Fabrice Garniron est l'auteur d'un livre qui vient de sortir où il étudie minutieusement les mensonges du quotidien de l'intelligentsia parisienne lors de la guerre dans les Balkans. Il a accordé à B. I. une interview exclusive.
B. I. : Qu'est-ce qui vous à poussé à vous intéresser au conflit dans l'ex-Yougoslavie ?
Fabrice Garniron : Je n’avais aucun lien avec la Yougoslavie avant le déclenchement des guerres au début des années 90.
Je crois qu’au départ mon intérêt s’explique par une culture familiale fortement imprégnée d’antifascisme, Je ne pouvais par conséquent rester indifférent lorsque les médias occidentaux ont présenté les guerres en Yougoslavie comme le retour de la barbarie nazie par Serbes interposés.
Mais rapidement cette campagne m’est apparue comme fallacieuse, la référence au nazisme n’étant qu’un outil au service du bourrage de crâne. Le mois d’août 1992 a été décisif : au moment même où la seule photo d’un homme squelettique suffisait aux médias occidentaux pour faire campagne sur “Auschwitz en Bosnie”, le journal britannique The Independant, se basant sur des rapports de l’ONU, affirmait que les autorités musulmanes tiraient sur leur propre population pour mieux incriminer les Serbes. La suite n’a fait que confirmer que nous n’étions pas face à un retour du nazisme, mais à une formidable campagne de nazification en vue de diaboliser une des parties en conflit.
Ma méfiance en 1992 a été alimentée par plusieurs évènements où, des années 60 aux années 80, les médias occidentaux ont montré leur efficacité et leur absence de scrupules dans le formatage de l’opinion.
Q. : Pourquoi vous êtes-vous concentré sur Le Monde ?
R. : Le choix du quotidien Le Monde n’est pas du au fait que ce dernier aurait adopté une ligne originale par rapport aux autres médias. Au contraire, il s’en distingue fort peu. Ce qui m’a paru intéressant dans ce quotidien, ce n’était pas l’originalité de sa ligne mais son statut, sa réputation et sa position. Ce journal, considéré comme le “quotidien de référence”, est en France au cœur de l’information. Il influence les médias audiovisuels en même temps qu’il est le journal de ce qu’il est convenu d’appeler “l’élite” politique, économique et intellectuelle. Son rayonnement est tel que, selon moi, le critiquer sur la question yougoslave revenait à s’attaquer à la crédibilité globale des médias français sur cette question. Ajoutons que de tous les quotidiens c’est celui qui, et de loin, a offert sur la question yougoslave le plus de matière : nombre d’articles considérable, suppléments spéciaux, chronologies, rétrospectives et nombreuses contributions extérieures au journal.
Q. : Votre livre se compose de chapitres traitant de sujets différents. Dans chaque cas, vous présentez le texte du Monde qu’ensuite vous réfutez. Pouvez-vous nous parler de ces sujets et nous dire en quoi le journal a faussement présenté les faits ?
R. : Il y a d’abord ce que j’ai évoqué plus haut : la nazification des Serbes. C’est un amalgame qui a cours au Monde depuis le début des années 90. Y compris en une, ou dans ses éditoriaux. C’est le cas en août 1992 par exemple, lors de la campagne sur “les camps de la mort en Bosnie”, ou en 1995, lors des accords de Dayton, où il est fait allusion à une nouvelle Shoah en Bosnie. Les exemples sont trop nombreux pour être cités ici. Ajoutons que la désinformation à laquelle s’associe Le Monde sur Srebrenica participe de cette tentative d’attribuer au nationalisme serbe un projet génocidaire de type nazi. Les nombreux faits démentant cette assimilation fallacieuse ne sont jamais mentionnés par Le Monde.
Le deuxième mensonge a consisté, dès 1992, à occulter l’existence d’un nationalisme musulman bosniaque en faisant passer les dirigeants musulmans pour les dépositaires d’un pseudo projet “multiethnique”. Miracle de la propagande : alors que les autorités musulmanes campent dès 1992 sur des positions bellicistes en refusant tout partage territorial avec les Serbes et se retrouvent rapidement en guerre contre leurs anciens alliés croates, le quotidien fait passer la politique de Sarajevo pour une politique de paix ayant pour but de créer un Etat commun aux Musulmans, Serbes et Croates. C’est ainsi que Le Monde diabolisera comme fascistes et racistes les aspirations à l’autodétermination des Serbes de Bosnie, quelques mois après avoir soutenu l’éclatement de la Yougoslavie au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes...
Cette ligne éditoriale conduit le quotidien à dissimuler des faits essentiels. Que ce soit l’itinéraire proallemand du président bosniaque Izetbegovic pendant la Seconde guerre mondiale, son voyage en Iran pour faire allégeance à l’ayatollah Khomeiny en 1983 et sa fameuse “Déclaration islamique”, rééditée en 1990. Une Déclaration que le quotidien ne citera jamais, même pas dans la biographie qu’il fera d’Izetbegovic lors de sa mort en octobre 2003.
Pour mieux angéliser les Musulmans et présenter les Serbes comme les seuls fauteurs de guerre, Le Monde taira également la responsabilité des autorités musulmanes dans le déclenchement de la guerre de Bosnie : pas la moindre trace dans Le Monde du fait qu’Izetbe-govic ait retiré sa signature du plan Cutileiro en mars 1992. Quant à la politique des autorités musulmanes consistant à organiser le massacre de leurs propres citoyens pour en accuser les Serbes, elle est devenue un sujet tabou malgré la somme de témoignages de personnalités occidentales presque toujours hostiles aux Serbes.
Le troisième mensonge a été de présenter systématiquement les Serbes comme les responsables de l’éclatement de la Yougoslavie. A lire Le Monde, il n’y avait en Yougoslavie qu’un seul nationalisme, cause de tous les maux de la Fédération : le nationalisme serbe. Ce serait lui qui aurait suscité, à la fin des années 80, la réaction prétendument légitime des autres nationalismes.
Pour Le Monde, tout commence à Kosovo Polje le 24 avril 1987 lorsque Slobodan Milosevic dit aux Serbes : “Personne n’a le droit de vous battre”. Le journal cherche à faire croire que cette phrase aurait été une pure provocation prononcée dans un ciel serein, comme si à ce moment-là la situation entre Serbes et Albanais du Kosovo était caractérisée par on ne sait quelle “concorde multiethnique”. Or, je le rappelle dans mon livre, entre 1968 et 1989, les non Albanais, en particulier les Serbes et les Monténégrins, étaient au Kosovo l’objet de persécutions les obligeant à quitter la province.
Pour Le Monde, il s’agit de présenter à l’opinion une version expurgée d’où a disparu toute trace de nationalisme non serbe, qu’il soit albanais, croate ou slovène, pour mieux incriminer les Serbes en général et Milosevic en particulier.
Concluons par le quatrième mensonge, intimement lié au troisième : la désignation des Serbes comme seuls coupables sert à mieux dissimuler le rôle destructeur de l’Allemagne dans la disparition de la Yougoslavie. Ce fait – Union européenne oblige – est l’autre grand tabou des récits pseudo historiques du Monde et des médias occidentaux en général.
Q. : Sur de nombreuses questions, la position prise par Le Monde n'a pas été cohérente. Le “nationalisme serbe” n'a pas été considéré comme une menace, et puis il l’est devenu. Milosevic a été loué pendant un certain temps comme un réformateur, et puis il est devenu l'incarnation du mal. Quel est à votre avis l'explication de ces changements d'attitude ?
R. : Effectivement, lors du travail préparatoire à mon livre, j’ai été surpris de voir à quel pointLe Monde, à la fin des années 80, soutenait Slobodan Milosevic. Il en faisait même l’éloge, le considérant en juillet 1989 comme “la plus forte personnalité apparue sur la scène yougoslave depuis la mort de Tito”. En cela il était représentatif de la presse occidentale de l’époque. Le Monde approuvait la volonté de Slobodan Milosevic de rééquilibrer la position de la Serbie au sein de la Yougoslavie et soutenait les réformes constitutionnelles visant à limiter, sans la supprimer, l’autonomie de la Voïvodine et du Kosovo. On ne peut qu’être surpris de cette position quand on voit plus tard cette même presse diaboliser les réformes en question comme une abominable et arbitraire suppression de l’autonomie...
Pourquoi alors ce soutien occidental ? A ce moment-là, les Occidentaux continuent de souhaiter le maintien de la Yougoslavie, unité à laquelle les Serbes sont les plus attachés. Ce qui nécessite de tenir compte des intérêts nationaux serbes. Tout change en 1989 avec les bouleversements que sont la chute du Mur et la réunification allemande. Cette réunification a dopé la volonté de puissance de l’Allemagne, mettant celle-ci en situation d’obliger ses partenaires européens à entériner la destruction de la Yougoslavie, vieux rêve allemand depuis la défaite de 1918.
La reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie en décembre 1991 a été d’une efficacité redoutable : elle privait la Fédération de ses républiques les plus riches et entraînait la guerre de Bosnie en incitant les nationalistes musulmans et croates à proclamer eux-mêmes l’indépendance. C’est ainsi que l’Allemagne de 1991 a réussi à mettre fin à une entité qui était un des symboles de sa défaite à la fin de la Première guerre mondiale.
Les Serbes étaient les principaux obstacles à cette politique de destruction de la Yougoslavie : ils ne pouvaient accepter d’être séparés de la Serbie dans diverses entités hostiles, la Bosnie d’Izetbegovic ou la Croatie de Tudjman. D’autant moins qu’au même moment, les Slovènes, les Croates et les Musulmans accédaient à l’autodétermination.
Quant au discours médiatique occidental, il a fait ce que les discours médiatiques font en général quand des intérêts sont en jeu, à plus forte raison en période de guerre : il a rendu l’ennemi haïssable.
Q. : Vous êtes particulièrement critique du Monde pour son attitude lors de la guerre en Bosnie et son explication des rapports entre communautés. Pourquoi ?
R. : Comme je l’ai dit précédemment, la tromperie principale a été de faire croire que les Musulmans bosniaques avaient un projet “multiethnique”, autrement dit un projet pour les Bosniaques de toutes origines. Un mensonge qui permettait d’obtenir le soutien de l’opinion occidentale. Tout a été fait pour occulter que les autorités musulmanes avaient en tête les seuls intérêts de leur communauté religieuse. Si ces mêmes autorités ont finalement bien mal défendu les intérêts des Musulmans, ce fut pour des raisons qui ne tenaient nullement à la volonté de s’entendre avec les Serbes, mais au contraire à leur extrémisme.
J’essaie de montrer dans mon livre que si cette l’imposture du pseudo “multiethnisme” des autorités musulmanes a eu un tel succès dans l’opinion, c’est en raison d’une illusion ethnocentrique plus ou moins savamment entretenue par nos médias : la Bosnie a été prise pour la France. Mieux : les Serbes ont été explicitement identifiés au Front national et les Musulmans bosniaques aux travailleurs immigrés d’origine maghrébine ou africaine ! Un contresens d’autant plus aberrant que la Bosnie est historiquement et constitutionnellement le pays de trois communautés nationales alors que la France est celui d’un seul peuple.
Q. : Quelle est votre analyse de la possibilité d’Etats multiethniques et multiculturels en Europe d’après ce que vous avez vu en Bosnie ?
R. : Il me serait difficile de tirer des conclusions précises pour le reste de l’Europe de ce qui s’est passé en Bosnie. Surtout que ce qui s’y est passé est parfois paradoxal : la victoire au sein du camp musulman du fondamentaliste Izetbegovic ne doit pas faire oublier la popularité d’un musulman laïc comme Fikret Abdic et le fait qu’il a affronté le président de Sarajevo.
Il reste que la tendance à angéliser les Musulmans de Bosnie se retrouve aujourd’hui chez ceux qui œuvrent pour des sociétés européennes soi-disant “multiculturelles”, à savoir, pour l’essentiel, des sociétés à forte présence musulmane, quelle soit démographique ou culturelle. En fait, ce qui s’organise concrètement c’est une juxtaposition de communautés et non pas leur symbiose à l’intérieur des nations européennes. Je vois là une source de conflits futurs : le risque est grand de voir émerger une identité euro-musulmane qui se transforme en une identité politique.
Au lieu de diaboliser ou d’angéliser l’islam, au lieu de porter des jugements de valeurs stériles, mieux vaudrait re-connaître l’évidence : la conception du monde musulman est profondément différente de l’occidentale, qu’il s’agisse de morale sexuelle, du statut de la femme, des relations entre politique et religion. Supposer que cette identité forte qu’est l’islam va tout naturellement s’intégrer dans les sociétés européennes est une illusion lourde de dangers. Oui, vous avez raison de le supposer : je ne suis pas sorti indemne de ce travail sur la Bosnie. Mes représentations classiques d’homme de gauche ont été mises à mal par mon propre travail. J’ai réalisé la puissance des identités alors que la gauche et les libéraux entretiennent l’illusion que ces identités ne peuvent que se dissoudre dans les “va-leurs universelles”, voire dans le progrès économique et social, comme si l’on pouvait réduire l’homme à un “homo economicus”.
Q. : En ce qui concerne Srebrenica, pouvez-vous nous donner un résumé de vos conclusions ?
Q. : Il ne s’agit pas de nier que des crimes très graves ont été commis par des Serbes à Srebrenica. Mais le reconnaître n’est en rien valider la version officielle. A commencer par la thèse ab-surde du “génocide”, thèse qui atteste d’une instrumentalisation politique et juridique du génocide par le Tribunal pénal international de La Haye, le TPIY.
On ne peut parler de génocide quand la totalité de la population civile, femmes, enfants et vieillards, a été évacuée vers les territoires contrôlés par les autorités musulmanes, évacuation par ailleurs décidée par les autorités musulmanes elles-mêmes et voulue par la population. On ne peut parler de génocide quand la majeure partie des combattants musulmans a pu passer la ligne de front à la suite d’un accord avec les autorités serbes. On ne peut pas non plus considérer que les Musulmans tombés à Srebrenica ont été dans leur ensemble abattus sommairement puisque des combats meurtriers ont eu lieu entre Serbes et Musulmans. On sait que les exhumations effectuées par le TPIY sont au nombre de 2.028, que les preuves incontestables d’exécutions sommaires sont au nombre de 448. Quant aux chiffres donnés par les autorités musulmanes, très supérieurs, ils n’ont été jusqu’ici l’objet d’aucune enquête ou contre-enquête. Le TPIY et les autorités musulmanes cherchent en fait à valider par tous les moyens la thèse des 8.000 morts, chiffre associé dans les esprits à celle du génocide.
Enfin, on ne peut dénoncer les crimes commis côté serbe sans dénoncer le jeu machiavélique de Sarajevo, qui a abandonné délibérément l’enclave dans les plus mauvaises conditions pour parvenir à ce qui a été son objectif durant toute la guerre : faire intervenir l’OTAN.
Q. : Comment peut-on expliquer une telle différence entre l'histoire officielle et vos conclusions ? Les gouvernants sont-ils aveugles, les journalistes sont-ils incompétents, le public international est-il stupide, de ne pas voir les choses que vous voyez ?
R. : Les gouvernements n’ont pas pour principale préoccupation la vérité, quelle qu’elle soit. Ils agissent au nom d’intérêts, ou de l’idée qu’ils s’en font.
Aujourd’hui, la diabolisation des Serbes et la version officielle des évènements de Srebrenica participent d’un discours de guerre qui est l’objet d’un consensus euro atlantique depuis 1992 : les Serbes sont “les méchants”, les puissances occidentales et leurs alliés locaux, en particulier les Musulmans bosniaques, sont “les bons”. C’est une version qui vise à la fois à justifier l’implication militaire des grandes puissances entre 1992 et 1999 et à légitimer leur présence actuelle dans la région.
Pour les journalistes, leur situation n’est guère différente : ils sont dominés par la peur et le conformisme. Tout écart par rapport à la version officielle risquerait de leur attirer l’insulte de “négationniste” et de leur faire perdre leur place.
Quant à l’opinion, on sait que, sans être stupide, elle a tendance à se fier à ce que les médias racontent en matière de politique internationale, domaine auquel elle a du mal à s’intéresser.
Source : B.I. infos
Le nazisme comme grille de lecture incontournable des guerres en ex-Yougoslavie (1991-1999) a joué et joue encore un rôle central dans le discours médiatique. Interdisant toute réserve, mobilisant facilement l’opinion sous le drapeau de l’antifascisme, l’équation « Serbes = Nazis » a eu un effet de sidération qui explique largement son succès. À côté de la plupart des autres médias, mais à sa place de « quotidien de référence », Le Monde a largement participé à cette campagne, multipliant dès 1992 les allusions à la nouvelle Shoah qui aurait eu lieu lors de la guerre en Bosnie (1992-1995). (Extraits du livre de Fabrice Garniron, Quand Le Monde... décryptage des conflits yougoslaves, Editions Elya, 2013)
(...) Au-delà de la guerre de Bosnie, c’est à travers ce prisme que Le Monde prétend lire la période de quelques années qui précède le déclenchement des guerres en 1991. L’objectif étant de faire du nationalisme serbe un nouveau national-socialisme. Tout se passe comme si Le Monde s’efforçait de plaquer sur cette période de la fin de la Fédération le schéma de la montée du nazisme et de la responsabilité allemande dans le déclenchement de la 2ème Guerre mondiale. Dans cette perspective, il faudrait attribuer au seul nationalisme serbe et à ses ambitions hégémoniques supposées la responsabilité de l’éclatement de la Fédération yougoslave. Cette histoire reconstituée devient, à partir de 1999, le storytelling à destination du grand public que nous appelons « La fable de Kosovo Polje », titre du premier chapitre. Nous y examinons non seulement les thèmes et les amalgames qui ont fait son succès mais aussi les responsabilités et les évènements qu’elle passe à la trappe pour donner sa version partisane de la fin de la Fédération.
Ce storytelling a toutefois un contrepoint insolite : la ligne du quotidien lui-même pendant les dernières années de la Fédération (1987-1991). À cette époque en effet, la ligne du Monde est à l’opposé de ce qu’elle est devenue ultérieurement. De 1968 à 1990, ce sont les nationalismes croate, albanais voire slovène qui, pour le quotidien, représentent les principales menaces pesant sur la Fédération.
(...) Alors que le quotidien rend compte jusqu’en 1989 d’une crise multiforme, avec des causes et des dynamiques nombreuses, en particulier économiques, il ne veut plus voir aujourd’hui qu’un seul responsable : le nationalisme serbe. Pour ce faire, il procède aujourd’hui à une véritable réécriture de l’histoire, allant jusqu’à faire disparaître purement et simplement de ses analyses, chronologies et allusions au passé, des pans entiers de ce qu’a été l’histoire de la Fédération. Les révoltes nationalistes albanaises et croates (...), en particulier celles de 1968 et de 1971 font partie de ces évènements occultés, comme le départ massif et forcé des Serbes du Kosovo entre 1968 et 1989. Un exode qui est aujourd’hui l’objet d’un déni complet au Monde, alors qu’il en a régulièrement informé ses lecteurs jusqu’en 1990.
Dans la dernière partie de ce premier chapitre, nous revenons sur une autre question devenue taboue au Monde : la responsabilité de l’Allemagne dans l’éclatement sanglant de la Yougoslavie. Autre occultation qui est dans la logique d’une fiction où, Europe oblige, les seuls responsables de la disparition de la Fédération doivent impérativement être serbes.
(...) Dans « Bosnie : ethnies ou peuples ? », nous tentons de montrer que la manière dont le quotidien a évoqué la question des « peuples » et des « ethnies » ne doit rien au hasard.
(...) C’est qu’avant d’être d’ordre sémantique, la problématique peuples/ethnies est éminemment politique : la notion de « peuple » débouche sur le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes tandis que celle d’« ethnie » ouvre généralement sur un principe différent, voire opposé, celui de « multiethnisme ». Pourquoi Le Monde, qui n’a cessé de vanter le « multiethnisme » dans le cas bosniaque ne l’a-t-il pas fait dans le cas yougoslave ? C’était pourtant le cadre yougoslave qui était le plus à même de garantir la vie commune et la paix entre les trois peuples bosniaques. Mais contre tout bon sens, Le Monde a discrédité en Bosnie ce qu’il a exalté dans le reste de la Yougoslavie. (...)Une contradiction que seule la politique des grandes puissances en ex-Yougoslavie permet d’élucider. Observer comment, selon les cas, Le Monde exalte ou discrédite l’un ou l’autre de ces principes est l’occasion de souligner l’adaptabilité de la rhétorique du quotidien et son suivisme à l’égard de ces mêmes puissances. (...)
L’aberration consistant à vouloir en Bosnie le contraire de ce qu’on préconise dans le reste de la Yougoslavie s’est accompagnée d’une illusion, voire d’une imposture. C’est le thème du troisième chapitre, Bosnie : du rêve multiethnique au despotisme. Le Monde a prétendu que les dirigeants de la communauté musulmane étaient les garants du « multiethnisme » en Bosnie. Tout ce qui pouvait gêner cette illusion a été occulté ou, dans le meilleur des cas, limité à quelques lignes.