI2X.