http://www.chiffonrouge.org/spip.php?article101

http://www.voltairenet.org/article151597.html


Maladies non diagnostiquées et guerre radiologique

par Asaf Durakovic*

L’expérimentation et l’usage de la bombe atomique, puis des munitions et blindages à l’uranium appauvri, ont irradié les lieux d’expérimentation et les théâtres d’opération. Des maladies nouvelles ont atteint aussi bien les soldats de l’Alliance atlantique qui maniaient ces armes, que leurs ennemis, ou que les populations civiles. Longtemps après le retour de la paix, les radiations continuent à contaminer ceux qui y sont exposés. Bien que les gouvernements « occidentaux » aient volontairement entravé le plus longtemps possible la recherche médicale en cette matière, une abondante documentation a été amassée au cours des ans. Nous publions une longue synthèse dans laquelle Asaf Durakovic dresse le bilan des connaissances actuelles de cette catastrophe sanitaire. Désormais, la manière dont les pays de l’OTAN font la guerre peut aussi tuer leurs propres ressortissants en temps de paix.

21 SEPTEMBRE 2007


Une contamination interne par des isotopes d’uranium appauvri (UA) a été constatée parmi les anciens combattants britanniques, canadiens et états-uniens de la guerre du Golfe neuf ans encore après leur exposition à de la poussière radioactive lors de la première guerre du Golfe. Des isotopes d’UA ont été également observés dans des échantillons d’autopsie de poumons, de foie, de reins et d’os prélevés sur des vétérans canadiens. Dans des échantillons de sol prélevés au Kosovo, on a trouvé des centaines de particules de diamètre généralement inférieur à 5 _m pesant des milligrammes. La première guerre du Golfe a laissé dans l’environnement 350 tonnes d’UA et dans l’atmosphère 3 à 6 millions de grammes d’aérosols d’UA. Ses conséquences, le syndrome de la guerre du Golfe, consistent en troubles complexes multiorganiques, progressifs et invalidants : fatigue invalidante, douleurs musculo-squelettiques et articulaires, maux de tête, troubles neuropsychiatriques, changements de l’humeur, confusion mentale, problèmes visuels, troubles de la démarche, pertes de mémoire, lymphadénopathies, déficience respiratoire, impuissance et altérations morphologiques et fonctionnelles du système urinaire.

Ce que l’on sait actuellement sur les causes est totalement insuffisant. Après l’Opération Anaconda menée en Afghanistan (2002), notre équipe a examiné la population dans les régions de Jalalabad, Spin Gar, Tora Bora et Kaboul et a constaté que les civils présentaient des symptômes semblables à ceux du syndrome de la guerre du Golfe. Des échantillons d’urine de 24 heures ont été prélevés sur 8 sujets symptomatiques choisis selon les critères suivants :
1. Les symptômes ont commencé juste après le largage des bombes.
2. Les sujets étaient présents dans la région bombardée.
3. Manifestations cliniques.
Des prélèvements ont été effectués sur un groupe témoin d’habitants asymptomatiques de régions non bombardées. Tous les prélèvements ont été examinés quant à la concentration et au ratio de quatre isotopes U234, U235, U236 et U238. À cet effet, nous avons utilisé un spectromètre de masse multicollecteur à source d’ionisation par plasma à couplage inductif. Les premiers résultats de la province de Jalalabad ont prouvé que l’élimination d’uranium total dans l’urine était significativement plus importante chez toutes les personnes exposées que dans la population non exposée. L’analyse des ratios isotopiques d’uranium a révélé la présence d’uranium non appauvri. L’étude de prélèvements effectués en 2002 a révélé, dans les districts de Tora Bora, Yaka Toot, Lal Mal, Makam Khan Farm, Arda Farm, Bibi Mahre, Poli Cherki et à l’aéroport de Kaboul des concentrations d’uranium 200 fois plus fortes que celles de la population témoin. Les taux d’uranium dans les échantillons de sol des sites bombardés sont deux à trois fois plus élevés que les valeurs limites mondiales de concentration de 2 à 3 mg/kg et les concentrations dans l’eau sont significativement supérieures aux taux maximums tolérables fixés par l’OMS. Ces preuves toujours plus nombreuses font de la question de la prévention et de la réponse à la contamination par l’UA une priorité.

« Rien ne protège de cette force fondamentale de l’univers. »
Albert Einstein

La réalité de la guerre thermonucléaire se résume le mieux par l’affirmation d’Albert Einstein selon laquelle cette énergie suffit pour faire sauter la Terre [1]. Le champ de bataille nucléaire ne se limite plus à un pays ou à un continent, il dépasse de beaucoup les frontières politiques et géographiques et fait de chaque région une grande zone de guerre. Si une guerre nucléaire stratégique impliquant un arsenal de dix mille mégatonnes avait lieu, un milliard de personnes mourraient immédiatement de leurs blessures directes combinées (explosion, chaleur, radiations), un autre milliard succomberaient aux maladies dues au rayonnement [2] et les survivants devraient vivre dans un environnement exposé à des retombées radioactives qui exerceraient des effets somatiques et génétiques aux conséquences probablement irréversibles pour la biosphère.


La course aux armements nucléaires

Le premier essai de bombe atomique, baptisé Trinity, a eu lieu le 16 juillet 1945 à Alamogordo, aux environs de Los Alamos, au Nouveau- Mexique (États-Unis). En un millionième de seconde, la chaleur de la première bombe atomique a atteint plusieurs millions de degrés centigrades, cette bombe dégageant plus de 400 isotopes radioactifs et une grande énergie de liaison dont la pression était de plusieurs milliers de tonnes par centimètre carré. Pendant une fraction de seconde, le noyau de la bombe a été onze fois plus chaud que la surface du soleil. La taille de la boule de feu a atteint des centaines de mètres, car le noyau de la bombe s’est mélangé avec des atomes d’oxygène et d’azote, dévoilant le noyau intérieur brillant de l’explosion. En une seconde, la terre vaporisée s’est transformée en un champignon atomique d’une hauteur de 3000 m. A 150 milles de là, dans l’Arizona, les voyageurs de l’Union Pacific Railway ont pu voir la boule de feu. Les témoins ont donné différentes interprétations de ce phénomène, d’aucuns décrivant ses effets comme ceux de la chute d’un bombardier, d’autres comme un incendie de l’atmosphère ou l’arrivée d’une météorite. Des témoins habitant Gallup, ville située à 235 milles au nord du lieu de l’explosion, ont pensé assister à l’explosion d’un dépôt de munitions de l’armée [3]. 20 jours après l’essai Trinity, le 6 août 1945 à 8 h 15, une bombe atomique a été larguée sur Hiroshima. Elle a explosé à environ 633 mètres au-dessus de la ville, a voilé le soleil, tué 130 000 personnes, causé 80 000 invalides et rendu malades 90 000 personnes en raison des retombées radioactives ultérieures. En quelques heures, une pluie noire est tombée, des cendres blanches ont recouvert l’épicentre et causé des brûlures dermiques. La plupart des victimes primaires sont mortes des effets combinés de la chaleur, de la pression et d’une maladie aiguë des rayons. Hiroshima a été pratiquement rayé de la carte [4].

Deux jours plus tard, le 8 août 1945 à 11 h 01, une bombe au plutonium baptisée Fat Man a été larguée sur Nagasaki. Comme à Hiroshima, le soleil a disparu lorsque le champignon atomique s’est élevé. La population de la ville rayée de la carte est morte des mêmes blessures combinées qu’à Hiroshima. Il en est résulté la fin de la Seconde Guerre mondiale et des gains territoriaux pour l’Union soviétique. Quand une équipe de recherches sur les armements de Khrouchtchev a commencé, à l’automne 1948, à développer une bombe russe, ce fut le début de la course aux essais nucléaires. Les essais se sont poursuivis parallèlement aux États-Unis et en Union soviétique. Après la mort de Staline en 1953, l’Union soviétique a fait exploser, le 12 août, la première bombe mobile à hydrogène. Il s’agissait de sa deuxième bombe thermonucléaire. Réalisant que les Soviétiques étaient en train de gagner la course aux armements nucléaires, les États-Unis ont commencé à accélérer leurs programmes d’essais.

En 1955, il est devenu évident que les essais endommageaient irrémédiablement la biosphere [5]. Plus de 400 isotopes radioactifs libérés par chaque essai ont été identifi és comme cause de pollution. 40 de ces isotopes mettent en danger la santé humaine. Toute kilotonne libérée génère quelques grammes de radioisotopes aux propriétés toxiques pour l’organisme. En raison de sa longue demi-vie, de sa désintégration bêta et de ses propriétés spécifiques de l’os, le strontium-90 constitue le risque principal. De surcroît, les essais d’armes nucléaires ont provoqué des accidents. En 1958, un B-57 des Forces de l’air états-uniennes a largué la première bombe atomique dans les environs de Florence, en Caroline du Sud. La bombe, non armée, n’a pas explosé mais a parsemé le pays de matériaux radioactifs. La même année, un B-52 a largué une bombe atomique de deux mégatonnes dans les environs de Goldsboro, en Caroline du Nord. L’aviation états-unienne a enregistré par la suite d’autres accidents, notamment à Toula, au Groenland, et à Palomares, en Espagne. À Palomares, deux bombes au plutonium ont contaminé une grande partie du territoire et de la côte atlantique.

En 1958, après la catastrophe de Tchelyabinsk-40, l’Union soviétique a suspendu ses essais nucléaires. Toutefois, elle a bientôt repris ses essais de bombes de plusieurs mégatonnes dans la région arctique de Novaya Zemlya et a largué, le 9 septembre 1961, une bombe d’une puissance explosive de 50 mégatonnes. Entre-temps, aux États- Unis, les indices d’une contamination de l’environnement s’accumulaient, tout comme ceux d’une augmentation de l’incidence des cancers, des leucémies et d’autres troubles parmi ceux qui avaient travaillé dans le nucléaire. Conjointement aux problèmes posés par la sécurité radiologique, ces faits ont incité à démanteler l’énorme appareil bureaucratique incompétent que constituait l’Atomic Energy Commission. Elle a été remplacée, en 1974, par l’Energy and Research Administration and Nuclear Regulatory Agency (NRC).

En 1955, Bertrand Russell, Albert Einstein et neuf autres scientifiques réputés ont fondé le Mouvement Pugwash, qui s’est occupé de la prolifération et de la guerre atomiques. En organisant depuis 1957 des rencontres annuelles, Pugwash a commencé ses travaux qui ont abouti à un traité d’interdiction des essais d’armes atomiques et la production de nouveaux arsenaux et systèmes de transport [6]. En 1969, Pugwash a contribué à la mise en place des Négociations sur la limitation des armes stratégiques (SALT). Cette initiative a été soutenue par la campagne que Linus Pauling a menée contre les armes atomiques et la pollution de l’environnement. Après la crise de Cuba, la menace d’un confl it nucléaire a incité Kennedy et Khrouchtchev à signer, en 1963, un traité d’interdiction des essais nucléaires. Néanmoins, les essais nucléaires souterrains se sont poursuivis, ce qui a fait échouer le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. L’assassinat de Kennedy, la chute de Khrouchtchev et la guerre du Vietnam ont mis fin à la détente nucléaire.

La possibilité, réaliste, que l’Union soviétique dépasse les États-Unis dans ses essais et le développement d’armes nucléaires a conduit finalement, en 1972, au Traité SALT I qui interdisait partiellement le déploiement de systèmes de défense antimissile. L’Union soviétique avait déjà un tel système autour de Moscou et les États-Unis en avaient un dans le Dakota du Nord. Huit ans plus tard, le gouvernement Reagan a entamé les négociations SALT II, qui ont entraîné une réduction des armes (START), mais non une limitation. Le président du Comité exécutif de la Conférence Pugwash, Bernard Field, a qualifié cette situation de « repetitious stupidity of this futile charade. » [7] Paul Warnke, principal négociateur du Traité SALT II, a déclaré : « La triste histoire du contrôle des armements peut devenir le dernier chapitre de l’histoire de l’humanité. » [8] Depuis que le Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires a été signé, en 1963, quelque 50 essais ont été effectués chaque année, soit 55 % par les États- Unis, 30 % par la Russie et le solde de 15 % par la France, l’Angleterre, la Chine, l’Inde et le Pakistan. Comme la technologie des communications par satellite se développe très rapidement, la prolifération d’armes nucléaires implique que plus de 90 % de la surface terrestre constituent un objectif potentiel. La sécurité des nations n’est plus garantie par le nombre d’armes nucléaires. Même après l’effondrement de l’Union soviétique, les armes nucléaires demeurent un problème de sécurité essentiel, abstraction faite d’initiatives de collaboration entre Washington et Moscou. Les scénarios politiques internationaux comprennent de nouveaux risques de conflits nucléaires. Parmi ces risques figurent le retrait à court terme des États-Unis du Traité sur les systèmes de défense antimissile, la nouvelle doctrine de la « première frappe » et l’apparition récente de nouveaux pays en possession d’armes nucléaires [9]. La menace nucléaire subsiste en raison de la prolifération nucléaire, avec sa liste toujours plus longue de scénarios d’usage de la force, d’activités terroristes, de catastrophes nucléaires et écologiques et de doctrine de la « destruction mutuelle assurée ».


Terrorisme nucléaire et radiologique

Après le 11 septembre 2001, la possibilité d’attaques terroristes nucléaires et radiologiques a suscité davantage d’attention. Avant la catastrophe de New York, de telles possibilités étaient plutôt négligées. Ou la formation en matière de soins à apporter aux victimes des catastrophes nucléaires et radiologiques n’existait pas, ou elle n’était effectuée que très sporadiquement, même dans les institutions gouvernementales chargées de préserver les capacités de réaction. L’amélioration de la préparation des pays à faire face aux effets aigus et chroniques des radiations, la contamination de l’environnement, l’impact psychologique et social et les conséquences financières d’une attaque terroriste nucléaire apparaissent de nouveau comme une priorité des nations industrialisées [10]. Certains préconisent la doctrine de Clausewitz selon laquelle il convient de charger les forces armées de prévenir les attaques d’ennemis extérieurs ou de les repousser et d’attaquer d’autres pays si l’on estime que c’est dans l’intérêt international [11]. Les dommages chroniques causés par les radiations ont été réévalués à la lumière des conséquences possibles du terrorisme nucléaire pour des masses de victimes. La préparation à des accidents et à des attaques nucléaires et radiologiques doit aussi envisager les conséquences psychologiques en raison du fait bien établi que, dans un scénario de terrorisme nucléaire, il y aurait, pour chaque victime directe, 500 personnes sujettes à des troubles psychologiques et psychosomatiques qu’il serait difficile de distinguer des victimes véritablement contaminées [12]. Bien que des interventions médicamenteuses aient été examinées à titre de protection contre les radiations, les professionnels de santé devraient être conscients des lamentables échecs antérieurs dans le domaine des moyens de protection contre les radiations. On étudie actuellement le fait que les cellules vasculaires et parenchymales se régénèrent au lieu de mourir sous l’effet du rayonnement, cela en vue de développer des mécanismes visant à modifier la réponse de l’organisme, parallèlement à d’autres stratégies thérapeutiques telles que les corticostéroïdes, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, la pentoxyfi lline et la dismutase superoxyde [13]. Dans la gestion des dommages nucléaires et pathologiques, on est passé de conséquences ingérables d’un conflit nucléaire stratégique à des moyens de faire face à un grand nombre de victimes. Cette réponse doit se dégager d’efforts interdisciplinaires. Il faut immédiatement fournir de gros efforts pour développer des concepts de gestion clinique des victimes des radiations [14]. Simultanément, la recherche doit continuer à s’efforcer de comprendre et de gérer la contamination par les radionucléides, les effets radiotoxiques, la destruction des liaisons chimiques, les radicaux libres, les dommages à l’ADN cellulaire et aux enzymes [15]. Les efforts multidisciplinaires doivent comprendre la planifi cation, le tri des blessés, la décontamination, la décorporation, la thérapie de chélation et la gestion traditionnelle des symptômes des patients.

En raison des contraintes financières et du manque presque total de formation, de connaissances techniques, une éventuelle attaque terroriste constitue un sérieux défi [16]. On n’a pas encore tiré de manière adéquate les leçons de la première guerre du Golfe et du conflit des Balkans pour être préparé à s’occuper des victimes des radiations [17]. Une attaque terroriste subite nécessite une réponse effi cace du système sanitaire. Or la plupart des pays qui pourraient être la cible d’une attaque terroriste ne disposent guère de la logistique nécessaire, surtout dans les grandes villes où l’affectation des moyens financiers nécessiterait une restructuration des priorités afin de répondre aux conséquences pour la société. Dans un scénario de terrorisme nucléaire, il est particulièrement important d’être conscient que des terroristes pourraient recourir à des actinides, en mettant l’accent sur le plutonium, agent de contamination de masse.

Le plutonium est considéré comme la substance la plus dangereuse qui soit pour les êtres humains [18]. Si on le disperse sous forme de poussière radioactive ou s’il parvient dans les réseaux d’eau potable, seuls quelques grammes suffisent à contaminer une grande ville. Le plutonium a été vendu illégalement sur des marchés clandestins, en particulier dans l’ancienne Union soviétique. Grâce à un trafic illégal, il a fait son chemin dans diverses parties du monde. La dispersion de plutonium est considérée comme le pire scénario terroriste [19]. Si le cas se présente, les professionnels de santé devraient mettre l’accent sur la prévention plutôt que sur la gestion thérapeutique de masses de victimes du terrorisme nucléaire. Récemment, des médecins du monde entier ont adhéré à un groupement de plus de 1 000 organisations pour coopérer, soutenir l’élimination des armes nucléaires et réduire les risques des conséquences effroyables du terrorisme nucléaire et radiologique [20].


Guerre radiologique

C’est en mai 1991, dans le golfe Persique, que des armes radiologiques ont été employées pour la première fois. Elles ont inauguré un nouveau scénario de guerre CBRN (chimique, biologique, radiologique et nucléaire). Le recours à des armes qui frappent aussi bien les soldats que les civils n’est pas nouveau. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis craignaient sérieusement que les Japonais ne larguent sur le territoire états-unien des milliers de ballons remplis d’uranium et ne contaminent ses mégapoles [21]. Lors de la première guerre du Golfe, les munitions à l’UA ont répandu dans l’atmosphère des millions de grammes de poussières radioactives [22]. Leurs conséquences pour la santé et l’environnement restent controversées et le débat dépasse de loin le cadre de la communauté scientifique. Toutefois, de nombreuses études récentes ont confirmé deux siècles de preuves scientifiques de la toxicité somatique et génétique de l’uranium [23] [24] [25].

Le coût de la décontamination des sites touchés par des armes à l’uranium utilisées par des armées ou des terroristes reste un grave sujet d’inquiétude. L’expérience suédo-canadienne de décontamination radiologique effectuée récemment à Urnea, en Suède, a montré que deux méthodes courantes de décontamination de blindés légers extérieurement contaminés par le Na étaient inefficaces : la vapeur d’eau à haute pression et le jet d’eau à haute pression [26]. Cela montre clairement la nécessité d’une meilleure capacité des structures sanitaires publiques à réagir en cas de guerre radiologique ou d’attaque terroriste [27]. Le manque actuel de stratégie d’ensemble pour faire face à une menace d’utilisation terroriste d’engins de dispersion de matières radioactives (RDD) (ou « bombes sales ») souligne la nécessité d’une meilleure coordination de la capacité de réaction aux dangers chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires, au croisement actuel des armes classiques et des armes inédites [28].

Dans le scénario bien particulier d’une attaque radiologique, le cadre de la gestion de la guerre et du terrorisme radiologiques s’étend non seulement au-delà du domaine de la santé publique mais également de celui de la réserve des forces armies [29] [30]. La défense médicale contre la guerre radiologique reste un des aspects les plus négligés de l’enseignement médical actuel [31]. Le terrorisme radiologique et nucléaire constitue la plus grande menace de la société moderne, car la prolifération nucléaire a permis aux organisations subversives de se procurer facilement du matériel nucléaire [32].

En 2000 seulement, les États-Unis ont dépensé 10 milliards de dollars pour la lutte contre l’utilisation terroriste d’armes de destruction massive, et les dépenses ont augmenté considérablement après le 11 septembre 2001. Des études actuelles révèlent la vulnérabilité des sociétés occidentales au terrorisme nucléaire et mettent l’accent sur le fait que les organisations terroristes possédant des armes de destruction massive peuvent provoquer plus de destructions avec les engins nucléaires et radiologiques qu’avec tout autre type d’armes. La capacité des États-Unis à faire face à une attaque radiologique ou nucléaire est censée dépendre de quatre domaines d’action : l’amélioration du renseignement sur les organisations terroristes, l’amélioration de la sécurité des installations nucléaires dans l’ex- Union soviétique, la neutralisation des effets nucléaires et radiologiques et l’amélioration des capacités de réaction aux organisations clandestines déjà en possession d’armes nucléaires et radiologiques [33].

Le risque d’une attaque nucléaire et radiologique contre les États-Unis est accru par la technologie, l’accès aux matières nucléaires et radiologiques, l’instabilité économique de la Russie et le mécontentement suscité dans de nombreux pays par la politique étrangère états-unienne. Des mesures de sécurité inadéquates dans l’ancienne Union soviétique, combinées à une détermination accrue des terroristes et au caractère de plus en plus meurtrier de leurs attaques augmentent considérablement la probabilité de l’utilisation de RDD dans un proche avenir [34]. La question des effets sur l’environnement et la santé doit amener à aborder la question de la décontamination et de l’affectation de budgets visant à sauver des vies, à réduire les risques sanitaires et à préserver la culture, la biodiversité et l’intégrité des sites contaminés [35]. Les efforts dans ces domaines ont laissé à désirer dans le passé. On a notamment négligé d’indemniser de manière équitable les victimes des retombées radioactives dans l’Utah et le Nevada. Un dépistage et une indemnisation insuffisantes des victimes de cancers provoqués par l’exposition aux radiations et la controverse persistante sur l’interprétation par le gouvernement des radiations de faible niveau ont provoqué le mécontentement des populations contaminées lors des essais nucléaires [36].

Un récent rapport britannique est également suspect quant à son analyse de la mortalité et de l’incidence des cancers chez ceux qui ont participé aux essais atmosphériques d’armes nucléaires et aux programmes expérimentaux. Il contient une conclusion provocatrice : la mortalité générale chez les survivants aux essais nucléaires britanniques serait inférieure à celle de la population générale [37] .


De la comparution de Galilée devant l’Inquisition aux recherches sur l’uranium

Actuellement, la liberté de la science indépendante n’est guère différente de ce qu’elle était dans le passé. Ce que vivent les scientifi - ques aujourd’hui fait penser au procès de Galilée instruit par l’Inquisition en 1610. La controverse concernant les résultats des études du Dr Ernest Sternglass relatives aux taux de mortalité infantile et juvénile dans l’État de New York influencés par les essais nucléaires et les retombées radioactives a brisé sa carrière universitaire et scientifique. Lorsque son article classique [38] sur la mort d’enfants due aux conséquences des radiations parut en 1969 dans le Bulletin of Atomic Scientists, le rédacteur en chef de la revue lui confi a que Washington avait exercé des pressions pour qu’il ne le publie pas. L’éminent physicien Freeman Dyson écrivit dans une lettre de lecteur adressée à la même revue : « Si les chiffres avancés par Sternglass sont justes, et je crois qu’ils le sont, il y a là un bon argument contre la défense antimissile. » Sternglass considérait que la mort des enfants était due au strontium des retombées radioactives. Lorsque son estimation de près de 400 000 morts fut soumise au Dr John Gofman, directeur médical du Lawrence Livermore National Laboratory, celui-ci réévalua son rapport. Ayant corrigé certains chiffres, il conclut que même en utilisant un modèle stochastique, les directives concernant le risque par unité de radiation étaient 20 fois trop élevées pour être fiables. Il concluait également que le risque était plus important en cas de doses de radiations faibles qu’en cas de doses élevées. Il ajoutait que les décès par cancer dus aux essais nucléaires et aux retombées radioactives dépassaient 30 000 par année. Son rapport fut remis au Committee on Underground Nuclear Testing présidé par le sénateur E. Muskie. Celuici le transmit au président du Joint Committee on Atomic Energy, le sénateur C. Holifield. Ce dernier fit venir Gofman à Washington et le menaça ouvertement : « Nous les avons eus et nous vous aurons. » En 1973, victime de son intégrité, Gofman perdit son emploi dans son laboratoire. L’Atomic Energy Commission fut dissoute en 1974 [39].


Réexamen de la toxicité de l’uranium

Le risque fatal que présentent les isotopes d’uranium pour l’environnement et la santé humaine a été précisé au cours de deux siècles de recherches. Toutefois, les spécialistes de la santé sont mal formés en matière de radiotoxicité de base et de toxicologie chimique des isotopes d’uranium [40]. Les analyses récentes des effets potentiels des RDD sur la santé sont fondées essentiellement sur les données concernant les survivants japonais aux bombes atomiques, les essais nucléaires et les recherches de laboratoire. La littérature spécialisée, en particulier celle concernant les recherches de ces cinq dernières années, abonde en comptes rendus de travaux interdisciplinaires sur les effets des actinides et des isotopes d’uranium. La confirmation des cas de cancer de la thyroïde [41], de carcinome hépatocellulaire [42], de leucémie [43] et des risques que représente l’exposition aiguë ou chronique à l’uranium [44] a mis en lumière l’importance des conséquences somatiques et génétiques de la contamination par les isotopes d’uranium. Leur corrélation avec les essais atmosphériques d’armes nucléaires a été confirmée une nouvelle fois dans des rapports récents sur les taux d’actinides chez les mammifères marins du Pacifique nord, qui sont nettement associés à des années d’essais nucléaires et de retombées radioactives [45]. Le réexamen des études sur les survivants d’Hiroshima et de Nagasaki montre non seulement l’impact physique, mais aussi l’effet psychologique qu’exercent les armes atomiques sur les personnes présentes dans ces villes au moment de l’explosion : troubles psychiatriques, anxiété, somatisation de symptoms [46]. Ce réexamen indique clairement qu’il existe des effets psychologiques à long terme qu’il faut prendre en considération lors de la préparation à de futurs conflits.

Un autre rapport récent à propos des survivants de Nagasaki indique que les effets des radiations sur les survivants devront représenter un aspect essentiel de la gestion des soins médicaux lors de futurs conflits [47]. Les données actuelles sur les essais nucléaires montrent que la mortalité infantile, les naissances prématurées et les morts foetales sont associées, aux États-Unis, à l’exposition aux radiations [48]. Les conséquences pour la santé et l’environnement de la contamination radioactive ont été réévaluées sur de nombreux sites d’essais dans le monde entier. Ces études font état d’effets négatifs de la contamination radioactive sur les sites d’essais nucléaires, notamment ceux de Krasnoyarsk, en Sibérie [49], du Kazakhstan [50], des monts Altaï [51], de Semipalatinsk, au Kasakhstan [52], de la Techa, dans l’Oural [53], parmi le personnel du complexe nucléaire de Mayak [54], en République de Sakha (Yakutia) [55], sur l’île d’Amchitka, en Alaska [56], en Finlande et en Norvège [57]. Ces informations permettent d’évaluer convenablement les risques quand il s’agit de se préparer à réagir à une crise sanitaire extrême provoquée par l’usage d’armes nucléaires et radiologiques en cas de guerre ou d’attaque terroriste [58]. La connaissance actuelle de la dispersion de radionucléides [59] libérés dans la biosphère, dans le monde entier, dépasse de beaucoup le cadre de la recherche expérimentale et des soins à apporter aux victimes des radiations. Elle a des implications sur l’avenir de la planète [60] .


Recherches actuelles sur les conséquences sanitaires des armes à l’uranium

La plus importante contamination aux radionucléides a eu lieu en 1991 lors de la première guerre du Golfe. L’uranium appauvri (UA) utilisé dans des armes antichars a contaminé le territoire de l’Irak en exposant chroniquement la population et les soldats à la poussière, aux vapeurs et aux aérosols d’UA. Un petit nombre de soldats des Forces de la coalition ont été blessés par des éclats d’obus à l’UA.

L’alliage des armes à l’UA contient 99,8 % d’U238 émettant 60 % des radiations alpha, bêta et gamma de l’uranium naturel. L’UA est un métal lourd, 1,6 fois plus dense que le plomb. Il est organotrope, c’est-à-dire qu’il se fixe sur les organes cibles, tels que les tissus squelettiques où il demeure longtemps. Se dissolvant peu à peu, les isotopes d’uranium sont éliminés. On en a détecté dans l’urine d’anciens combattants de la guerre du Golfe 10 ans après qu’ils aient été absorbés par inhalation ou blessures résultant d’éclats d’obus. Des études sur leur répartition dans les tissus font état d’accumulation d’UA dans les os, les reins, le système reproducteur, le cerveau, les poumons, ce qui entraîne des effets génotoxiques, mutagènes et cancérogènes, ainsi que des altérations reproductrices et tératogènes [61].

On a détecté une contamination interne par les isotopes d’UA chez des anciens combattants britanniques, canadiens et américains de la première guerre du Golfe encore 9 ans après leur exposition à la poussière radioactive. On a également identifié des isotopes d’UA dans les poumons, le foie, les reins et les os d’un ancien combattant canadien au cours de son autopsie. Ces organes contenaient de fortes concentrations d’uranium, les ratios isotopiques révélant la présence d’UA. Des études effectuées en 1991, année de la première guerre du Golfe, à partir de comptages corps entier suggèrent la présence d’uranium dans l’organisme et l’urine d’anciens combattants contaminés [62]. Des contraintes logistiques et la controverse sur l’UA ont retardé les études approfondies jusqu’en 1998, date où les vétérans de la première guerre du Golfe furent soumis à un dépistage par activation neutronique. Bien que cette méthode soit vouée à la détection de petites quantités d’uranium, son usage précoce a permis de constater une contamination importante. Ces études ont été présentées au Congrès international de la Radiation Research Society qui a eu lieu à Dublin en 1998.

Les recherches expérimentales se sont poursuivies grâce au recours à la méthode la plus moderne, la spectrographie de masse, à la Memorial University of Newfoundland (St John’s, Terre-Neuve, Canada) et plus tard au British Geological Survey (Nottingham, Angleterre). Les deux séries d’études ont confirmé des concentrations et des ratios isotopiques d’UA plus élevés dans 67 % des échantillons. La première présentation, basée sur les données de la spectrométrie de masse, fut faite au Congrès européen de médecine nucléaire qui a eu lieu à Paris en 2000. Les recherches ont continuellement progressé, depuis la détection et la mesure de l’UA dans les organismes des anciens combattants jusqu’à l’évaluation actuelle des effets cliniques de la contamination par l’uranium chez des vétérans de la première guerre du Golfe, des civils irakiens, des soldats et des civils des Balkans, des civils afghans et, plus récemment, de la bande de Gaza et de Cisjordanie.

L’UA, déchet faiblement radioactif de l’enrichissement isotopique de l’uranium naturel, a été identifié comme un contaminant incontestable présent dans les zones de conflit militaire mentionnées. Son rôle étiologique dans la genèse du syndrome de la guerre du Golfe a fait l’objet de controverses continues depuis cette guerre. Les preuves bien documentées de la toxicité aussi bien chimique que radiologique des isotopes d’uranium ont fait l’objet récemment d’un grand nombre de recherches et de rapports scientifiques sur leurs effets organotoxiques, mutagènes, tératogènes et cancérogènes [63]. Des études récentes de biodistribution chez des animaux de laboratoire dans le corps desquels on avait implanté des boulettes d’UA ont confirmé les résultats d’études de biodistribution antérieures selon lesquelles les reins et les os sont des cibles visées par les isotopes d’uranium, de même que d’autres sites des systèmes lymphatique, respiratoire, reproducteur et nerveux central [64].

Depuis presque deux siècles, on connaît les effets toxiques de l’uranium en matière de chimiotoxicité rénale qui ont été confirmés par des études récentes sur des cellules rénales in vitro. Les études concernant les effets de l’UA sur le système nerveux central ont confirmé sa rétention dans des zones de l’hippocampe. De plus, on a observé des modifi cations électro-physiologiques du système nerveux de rats dans lesquels ont avait implanté des boulettes d’UA [65]. Des effets mutagènes potentiels de la contamination interne par l’UA ont récemment été suggérés par la corrélation temporaire entre l’uranium implanté et l’expression oncogène des tissues [66], ainsi que par une instabilité génomique [67]. La transformation néoplastique des ostéoblastes humains dans une culture cellulaire contenant de l’UA confirme le risque de cancer provoqué par l’UA [68]. Cela correspond à ce que l’on sait des risques cancérogènes que fait courir l’UA aux cellules endobronchiales, de même qu’aux évaluations quantitatives récentes – déterminées par la charge pulmonaire lors de l’inhalation des aerosols [69] – des risques cancérogènes subis par les poumons des anciens combattants de la première guerre du Golfe. Le risque était évalué en appliquant la méthode de Battelle de simulation de liquide pulmonaire interstitiel et l’analyse de l’échantillon d’urine de 24 heures d’un vétéran contenant 0,150 mg d’UA 9 ans après l’exposition par inhalation [70]. Il s’est avéré que la charge pulmonaire correspondait à 1,54 mg d’UA au moment de l’exposition, avec une dose de radiations alpha de 4,4 millisieverts (mSv) pendant la première année et de 22,2 mSv 10 ans après l’exposition. Ces valeurs dépassent les doses d’inhalation maximales tolérables d’UA et justifient de nouvelles recherches sur la possibilité de modifi cations malignes des poumons.

Ces données humaines sont très importantes lorsqu’on les envisage à la lumière des preuves récentes des effets mutagènes des particules alpha sur les cellules souches et les instabilités chromosomiques des cellules de la moelle osseuse humaine dues aux radiations alpha [71] [72]. L’instabilité chromosomique due aux particules alpha explique clairement les effets mutagènes observés chez les vétérans britanniques de la guerre du Golfe positifs à l’UA, comme l’a montré récemment l’étude des lymphocytes périphériques présentée à l’université de Brême [73]. Ce résultat correspond à celui d’études antérieures sur les instabilités chromosomiques provoquées par une faible dose de particules alpha comparées aux effets identiques de l’irradiation aux photons [74]. Les études sur les effets des particules alpha et les progrès récents de l’irradiation par microfaisceau des cellules de mammifères permettent d’évaluer précisément le parcours d’une particule unique à travers le noyau cellulaire et de mesurer son effet cancérogène [75].

Bien que les mécanismes de la mutagénité et des effets cancérogènes des particules alpha inhalées restent obscurs, on a observé que de faibles doses de particules alpha peuvent provoquer des modifications des chromatid

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