La Yougoslavie était pendant la Seconde Guerre mondiale, le pays qui s'est libéré (presque) seul de l'occupation nazie. Qu'est-ce qu'ils penseraient aujourd'hui, les partisans, les résistants de l'époque, des Slovènes, des Croates, des Bosniaques, des Serbes, des Macédoniens et aussi des Albanais en entendant le refrain (devenu présidentiel) que la grande Yougoslavie, pour laquelle ils se sont battus ensemble était depuis toujours un «État artificiel» et que son démantèlement n'est pas du tout une déchirure et surtout pas une tragédie ?
En reconnaissant l'État albanais du Kosovo (KOCOBO en cyrillique), les autoproclamés médecins de l'hémisphère ouest ont pris globalement parti pour un malade contre un autre malade. En reconnaissant l'État albanais du Kosovo, ces médecins ont violé le serment d'Hippocrate et se sont avérés faux médecins. En reconnaissant l'État albanais du Kosovo, les États voyous occidentaux, qui avaient auparavant bombardé et détruit la Yougoslavie serbe, ont accueilli entre eux un État voyou par excellence. En reconnaissant l'État albanais kosovar, l'Occident a privé, d'un seul coup mortel, le peuple serbe du Kosovo de sa patrie et l'a rendu prisonnier et exilé dans son propre pays. En reconnaissant l'État albanais du Kosovo, notre vénérable Europe a définitivement perdu son cœur. Pleurons tous les êtres impartiaux et de bonne volonté silencieusement avec le peuple serbe perdu du Kosovo, KOCOBO.
À paraître : Vive les illusions (Christian Bourgois éditeur).
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La reconnaissance du Kosovo, c'est une triple faute
M. Thaçi a déclaré l'indépendance du Kosovo et derechef nos médias s'illuminent devant la profusion des drapeaux agités à Pristina. On peine un peu à nous expliquer la signification du nouveau drapeau kosovar, vu la difficulté à justifier que les étoiles censées représenter les «minorités ethniques» sont précisément rejetées à l'extérieur du dessin du pays.
Reconnaître «l'État du Kosovo», c'est une triple faute.
Une faute contre l'histoire. Celle-ci, contrairement à ce qui s'est passé pour les pays Baltes, n'a jamais connu de Kosovo indépendant. Longtemps soumis au pouvoir turc (comme le fut aussi la Serbie), le Kosovo était, depuis plusieurs décennies, partie intégrante d'un État né par accord international : la Yougoslavie. Au sein de cet État fédéral il faisait partie de la Serbie qui, comme il a été mille fois rappelé, plaçait dans le Kosovo l'origine même de son identité. Que la démographie ait changé, assurément. Belgrade elle-même favorisa cette évolution en accueillant généreusement dans sa province du Kosovo les Albanais qui fuyaient la dictature d'Enver Hodja. Il y avait là matière à imaginer un régime d'autonomie. Cela fut fait. On sait que Milosevic supprima ce régime. Certains, qui auront la curiosité de lire les chroniques, découvriront que l'une des raisons de cette décision fut la plainte des Serbes qui étaient fort mal traités dans un Kosovo «autonome». Milosevic abolit l'autonomie. Il fit mal. Mais la réponse n'est certes pas d'aller à l'excès inverse, créer un État là où il n'y en eut jamais un. Ou alors allons jusqu'au bout. Bafouons l'histoire : reconnaissons la République turque de Chypre ; intéressons-nous au Cachemire ; découpons un peu en Espagne, au Mali, au Tchad, etc., et en France, pourquoi pas ?
Les Français ne veulent plus rien savoir de l'histoire. Mais ce qui est tout récent devrait quand même rester en mémoire et faire réfléchir. La Serbie, objet aujourd'hui de tant de critiques, n'a pas fait la moindre difficulté pour reconnaître l'indépendance du Monténégro, preuve qu'il ne s'agit pas de la part de Belgrade d'attitude obtuse maniaque.
Une faute contre le droit. Il y eut guerre, déclenchée en 1999 par l'Otan en ignorant les principes du droit international, pour mater les Serbes coupables d'avoir réprimé durement trop durement un mouvement d'indépendance qu'ils qualifiaient de terroriste.
Mais la guerre aérienne de l'Otan n'a rien réglé. Pour vaincre, l'Otan devait aller à terre, ce que les Alliés, pas fous et se rappelant la manière dont les divisions nazies furent accrochées, ne voulaient pas. On négocia donc un nouvel accord Serbes-Russes-Américains-Européens qui déboucha sur une résolution des Nations unies, celle dont on voudra bientôt nous faire oublier l'existence, mais qui est le seul droit applicable : la résolution 1244, du 10 juin 1999 : réaffirmation de l'attachement de tous les États membres à la «souveraineté et à l'intégrité territoriale de la République fédérale de la Yougoslavie ». Appel en vue d'une «autonomie substantielle et d'une véritable auto-administration du Kosovo».
Autonomie. Pas d'indépendance, pas de nouvel État. Préservation de ce vieil acquis européen que sont les accords d'Helsinki. C'est à cette condition qu'il y eut paix, et que l'Europe (et les États-Unis) s'épargnèrent une guerre horrible.
Certes une résolution n'est pas intangible. Si le Conseil de sécurité juge que les Kosovars ont raison de proclamer leur indépendance, il adoptera une nouvelle résolution qui se substituera à la résolution 1244. Mais si le Conseil de sécurité ne modifie pas la résolution 1244 et il ne le fera pas , le droit reste aujourd'hui ce que dit ce texte.
Que la France, après les beaux discours de 2003 sur le respect du droit, suive l'exemple des États-Unis et de la Grande-Bretagne est une triste évolution. Nous n'aurons rejoint le camp ni des réalistes ni des cyniques, mais celui des veules, de ceux qui se refusent, par lâcheté, à négocier encore et toujours.
Une faute contre l'Europe unie. Nous sortons d'une de ces brèves périodes où l'on nous a refait le coup de l'Europe projet, de l'Europe politique.
Et si le Kosovo, situé lui aussi comme on le disait avec excitation de la Bosnie, à deux heures d'avion, n'était pas précisément un beau sujet de délibération pour l'Europe unie à laquelle nous sommes censés tant aspirer. Et que fait donc l'Europe unie ? Rien. Bien sûr, sinon constater ses divisions.
Mais faute contre l'Europe, au sens plus large, l'Europe de nos pères, l'Europe de l'Atlantique à l'Oural, l'Europe qui veut bien accepter de considérer que la Russie n'est pas une steppe peuplée de Tatars aux yeux cruels, que les Slaves sont aussi européens, et allons jusqu'au bout de l'ouverture que les Slaves orthodoxes sont aussi européens. La singularité de la France fut d'être ce pays occidental, majoritairement de culture catholique mais heureusement de tradition laïque, qui tendait la main à l'Orient orthodoxe et noua en particulier de solides relations avec la Serbie et avec la Russie. Vis-à-vis de Belgrade, notre seule offre est celle de l'argent européen. Et vis-à-vis de Moscou, faut-il prendre les devants, déployer des éléments de système antimissile, agiter des drapeaux américains à la barbe des vieux popes ? Prenons garde, dans notre excitation, de ne pas perdre entièrement raison. Réputée bien théoriquement vieux pays recru d'épreuves, etc., la France est-elle assez futile pour se flatter d'avoir un nouvel ambassadeur dans sa capitale avant même que le Parlement ait été saisi, et de gâcher très sérieusement des chances de paix sur le continent ? Alors que l'on peut tout aussi bien faire comprendre comme c'est le cas pour les Chypriotes que la négociation est toujours possible et vaut mieux mille fois mieux que le «bling-bling» d'une «reconnaissance» à la remorque.
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Voilà qui est fait, le Kosovo est le 193e État indépendant au monde. Il s’est autoproclamé indépendant sous le prétexte que le temps était venu. Neuf ans de guerre justifient-ils une telle décision? Si on y regarde de plus près, un constat saute aux yeux : la boucle est bouclée. Il y a neuf ans, les bombardements de l’OTAN contre la Serbie ouvraient le bal. Hier, dimanche 17 février 2008, l’Union européenne a récolté les fruits de ses efforts en accueillant avec satisfaction l’autoproclamation du Kosovo « comme un État indépendant, souverain et démocratique ». Il a suffi du vote à main levée des 109 députés présents au Parlement du Kosovo.
Cent neuf députés sans la poignée de députés serbes qui ne s’étaient présentés. Les absents ont tort, direz-vous mais que faire devant tant d’arrogance et de légèreté? Bien sûr, le nouvel État indépendant du Kosovo promet de respecter les Serbes, mais à quelles conditions? Que les Serbes restent dans leurs enclaves du Sud et du Nord du Kosovo sans causer de trouble. C’est au nom de la loi du plus fort que l’Union européenne et les États-Unis ont encouragé (comprendre aidé et appuyé) le Kosovo à proclamer son indépendance, en violation du droit international et notamment de la Charte des Nations Unies. D’ailleurs de quel droit international parlons-nous quand les Nation Unies n’ont plus leur mot à dire depuis longtemps. Souvenons-nous que les États-Unis se moquent depuis belle lurette de cette institution, dont le siège est sur leur territoire. Jamais les Nations Unies n’ont pu empêcher la guerre d’Irak, et elles ne pourront pas plus empêcher la guerre fratricide qui se prépare et qui a été savamment orchestrée par les États-Unis et l’Union européenne. Les Serbes, pris à la gorge, restent les méchants qui s’opposent au jeu des plus forts. Les Serbes sont responsables de Srebenisca, ils ont violé les femmes et tué les enfants musulmans. C’est du moins le lavage de cerveau que nous ont servi les médias depuis bientôt deux décennies. Bien sûr que les Serbes ne sont pas des saints, pas plus que vous et moi. Ce ne sont que des êtres humains, mais ils n’ont pas la chance d’occuper une place enviable sur l’échiquier politique. Décris comme des barbares, barbares ils sont devenus dans l’imagerie populaire. Il y a aura bientôt un an de cela, le 28 mars 2007, le Dr Patrick Barriot parlait de la mise à mort du Kosovo, lors d’une conférence à la Sorbonne. Il décrivait l’injection létale administrée au condamné à mort et la transposait au sort réservé au Kosovo. Force nous est aujourd’hui de lui donner raison. Les Serbes ont tué à Srebenica mais ils y sont morts aussi. Le TPYI, dans sa folie des grandeurs a parlé de génocide de Srebenica alors qu’il s’agissait d’un combat entre guerriers frustrés et enragés. Mais revenons au 17 février 2008. Depuis vingt-quatre heures, en consultant les journaux, j’ai vue des images de Kosovars albanais fêtant la naissance de ce 193e État. J’ai lu leur volonté de travailler pour l’Union européenne et de faire tous leurs efforts pour respecter les Serbes. Puis j’ai lu que de Serbes des enclaves du sud et du nord du Kosovo se rebellaient. J’ai également appris que le premier ministre serbe Voljislav Kostunica déclarait à Belgrade que « tant que le peuple serbe existera, le Kosovo restera serbe ». Mais j’ai aussi découvert que tout était en place depuis longtemps et que l’Union européenne, dans la nuit de vendredi à samedi à minuit (soit avant la proclamation unilatérale de l’indépendance du Kosovo) a « approuvé l’envoi d’une mission de policier et de juriste au Kosovo, enfreignant la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies selon laquelle seule l’ONU peut décider de l’envoi de forces dans cette province serbe ».
Ces deux derniers jours me laissent une impression de déjà connu : la création d’Israël le 30 novembre 1947 par les Nations Unies. Aujourd’hui, les Nations Unies sont mises de côté, mais la démarche reste la même. Le 14 mai 1948, le mandat britannique cessait sur la Palestine et laissait face à face Arabes et Juifs. Nous savons ce qui s’en est suivi. Gageons que l’Union européenne et les États-Unis, au nom d’une fausse démocratie et après avoir mis le feu à la région, feront mine de se retirer pour laisser Albanais et Serbes régler leur compte. Puis, après quelques bains de sang, ils reviendront arguant que leur intervention est indispensable pour maintenir la paix… Ils pourront alors s’installer dans la région, où les attendent le Camp de Bondsteel et le pétrole de la mer Caspienne. Reste à voir ce que fera la Russie, qui appuie les Serbes.
Claude Herdhuin: Auteure, scénariste.