Brucia ancora ai media mainstream la liberazione di Aleppo. Che ora rispondono diffondendo la “notizia”– patrocinata da un Rapporto di Human Rights Watch (HRW) – del Cloro che, a dicembre, sarebbe stato sganciato dall’aviazione russa e siriana sui quartieri di Aleppo presidiati dai “ribelli”...
Les chauffards du bobard
Pierre Rimbert
Apparu dans les années 2000 et remis au goût du jour dans les suites du Brexit puis de l’élection de Donald Trump, le concept a fini par s’imposer : nous vivrions actuellement dans l’ère de la « post-vérité », dans laquelle la vérité a perdu sa valeur de référence dans le débat public, au profit des croyances et des émotions suscitées ou encouragées par les fausses nouvelles devenues virales grâce aux réseaux sociaux. Sans doute la diffusion de fausses nouvelles est-elle une réalité, mais la façon dont certains journalistes des grands médias, et en particulier les cadres des rédactions, posent le problème, ne nous en apprend pas tant sur l’idée bancale de « post-vérité » que sur les croyances de ces mêmes journalistes et les points aveugles de la conception du rôle qu’ils jouent dans les événements politiques en général, et dans la situation actuelle en particulier.
Concepts flous, utilisations orientées
L’expression « post-vérité » (post-truth politics en version originale), apparue dès les années 2000 [1] connaît actuellement une deuxième vie, tellement riche qu’elle a été désignée « mot de l’année 2016 » par le dictionnaire Oxford. C’est Katharine Viner, rédactrice en chef « Informations et Médias » du quotidien britannique The Guardian, qui l’a remis au goût du jour, en l’actualisant, dans un éditorial du 12 juillet 2016. Au lendemain du Brexit, cette journaliste spécialiste des questions médiatiques donne ainsi un nouveau cadre à l’expression : les électeurs, trompés par de fausses nouvelles (fake news), ont voté pour le Brexit alors même que les médias favorables au maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne leur exposaient à longueur de colonnes et d’émissions les faits qui auraient dû les convaincre de voter « remain ».
Avoir la vérité de son côté ne suffit plus, nous dit-on, à persuader les électeurs, davantage enclins à suivre celles et ceux qui font appel à leurs émotions et à leurs croyances personnelles [2].
Cette utilisation de l’expression est celle qu’on retrouve depuis dans la grande majorité des médias dominants, avec une fréquence accrue après les élections « surprises » de Donald Trump aux États-Unis, et de François Fillon puis Benoît Hamon aux primaires de leurs camps respectifs en France. Chaque défaite électorale de l’option préférentielle des médias dominants (Hillary Clinton, Alain Juppé [3], Manuel Valls [4]) semble alors confirmer le diagnostic.
Dans un dossier consacré au sujet, un article de Libération résume le lien présumé (auquel son auteure ne semble pas souscrire complètement) entre fausses informations, crédulité du public et résultats électoraux : « Les médias dits traditionnels vérifient, contredisent, rétablissent les faits. Pour quels effets ? Après le Brexit, Trump est élu… Un faux tweet fait-il une vraie élection ? Mal informés voire désinformés, les électeurs voteraient pour Donald Trump ou Marine Le Pen. »
L’auteure de cet article est l’une des rares à prendre la précaution du conditionnel pour exposer cette théorie. Or celle-ci, reprise au moins implicitement dans nombre de contributions médiatiques au sujet de la « post-vérité » [5], souffre d’un point aveugle important : la réalité d’un changement de la crédulité du public est pour le moins mal étayée. En effet, on ne peut qu’être curieux de savoir ce qui a bien pu modifier à ce point le rapport que le public entretient avec la vérité. Pour se limiter à la question des élections, on pourrait se demander lesquelles ont été remportées par des candidats faisant campagne autour de faits (forcément vrais), et lesquelles ont été remportées par ceux qui auraient fait appel à l’émotion et à la croyance (forcément irrationnelles). Mais ces questions ne sont jamais posées sérieusement. Tout au plus peut-on apprendre que l’émergence de nouveaux moyens de diffusion de l’information a augmenté le nombre de personnes exposées à des fausses nouvelles. Ce qui conduit logiquement à l’idée que les réseaux sociaux doivent être contrôlés, ou au moins régulés [6].
Fausses nouvelles, fabrications ou mauvais journalisme
Les esprits mal tournés, et ceux disposant d’un peu de mémoire et de quelques archives, feront également remarquer que la diffusion de fausses nouvelles n’est pas apparue avec la création des réseaux sociaux : si les médias dits traditionnels vérifient, contredisent et rétablissent les faits, il ne fait aucun doute qu’il leur arrive également de diffuser des mensonges, et plus fréquemment encore des informations biaisées ou tronquées. C’est ce que rappelle l’article du Monde Diplomatique dans lequel Pierre Rimbert liste les principales fabrications médiatiques sur les questions internationales des trente dernières années, des faux charniers de Timişoara aux preuves imaginaires de la présence d’armes de destruction massive en Irak. C’est ce que nous a rappelé récemment l’affaire de la fillette sauvée par des CRS dans une voiture en feu à Bobigny : une information diffusée par la préfecture et reprise sans vérification (et sans conditionnel) par, entre autres, Le Parisien, Le Journal du dimanche ou encore Valeurs actuelles, alors qu’il a rapidement été établi que c’était un jeune manifestant qui avait sorti la fillette de la voiture, et que cette dernière n’était pas encore en feu.
Pour reprendre le cas du Guardian, on aura noté que l’éditorial de Katharine Viner a suscité bien plus de reprise et de commentaires que l’article du journaliste Glenn Greenwald qui dénonçait la falsification d’une interview de Julian Assange par le quotidien britannique. Le même Greenwald, ancien journaliste du Guardian à l’origine des premières publications de « l’affaire » Edward Snowden et aujourd’hui directeur du site d’information The Intercept, exposait aussi récemment deux autres fabrications parues dans le quotidien américain The Washington Post, grand pourfendeur de la post-vérité et des « fake news », qui dispute la place de « quotidien de référence » outre-Atlantique au New York Times [7]. Greenwald relevait également que les articles dans lesquels apparaissent ces fabrications sont très profitables au journal qui les publie puisqu’ils génèrent beaucoup de trafic sur son site. Surprise : la course à l’audience et aux publications spectaculaires pourrait donc être à l’origine de la diffusion de fausses nouvelles, y compris au sein des médias traditionnels… Quant aux correctifs ajoutés après coup, qui reconnaissent la fausseté des informations centrales des articles originaux, ils n’ont pas été relayés par les journalistes du « Post » sur leur compte Twitter, pas plus que leurs tweets diffusant les articles originaux n’ont été supprimés.
En France aussi, il arrive que des journalistes professionnels diffusent de fausses informations : par exemple sur les circonstances de la mort d’Adama Traoré ou les prétendus mensonges d’une interne en médecine critiquant la ministre de la Santé. Ou lorsque l’AFP reprend les fausses informations du Washington Post dans une dépêche qui donnera lieu à plusieurs articles, dont celui du Monde, qui lui-même sera par la suite corrigé discrètement [8].
Mais, comme le note Greenwald, ceux qui distinguent la catégorie de « fake news » de celle de « mauvais articles » le font à dessein. Dans le lexique de la rubrique « Les Décodeurs » du Monde, déjà cité plus haut, une « fake news » est ainsi un « faux prenant l’apparence d’un article de presse ». Cette distinction fondée sur l’intentionnalité, souvent difficile à déterminer, de la personne qui produit l’information, permet surtout d’immuniser par avance le journalisme professionnel qui pourrait ainsi être à l’origine de mauvais articles, mais jamais ou très rarement de « fake news ».
Quoi qu’il en soit, il incombe aux tenants de la notion de « post-vérité » de répondre aux questions suivantes : pourquoi les fabrications des médias traditionnels n’ont-elles pas présenté dans le passé, et ne présentent-elles pas aujourd’hui le même type de menace que les « fake news » dont on s’inquiète tant ? Et comment expliquer que le public, autrefois rationnel et raisonnable, soit devenu aussi hermétique aux faits, vérifications et explications fournis par les médias traditionnels ? L’explication qui prend uniquement en compte le rôle de diffusion des réseaux sociaux semble un peu courte, a fortiori si l’on s’intéresse aux audiences massives de certaines émissions d’information (environ 8 millions de téléspectateurs combinés chaque soir pour les journaux télévisés de 20 heures de TF1 et France 2), ou que l’on remarque le poids croissant des productions de médias mainstream dans les contenus partagés sur Facebook ou Twitter. Notons ici que, selon l’ACPM, les cinq sites d’information les plus consultés en France étaient, en mai 2016, LeMonde.fr, LeFigaro.fr, 20minutes.fr, LeParisien.fr et Bfmtv.com [9]. Soit une écrasante domination des médias « traditionnels »…
Derrière la « post-vérité » : une conception particulière du rôle du journaliste
À bien y regarder, l’ère de la « post-vérité » ne se singularise donc pas essentiellement par une attitude radicalement différente du public par rapport à la vérité (qui reste à démontrer), mais bien par la perception par les journalistes que l’opinion ne les suit plus. On pourrait même donner une assez bonne définition de l’ère de la « post-vérité » comme période au cours de laquelle les électeurs votent contre les options électorales soutenues par la majorité des grands médias. Et ce n’est pas un hasard si une grande partie des articles [10] traitant de « fake news » ou de « post-vérité » font un lien direct avec les événements électoraux récents, preuves douloureuses, administrées à plusieurs reprises en 2016, que les médias ne font pas l’élection, en tout cas certainement pas tout seuls [11].
Ce qui semble poindre derrière l’idée de la disparition de la vérité comme valeur référence du combat politique est une certaine angoisse devant l’impossibilité pour certains journalistes de remplir le rôle qu’ils semblent s’assigner : permettre aux électeurs de voter correctement. Il est donc naturel que Céline Pigale, directrice de la rédaction de BFM-TV, résume ainsi les enjeux [12] : « Il faut rétablir, il faut obtenir que les gens nous croient. » Ce que l’on peut traduire ainsi : « Lorsque les citoyens-électeurs ne nous écoutent pas, ils votent n’importe comment ; il est donc impératif qu’ils nous écoutent et nous croient à nouveau. »
Cette conception du rôle du journalisme comme responsable de la certification des faits pertinents, mais aussi de leurs interprétations acceptables, est celle qui fait tenir aux éditorialistes leurs sempiternels discours sur le « réalisme », « le pragmatisme », l’inquiétante « montée des populisme », etc. C’est cette conception qui était la cible de l’article de Frédéric Lordon que nous avions recensé : si les médias professionnels ont une responsabilité dans les évolutions politiques des dernières décennies, c’est bien celle d’avoir, au nom d’un rôle prescriptif rarement revendiqué mais néanmoins assumé, marginalisé avec beaucoup de constance et d’application un certain nombre d’options politiques qui sortent du « cercle de la raison », et d’avoir rendu une immense partie de l’espace médiatique impraticable pour les tenants de ces options [13].
Une crise de confiance : mais confiance en qui ?
Or les options admises semblent intéresser un public de moins en moins nombreux, mais pour des raisons qui ne sont pas fondamentalement liées à leur traitement médiatique ou à celui de leurs concurrentes exclues. Et l’on est frappé de voir la victoire de Donald Trump analysée principalement comme un échec des médias qui avaient pris parti pour son adversaire, et qui n’avaient pas su prédire le résultat de l’élection en raison d’une déconnexion d’avec une large part des électeurs américains : cette analyse, modèle d’auto-centrisme aveuglé, néglige à peu près tous les facteurs politiques, économiques et sociaux qui ont pu pousser les électeurs à voter pour le candidat républicain – aussi bien les aspects de son programme et de son positionnement politique qui ont pu trouver un écho auprès des électeurs, que ceux qui les ont rebutés dans le programme de son adversaire et dans le bilan de la présidence Obama qu’elle défendait. Autant d’éléments, régulièrement écartés des discussions « post-vérité » [14]. Mais il est vrai que la prise en compte de ces éléments pourraient amener à soulever des questions autrement plus fâcheuses : « Et si ces gens qui ne nous écoutent plus avaient en fait quelques bonnes raisons pour cela ? »
Et l’analyse autocentrée se poursuit par cette esquisse de solution : en reprenant contact avec les « vrais gens », avec la France (ou l’Amérique) « profonde », les médias restaureront leur crédibilité et la confiance que leur accorde le public. Malheureusement, il apparaît qu’un projet comme celui du Monde, qui annonce « une “task-force” de six à huit journalistes lancés à la rencontre de “la France de la colère et du rejet” » [15] a bien peu de chance d’atteindre cet objectif. La raison en est aussi simple que difficile à entendre de la part de journalistes qui, souvent généreux, prétendent « rétablir la confiance » à coup de faits et d’enquêtes : tant que la quasi-totalité des grands médias restera dans la sphère d’influence des pouvoirs politique et économique, les journalistes resteront souvent victimes, qu’ils le méritent ou non, du discrédit et de la contestation qui frappent les oligarchies économiques et le microcosme politique. Autrement dit : la défiance et la critique à l’égard des journalistes et des informations se nourrissent de raisons diverses et nombreuses qui sont également, voire essentiellement extra-médiatiques.
Sans doute notre association s’intéresse-t-elle surtout à la façon dont la discussion – thèmes possibles à aborder et opinions possibles à défendre – est fermement encadrée dans une grande partie de la production médiatique mainstream : « pragmatisme » et « réalisme » versus « populisme » et « utopie ». Mais nous tentons de ne pas nous laisser griser par notre enthousiasme : ce n’est pas l’efficacité grandissante de cette critique qui explique prioritairement la perte de crédit des médias dits professionnels. Il semble plutôt qu’après plusieurs décennies catastrophiques aux plans politique, social, économique et environnemental, les principaux pouvoirs suscitent de plus en plus de défiance, ce qui se répercute quasi mécaniquement sur les satellites médiatiques de ces pouvoirs.
Restaurer la confiance : l’énergie dispersée du désespoir
C’est assez dire que la capacité de restaurer leur crédit ne dépend pas des seuls médias. Sans doute, traquer les fausses informations, comme le font par exemple les « Décodeurs » du Monde, est-il utile, voire indispensable. Il ne s’agit alors que de rehausser le travail ordinaire des journalistes d’information : vérifier, recouper et, quand il le faut, corriger. Mais ce serait une illusion d’attribuer des vertus quasi miraculeuses à ces tentatives de reconquête.
Cela ne signifie pas que rien ne dépend du monde médiatique. Mais la capacité de faire revenir la confiance, et donc le public, en particulier pour la presse écrite qui continue de perdre des lecteurs à un rythme soutenu, repose notamment sur le développement de médias indépendants des pouvoirs économique et politique [16] et plus généralement d’une transformation démocratique de l’ensemble de l’espace médiatique : une transformation dont la nécessité est éludée par les journalistes et les chefferies éditoriales qui animent le débat médiatique sur la « post-vérité ».
Or, outre l’idée de la « reconnexion » au terrain, symbolisée par l’expérience militaro-journalistique de la « task-force » du Monde, on voit se diffuser la conviction que c’est en exposant les « fakes news » que les « fact-checkeurs » des médias dominants renverseront la vapeur. Là encore, et peut-être de façon encore plus visible, ces louables intentions révèlent le rôle que les chefs de rédaction assignent au journalisme : informer, certes, mais pour encadrer.
Tel est le rôle assigné au dispositif annoncé par Facebook en France, sur la base de ceux existant en Allemagne et aux USA, et rapporté dans un article des Échos : n’importe quel utilisateur du réseau social y trouvant un article relayant une information suspecte pourrait la signaler, et des journalistes soumettraient l’article à une vérification, puis y accoleraient si nécessaire un label « intox », qui diminuerait la visibilité de l’article sur le réseau social, ainsi qu’un article correctif. Les journalistes préposés à ce « fact-checking » ne seraient pas rémunérés par Facebook, mais par leur rédaction [17
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