Yvonne Bollmann

Un spectre hante l’Europe et menace la France : le spectre de l’ordre ethnique


On connaît désormais en France le rôle essentiel qu’a joué la FUEV/UFCE/FUEN (Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen/Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes/Federal Union of European Nationalities) dans l’élaboration de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Nous désignerons par son seul sigle allemand cette  association enregistrée dont le siège est à Flensburg (Schleswig-Holstein), puisque c’est aussi le texte allemand de ses statuts « qui fait autorité en cas de doute ».

Du 16 au 20 mai 2007 s’est tenu à Tallinn, en Estonie, son 52ème « Congrès des nationalités ». Quand la FUEV a renoué, en 1985, avec les « congrès des nationalités » qui ont eu lieu entre 1925 et 1938 dans le cadre de la SDN, sous le signe d’une conception « ethnique » de la nation, ce premier congrès d’après-guerre a été annoncé comme le quinzième du genre, faisant suite au quatorzième, de 1938. La politique allemande se caractérise bien par de la suite dans les idées et de la constance dans l’action. L’Assemblée des Délégués de la FUEV, qui est son organe suprême, s’est réunie pendant ce congrès de Tallinn, le 17 mai. Elle a adopté une modification de ses statuts.


Les nouveaux statuts de la FUEV, pour une Europe des régions à caractère ethnique

Les principaux changements ont porté sur le nom et l’objectif de la FUEV. Avant d’en aborder quelques uns, mentionnons une particularité de la version française de ces statuts, où « Volksgruppe » est traduit tantôt par « communauté ethnique » ou « groupe ethnique », tantôt par « nationalité ».
L’ancien article 1 disait entre autres que la FUEV « se tient au service des nationalités
d’Europe (Volksgruppen) ». Dans le nouvel article 1, l’Europe n’est plus mentionnée, sans doute pour ne pas répéter ce qui figure déjà dans le nom même de l’association, mais aux « Volksgruppen » viennent s’ajouter les « peuples (nommés ci-après groupes ethniques) représentant une minorité numérique à l’intérieur d’un territoire national » (le « territoire national » est ici le territoire d’un Etat). Pour Christoph Pan et Beate Sibylle Pfeil, qui sont les auteurs du manuel ethniste Die Volksgruppen in Europa, la notion de « peuple » est plus appropriée que celle de « groupe ethnique » pour désigner, par exemple, les Bretons.
Dans l’ancien article 2, une « nationalité », ou « communauté ethnique », était définie non seulement par « des caractéristiques qu’elle tient à préserver, telles qu’une langue propre, un passé original et une culture spécifique », mais aussi par le fait qu’ « elle n’a pas son propre Etat sur son sol, ou encore » que «  celui-ci se trouve hors de l’Etat formé par la même ethnie (minorité ethnique) ». La nouvelle version de cet article ne conserve que « des caractéristiques qu’elle tient à préserver, comme sa propre langue, culture et histoire », et ne mentionne plus un quelconque Etat. Est-ce à cause des changements intervenus dans l’article 3 ?
Son ancienne version française parlait de la « cohabitation harmonieuse, en bons voisins, d’une majorité et de minorité ethniques dans une même région » (ou, dans une traduction différente, « du peuple majoritaire et de la minorité dans une région »), devenue à présent « cohabitation harmonieuse, en bons voisins, d’une majorité et de groupes ethniques dans une même région ».
Dans la nouvelle version de l’article 3, la notion de « région » apparaît une seconde fois, accolée à celle de « nation » : la FUEV « vise à préserver les particularités nationales et régionales, la langue, la culture et les droits individuels et collectifs des groupes ethniques ». L’association de « national » et de « régional » pourrait faire croire qu’il s’agit des notions, traditionnellement complémentaires, touchant à l’Etat et aux régions. Cette apparence est trompeuse : « national » désigne ici non pas ce qui relève de l’Etat, mais ce qui se rapporte à l’ethnie. Il y a là, sans qu’il soit nommé comme tel, le projet d’une Europe des régions à caractère ethnique – une « construction fédéraliste », avec une « administration autonome » pour les « groupes ethniques ». 
Et pour faire passer le tout, on a jugé bon de mentionner, à côté des « droits collectifs », les « droits individuels (...) des groupes ethniques (sic) ». L’article 3 précise toutefois que la FUEV « s’emploie également à l’élaboration d’un code internationalement reconnu des droits des groupes ethniques » - des droits collectifs, s’entend. 


Les alliés de la FUEV au Parlement européen

Pour l’élaboration de tels droits, la FUEV a un allié de poids en la personne de Hans-Gert Pöttering, député au Parlement européen depuis 1979, et son président depuis le 16 janvier 2007. Rappelons qu’en juillet 1984, ainsi que l’a rapporté la revue Europa Ethnica, il a été cosignataire d’une proposition de résolution « sur un droit européen des Volksgruppen ». Le Parlement européen s’y disait « partisan du droit à l’autodétermination des peuples », et « demandait à la Communauté européenne de faire le nécessaire pour que tous les Européens puissent l’exercer ».
Dans une newsletter de juin 2007, la FUEV a rendu compte du discours que Hans-Gert Pöttering a prononcé lors de la présentation, au Parlement européen, d’un ouvrage sur les « sources internationales des droits des minorités nationales et ethniques ». Il a dit vouloir mettre l’accent tout particulièrement, durant son mandat, « sur les droits des minorités et le dialogue interculturel », et a renvoyé au travail de l’Intergroupe Minorités Nationales Traditionnelles, Régions Constitutionnelles et Langues Régionales du Parlement européen.
A titre d’exemple, voici le texte de la déclaration faite le 18 mai 2006 par le président de cet Intergroupe, le socialiste hongrois Csaba Sándor Tabajdi, lors d’une réunion avec les représentants de la commission langues et cultures régionales de l’Association des Régions de France et du Comité français du Bureau Européen des Langues Moins Répandues (EBLUL-France), à propos de la situation de la France en Europe :
« En France les cultures et langues dites « régionales », qui font partie intégrante des cultures et des langues européennes et de l’humanité, exclues de l’espace public par la législation, marginalisées, sont en voie de disparition rapide de la vie sociale malgré la résistance et l’auto-organisation souvent exemplaires des populations  avec le soutien de leurs élus dans un cadre juridique, administratif et idéologique hostile. Après des décennies d’éradication, l’enseignement de ces langues reste très marginal et leur place dans les media, notamment la radio et la télévision est extrêmement réduit.
Pratiquement seule en Europe, la France n’a ni signé ni ratifié la Convention cadre européenne sur les minorité nationales. Elle n’a pas encore ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Elle a émis des réserves sur l’article 27 du Pacte international sur les droits civils et politiques, l’article 30 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Par la Constitution, et malgré la richesse des différentes langues du territoire, une seule langue, le français, bénéficie d’une reconnaissance officielle, est défendue, promue, autorisée. 
C’est pourquoi Le président de l’Intergroupe Minorités Nationales Traditionnelles, Régions Constitutionnelles et Langues Régionales souhaite que la République française retrouve le sens des valeurs universelles qui ont fait sa grandeur et conformément aux très nombreuses recommandations qui lui ont déjà été faites, dernièrement encore en février 2006 dans le rapport du Commissaire européen aux doits de l’homme M. Gil-Roblès :
- qu’elle ratifie la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signe et ratifie la Convention cadre européenne sur les minorités nationales, ratifie le Protocole 12 à la Convention européenne des droits de l’homme, lève ses réserves sur l’article 27 du Pacte des droits civils et politiques  et l’article 30 de la Convention des droits de l’enfant, 
- qu’elle reconnaisse pleinement le droit à l’existence des citoyens et peuples qui la composent  dans leur spécificité notamment à travers un système d’éducation, des media et un espace public permettant l’expression normale de leurs langues, l’enseignement de leurs cultures et de leurs histoires conformément à la Déclaration universelle  de l’UNESCO sur la diversité culturelle et à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Le président de l’Intergroupe appelle l’Union européenne, dans le domaine de ses compétences, à engager des actions spécifiques de promotion de la diversité linguistique fondées sur les langues menacées à l’échelle européenne, en lien avec les régions ou institutions locales concernées, et à créer un fonds spécial de soutien communautaire aux programmes de promotion de ces langues dans les différentes régions de l'Union européenne. 
Le président de l’Intergroupe interpelle également les Etats, et l’Union européenne sur l’urgence des mesures à prendre et sur leur devoir d’ingérence, compte tenu de la faiblesse dans laquelle ont été mises ces langues en France et notamment de la disparition rapide de la génération ancienne qui parle encore massivement ces langues sans être remplacée. » La France est sommée de renoncer à son histoire et à son identité d’Etat-nation, et d’adopter l’ordre ethnique voulu par l’Allemagne.


Le « peuple breton » a voté Oui le 29 mai 2005

Comme l’indique l’article 13 de ses statuts, l’Assemblée des Délégués de la FUEV est « constituée de deux délégués de chaque communauté ethnique représentée en tant que membre régulier » de l’association, « de deux délégués de la Jeunesse des Communautés ethniques européennes et des membres du Comité directeur disposant chacun d’une voix ». Comme « membre régulier » venant de France, il y a le « Comité d´ Action Régionale de Bretagne, Klesseven, F - 22110 Glomel / Bretagne ».
L’article 15 dit que « les membres associés peuvent envoyer un représentant sans droit de vote aux réunions de l’Assemblée des Délégués ». Ce sont, dans le cas de la France, « POBL Evit Breizh Dizalc`h, 89 straed an Alma, F - 35000 Roazhon », « Michiel de Swaenkring, 16,rue Gabriel Péri,
F - 59251 Allennes-Les-Marais », et « Elsaß-Lothringischer Volksbund, Am Alten Fischmarkt 7, 7, rue du Vieux Marche poissons (sic), F - 67000 Strasbourg ». Bretagne, Flandre et Alsace-Lorraine : même combat !
La « délégation bretonne » est, semble-t-il, à l’origine de l’une des huit Résolutions adoptées par l’Assemblée des Délégués le 17 mai 2007 à Tallinn. Voici, tel quel, le texte de cette Résolution (2007 – 06) : « Au vue de la volonté manifeste de l’Etat français de poursuivre jusqu’à son terme l’éradication totale de la langue bretonne, la délégation bretonne adjure ses compatriotes européens d’exercer sur l’Etat français, par le truchement de leurs représentants, toute la pression nécessaire pour qu’il se conforme enfin à l’éthique internationale concernant le droit des minorités autochtones sur leur territoire historique et cesse de pratiquer à leur encontre une politique d’uniformisation linguistique inexorable tout en prêchant à l’extérieur les vertus de la diversité culturelle.
Nous rappelons ici l’apophtegme de Kant : « Agis de telle façon que la maxime de ta volonté puisse toujours, en même temps, être considérée comme le principe d’une législation universelle. » (« Handle so, dass die Maxime deines Willens jederzeit zugleich als Prinzip einer allgemeinen Gesetzgebung gelten könne.”). Nous estimons que cette formule, dans le domaine qui nous occupe, au XXIème siècle, dans une Europe dont la construction est basée sur le droit – suivant ainsi l’idéal de Kant – doit être considérée comme une règle absolue.
Nous demandons enfin, puisque le peuple breton, sur le territoire correspondant à l’Etat breton, Etat souverain jusqu’à l’abolition unilatérale de cet Etat par la Révolution française, a adopté dans sa majorité le projet de Constitution Européenne, à la différence du peuple français qui l’a rejetée, qu’une commission d’experts internationaux indépendants soit constituée pour examiner le véritable statut juridique de la Bretagne au regard du droit international et et qu’on developpe des formes appropriées d’autogestion linguistique, culturelle, administrative et politique. Il y va de la survie d’un peuple européen, le peuple breton, en tant que peuple. »
Kant a vraiment bon dos, et l’éthique aussi ! On voit dans cette Résolution, de même que dans la déclaration du président de l’Intergroupe citée plus haut, comment la notion de « diversité culturelle » peut être retournée contre la France. Elle est inscrite dans la Charte des droits fondamentaux, qui sera déclarée juridiquement contraignante dans le Traité modificatif. Si la France ne rejoint pas le Royaume-Uni et la Pologne pour en être exemptée comme eux, elle risque d’en subir des conséquences néfastes à son unité.


Le séminaire de Tarbes

L’ingérence de la FUEV dans les affaires de la France ne s’arrête d’ailleurs pas là. C’est sur notre territoire même qu’elle vient exercer son influence subversive, et qu’elle essaie de détruire l’unité nationale.
La FUEV a une organisation de jeunesse, la JEV/JCEE/YEN (Jugend Europäischer Volksgruppen/Jeunesse des Communautés Ethniques Européennes/Youth of European Nationalities), dont la devise est « Vivre la diversité ». Elle regroupe 33 organisations réparties sur 17 pays, et est donc «  la plus importante confédération d’organisations de jeunesse des minorités nationales autochtones/Volksgruppen en Europe ». En dernier, elle a accueilli comme nouveaux membres extraordinaires les Cachoubes de Pologne et l’organisation de jeunesse de la communauté aroumaine de Roumanie. Les membres d’une organisation de jeunesse du Danemark et le Forum de la jeunesse serbe, jusque là membres extraordinaires, ont été déclarés membres ordinaires.
Au printemps 2007 s’est déroulé à Tarbes, « en solidarité avec des Occitans »,  le traditionnel séminaire pascal de la JEV, inauguré officiellement le 10 avril. 110 jeunes, de 24 « minorités nationales autochtones/Volksgruppen », venus de 15 pays européens, y ont participé. Le thème en était « Lengas capsús las frontèras – Langues saute-frontière ». L’organe invitant était le « Conselh Representacion Generala de la Joventut d´Òc », une organisation membre de la JEV. En collaboration avec celle-ci, « les jeunes Occitans ont mis sur pied un programme allant de jeux traditionnels occitans à un débat public sur l’avenir de l’Europe vu par la jeunesse ». 
« La situation particulière des communautés linguistiques régionales en France » a été le thème principal de ce séminaire, où des « discussions animées ont eu lieu sur les droits pour assurer la pérennité linguistique et culturelle en France ». Les « délégués » de la JEV n’y ont pas caché « leur inquiétude quant à la protection insuffisante, ou plutôt absente, des communautés linguistiques régionales en France ». Lors de l’assemblée générale, ils ont adopté une résolution qui invite la France à protéger et à soutenir celles-ci activement. 
Christiana Walde, la vice-présidente de la JEV, a déclaré : « Selon l’article 2 de la Constitution française, le français est l’unique langue parlée en France. L’Etat se soustrait ainsi avec succès à la responsabilité qui lui incombe dans la protection de la diversité linguistique, selon lui inexistante en France. La réalité étant différente, les Occitans n’ont pas d’autre choix que de se rassembler en masse pour revendiquer leurs droits. Espérons que le soutien apporté par d’autres communautés ethniques européennes (Volksgruppen) permettra de remédier à cette vision des choses, qui n’est pas adaptée à l’Europe du 21ème siècle. Un séminaire n’y suffit bien sûr pas. Nous continuerons à manifester notre soutien. »
Aleksander Studen Kirchner, le président de la JEV, s’est montré satisfait de ce séminaire : « Nous sommes une organisation en croissance permanente, et nous devons donc sans arrêt adapter nos structures aux nouveaux défis, afin que nous puissions mobiliser le vaste réseau européen que nous représentons, et en utiliser toutes les ressources, l’objectif étant toujours de renforcer notre travail politique. »


Conclusion

En Estonie, l’Assemblée des Délégués a examiné le projet de budget de la FUEV pour 2007. Sous les rubriques « Recettes » et « Dépenses » est inscrite, entre autres, la somme de 30 000 euros versée pour le financement du congrès de Tallinn par le ministère allemand de ... l'Intérieur. Celui-ci se sent visiblement habilité à gérer l’Europe entière par FUEV interposée, en fonction de critères ethniques, comme s’il s’agissait d’une Allemagne élargie. Le gouvernement allemand en son entier est donc en quelque sorte un cosignataire de la Résolution 2007-06 relative à la Bretagne, joignant ainsi le déni démocratique et la subversion à l’ingérence.


(Source: A. Lacroix-Riz)