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L’Allemagne et l’Europe du Sud-Est


Qui se trouve à l’origine du projet allemand de reconnaissance unilatérale du Kosovo ?

par Karl Müller


5 NOVEMBRE 2007

Depuis
Zurich (Suisse)


La politique allemande se présente actuellement sous un double jour. Il y a dans tous les partis des forces qui souhaitent ramener la politique aux réalités, mais aussi à un équilibre, à des principes juridiques et à l’intérêt ­commun – cela aussi parce que le nombre de gens, qui ne sont pas d’accord avec l’état de fait actuel, grandit, de même que la perte de confiance dans la classe politique et ses partis.
Mais il y a d’autres forces autoritaires, méprisant le droit et prônant la violence – dans presque tous les partis – qui poursuivent une politique allemande d’hégémonie, notamment au profit des Etats-Unis.

Il serait peu judicieux de laisser ce duel à la seule classe politique et à ses valets, les agences de relations publiques et les médias. Il est du ressort de chacun et chacune de se forger une idée quant aux problèmes qui se présentent et de prendre position – et ceci aura de l’impact.
Cela est également vrai pour la politique étrangère. Certes, les nombreuses prises de position critiques à ce sujet n’ont pu in­fluencer qu’une petite partie des décisions politiques, mais un important travail d’information a été entrepris au sein de la population. C’est ainsi que l’engagement de la Bundeswehr en Afghanistan – pour ne citer qu’un exemple – n’est plus soutenu que par 29 pour cent des personnes interrogées par l’Institut démoscopique d’Allensbach. La grande majorité – des partisans de tous les partis – refuse cet engagement. Il y a cinq ans, ils étaient encore 51 pour cent en sa faveur.


Un travail d’information quant à la politique allemande en Europe du Sud-Est s’impose

En ce qui concerne la politique allemande en Europe du Sud-Est, un tel travail d’information reste encore en suspens. Des auteurs comme Jürgen Elsässer, menant depuis des années des travaux importants, n’ont pas encore obtenu l’audience qui devrait leur revenir. Pourtant, cet effet de masse serait particulièrement important puisque c’est toujours une manière de penser noir et blanc qui domine l’opinion publique. Certains politiciens en profitent pour poursuivre leurs objectifs irresponsables et les enrober de belles paroles. Comme c’est le cas de l’ancien ministre allemand des Affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher, qui trouvait, au début des années 90 lors du démantèlement de la Yougoslavie, qu’il s’agissait du droit à l’autodétermination des peuples et des droits des minorités.


Etre et paraître

Un exemple historique montre à quel point le décalage entre l’être et le paraître est grand. L’ancien chancelier du Reich, et ministre des Affaires étrangères, Gustav Stresemann, qui avait même obtenu en 1926 le prix Nobel de la paix, passe généralement pour une des rares personnalités politiques de la république de Weimar, qui avait, paraît-il, réussi à rapprocher les Allemands et les Français et à sortir l’Allemagne de l’isolement international d’après la Première Guerre mondiale.
Toutefois, cette vision se ternit lorsqu’on y regarde de plus près. Par exemple : en 1925, Stresemann a écrit ceci : « La troisième grande tâche [de la politique étrangère allemande] est de corriger les frontières orientales : récupérer Dantzig, le corridor polonais et apporter des modifications à la frontière de la Silésie supérieure. » Donc une nouvelle partition de la Pologne. Streseman craignait encore que du fait de l’extension de l’empire soviétique jusqu’à l’Elbe, « le reste de l’Allemagne fût à la merci de la voracité française ». Ce titulaire du prix Nobel de la paix rêvait d’une « Allemagne revivifiée » et en cherchait les meilleures conditions de réalisation.
Et qu’en est-il de l’actuelle politique étrangère allemande en Europe du Sud-Est ?


L’Allemagne porte une grande responsabilité dans l’effondrement de la Yougoslavie

On doit prendre très au sérieux les voix qui accusent l’Allemagne, depuis les années 80, de porter la plus grande part de responsabilité dans l’effondrement de la Yougoslavie et dans les guerres sanglantes qui s’ensui­virent dans cette région européenne. De nombreux in­dices portent à penser que l’Allemagne cherchait, dès le début des années 80, à gagner de l’influence sur cette région au travers de l’effondrement de la Yougoslavie et, de ce fait, à affaiblir, voire à réduire à néant les efforts en faveur de l’unité yougoslave du gouvernement central de Belgrade et des ­Serbes, son meilleur soutien. L’Allemagne ne s’est pas contentée d’apporter un soutien politique, mais a engagé des activités des ser­vices secrets et fourni des armes pour soutenir cette division en violation du droit international. Cela contre la volonté d’autres gouvernements européens. On a même apporté un soutien à l’organisation criminelle, voire terroriste des Albanais du Kosovo l’UÇK.
Le 23 octobre, on vient d’annoncer que le gouvernement allemand était disposé à reconnaître un Etat du Kosovo si les forces politiques dominantes au Kosovo décidaient, en cas d’échec des négociations internationales, de proclamer, après le 10 décembre, l’indépendance du Kosovo. L’Allemagne commettrait ainsi une nouvelle grave violation du droit international.


Quelle est la position du gouvernement allemand dans l’affaire du Kosovo ?

Jürgen Elsässer se demandait le 25 octobre dans le quotidien « junge Welt » si l’on avait affaire à une lutte entre deux positions de la politique envers le Kosovo, entre le ministère des Affaires étrangères en mains socialistes et le ministère de la Défense mené par les chrétiens-démocrates. Cela s’explique du fait que le chef des négociations inter­nationales actuelles, Wolfgang Ischinger, provient du ministère des Affaires étrangères et que ses plans jusqu’alors connus – Jürgen Elsässer en a publié un plan en 14 points dont il dispose – n’évoquent aucunement – ce qui est intéressant – une indépendance du Kosovo sur le plan du droit international.
Une interview de Gert Weisskirchen, porte-parole socialiste de politique étrangère, menée le 24 octobre par le Deutschlandfunk, montre également qu’il y a désaccord au sein de la coalition gouvernementale. Selon Weisskirchen, il s’agirait surtout d’une rumeur, en ce qui concerne le projet allemand de reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, mais qu’en fait on y pensait, sans toutefois prendre de décision. Il ne s’est toutefois pas prononcé quant aux détails, c’est-à-dire de savoir qui suggérait cette position et qui en prenait le contre-pied.


Quelle est la suite à laquelle il faut s’attendre ?

Ce type de projet ne s’appliquerait-il pas aussi à la Slovaquie ? Le journal « Frankfurter Allgemeine Zeitung » a publié le 8 octobre un article reprochant au gouvernement slovaque « des invectives contre la minorité hongroise », écrivant dans le sens des forces hongroises qui demandent la révision du tracé des frontières décidé après la Première Guerre mondiale et rêvent d’une grande Hongrie. Cet article allait si loin que l’ambassade de la république slovaque est intervenu le 12 octobre pour rectifier les choses.


Une grande puissance allemande et une nouvelle grande Hongrie ? Dans quel but ?

Ce qui donne à réfléchir c’est le fait que depuis quelque temps on assiste à des troubles en Voïvodine, en Serbie du Nord où vit une minorité hongroise, qui vont dans le sens d’une grande Hongrie. De plus, on se souvient que la Hongrie fut le plus important allié de l’Allemagne hitlérienne en Europe du Sud-Est. Cette réflexion est renforcée par le fait que tant l’Allemagne que la Hongrie jouent un rôle important dans les projets de remodeler le continent eurasiatique dans le sens des Etats-Unis. Il n’est pas impossible non plus que tous ces efforts ne soient que des étapes pour la formation d’un front sud-est contre la Russie. On peut donc se demander, au travers des dissensions de la classe politique allemande, s’il ne s’agit « que » de la question du Kosovo ou si, par hasard, il y aurait des visées plus lointaines.
On a pu constater, ces derniers temps, que l’espoir que les prochaines élections présidentielles amèneraient une autre Amérique ne sont qu’une illusion. Le président Bush a une nouvelle fois exigé un crédit de 46 milliards de dollars pour intensifier la guerre en Irak et en Afghanistan, ce qui mènerait la somme totale de ces deux guerres à 800 milliards de dollars. Il ne semble pas que la majorité démocrate au parlement soit disposée à refuser ces sommes. Jusqu’à présent elle y a toujours consenti.
De ce fait, l’Europe est d’autant plus sollicitée, notamment l’Allemagne. Il faut examiner et, le cas échéant, soutenir toute alternative à cette politique hégémoniale.