From: MICHEL COLLON
Date: Sat, 7 May 2005 03:21:37 +0200

Fin du procès COLLON / POLICIERS DE BRUXELLES - VILLE


Jeudi 28 avril, a eu lieu la dernière audience, en appel, de mon procès
contre les policiers de Bruxelles - Ville. Frank Van Impe et Bernard
Jongen m'avaient arbitrairement arrêté et très brutalement tabassé (4
côtes fracturées) dans une camionnette pour avoir organisé une
manifestation pour la paix contre l'Otan en 1999. Jugement : le 16 juin.
- « Dans quel état reviendrai-je de la prochaine manifestation ? »
Déclaration finale de Michel Collon : ci-après
- « L'arrestation de Michel Collon était illégale et arbitraire »
(extraits des conclusions de Maître Selma Benkhelifa). Voir :
http://www.michelcollon.info/articles.php?dateaccess=2005-05-
06%2016:56:11&log=actuperso
- Plaidoirie de l'avocat des policiers : « Qui est un ver de terre ? »
(Ci-après)
- Pour lire la plainte à l'origine des faits, voir :
http://www.michelcollon.info/articles.php?dateaccess=2004-05-
29%2015:48:43&log=actuperso

Ma déclaration finale :


« Si demain, il faut à nouveau manifester pour la paix, j'irai à
nouveau.
Dans quel état reviendrai-je ? »

« Madame la Présidente, Madame et Monsieur les juges, je vous remercie
de m'écouter quelques instants. Je serai bref car le procureur a
parfaitement détruit le tissu de mensonges proférés par les deux
policiers. Mais, quand on est victime d'une agression aussi brutale, de
quoi a-t-on besoin ? De justice, et ça commence par pouvoir dire ce
qu'on a subi, ce qu'on a ressenti.
Quand on a subi un tel choc, pour pouvoir le supporter, ne pas rester
traumatisé, on a besoin de savoir qu'on sera entendu et que les
responsables seront punis. Je vous demande donc de vous mettre un
instant à ma place : que ressentez-vous quand on vous jette par terre,
comme un paquet ? Et dès qu'il n'y a plus de témoins, ces hommes se
mettent à vous frapper sans cesse, à coups de poings sur la figure, à
coups de pied dans les côtes... Vous crevez de mal, vous crevez de
peur, vous pensez, tellement les coups sont violents, que vous allez
mourir ou rester handicapé. Et quand vous suppliez qu'ils arrêtent, ça
les fait rigoler, et ils tapent encore plus.
Que ressentez-vous quand on vous traite pire qu'un animal, quand on
vous prive de toute dignité, de tout respect ? Dans ces circonstances,
je pense qu'un homme peut comprendre ce qu'éprouve une femme lors d'un
viol.

Après, quand vous apprenez qui vous a fait ça, vous vous demandez
quelle sorte de gens prennent ainsi plaisir à frapper, humilier,
torturer ?
J'ai parlé de viol. En fait, ces deux brutes Van Impe et Jongen ont
violé nos libertés démocratiques. La liberté de manifestation. La
liberté d'expression.
Car je ne suis pas masochiste. En arrivant au lieu de rassemblement, je
savais très bien qu'il n'y aurait pas de manifestation. Avec des
centaines de policiers en tenue de combat et en civil, un hélico, des
autopompes, des gaz lacrymogènes, usant de violence en divers endroits,
pas question de manifester. Mais juste d'aller exprimer au public et
aux médias qu'il était scandaleux qu'on interdise de manifester pour la
paix, que cette interdiction de manifester était illégale car condamnée
en urgence, à notre requête, par la plus haute instance belge, le
Conseil d'Etat.
Un bourgmestre peut interdire une manifestation à tel moment ou à tel
endroit, par exemple parce qu'elle gênerait la circulation. Mais la
Constitution belge lui défend explicitement d'interdire toute
manifestation pour la paix n'importe où n'importe quand. C'est pourtant
ce qu'avait fait le bourgmestre de Bruxelles François-Xavier de Donnéa,
grand ami de l'Otan et des Etats-Unis.
On était en plein dans l'illégalité, en plein abus de pouvoir. Et c'est
cela qu'il fallait cacher en supprimant la liberté d'expression. L'Otan
n'aime pas qu'on conteste ses guerres. C'est pour cela que le
journaliste Bogaert du Morgen a été arrêté, ainsi d'ailleurs que quatre
journalistes ce jour-là.
Et c'est pour avoir revendiqué la liberté d'expression que j'ai été
puni. Des témoins ont entendu des policiers dire après mon arrestation
: « On l'a bien eu, le journaliste ! » Ma profession n'étant pas écrite
sur ma figure, ils savaient donc qui j'étais. Et j'étais visé d'avance
en tant qu'organisateur de la manifestation pour la paix.
La preuve : à mes côtés, venant de la conférence de presse et se
dirigeant avec moi vers le lieu de rassemblement, se trouvait une
dizaine de personnes dont trois professeurs d'université, Messieurs
Franck, Piérart et Bricmont. Dans un de leurs procès-verbaux, que même
le Parquet considère comme mensongers, les supérieurs de ces policiers
brutaux ont prétendu que nous aurions foncé dans un « assaut brutal »
vers les policiers. Quiconque regardera l'âge et le gabarit de ces
professeurs d'université ne pourra qu'éclater de rire.
Mais, comme le dit le professeur Franck dans son témoignage : « Pour
répondre à votre question, je m'étonne aussi que ni moi-même, ni M.
Coumont (syndicaliste), ni M. Piérart, ni M. Bricmont, n'avons été le
moins du monde inquiétés ni même interpellés. Il n'y a même pas eu le
moindre contrôle d'identité. Je ne serais pas surpris que le sort
particulier réservé à M. Collon résulte de son identification par les
forces de l'ordre. »

Quand on se fait frapper avec une telle violence, on se demande avec
angoisse : « Qu'ai-je fait de mal ? » On a besoin de comprendre
pourquoi quelqu'un peut vous détester au point de casser vos os, de
détruire votre corps. On se pose sans cesse la question car on veut
pouvoir continuer à vivre en paix. Le problème : qui peut vous protéger
puisque ceux qui vous ont fait ça, sont justement ceux-là qui sont
censés vous protéger, paraît-il.
Il faut donc chercher la cause d'une telle haine. Dans la camionnette,
en commençant à me tabasser, le policier Jongen m'a hurlé : « Sale
anarchiste, tu vas voir ce que c'est de vouloir manifester ! »
Même s'il est mal renseigné sur mes convictions politiques précises,
Jongen montre ainsi qu'il agit par motivation de haine politique.
D'ailleurs, à l'audience précédente, il a déclaré : « Quand la gauche
manifeste, y a toujours de la castagne ! » (sic). Faux !
Personnellement, j'ai déjà participé à de nombreuses manifestations, il
m'est arrivé d'en organiser plusieurs, et ça s'est toujours bien passé.
Par contre, je veux bien croire que lorsque Jongen intervient, il
apporte la castagne lui-même !
Ce que montre ce procès, et les agissements de ces policiers, c'est
qu'il y sans doute une présence d'éléments d'extrême droite, fascistes,
dans la police de Bruxelles - Ville, comme on l'a vu aussi dans la
commune de Schaerbeek. Qu'attendent les autorités de Bruxelles - Ville
pour mettre fin à ce scandale ? D'autres victimes ?

A l'audience précédente, le procureur a déclaré : « Je m'inquiète de la
déclaration (du policier Gosselin poursuivi ainsi que Van Impe pour le
tabassage d'un supporter) disant 'Pourquoi aurions-nous frappé Legrand
alors que nous aurions pu attendre le commissariat' ? "
Bavure, dérapage verbal ? Non, à une autre occasion, ils ont déclaré :
"Nous ne pouvions pas le tabasser à trente mètres de ses amis" Question
: à partir de combien de mètres cela devient-il possible ?
Et lorsque j'ai été confronté à Van Impe et Jongen au comité P
(surveillance des polices), il a été dit dans le même genre : "On
n'allait quand même pas le tabasser, il y avait plein de caméras".

Je conclus. Pourquoi cette violence gratuite ? On a essayé de nous
enlever le droit de manifester contre la guerre. Mais je vous le redis
très clairement, Messieurs les policiers : le droit de manifester est
inscrit dans la Constitution et aucun bourgmestre, aucun ministre, et
même pas un policier de Bruxelles - Ville ne pourra nous l'enlever,
est-ce clair ?
Vous avez essayé de me faire peur. Et encore en mars 2003, alors que je
protestais contre des brutalités policières envers un jeune (arrêté
lors de la manifestation Irak), un de vos collègues est venu
m'intimider : "Une manifestation, ça ne vous a pas suffi?"
Non. Je ne me laisserai jamais intimider. Si demain Bush déclenche
encore une guerre, avec ou sans la participation ou la complicité de
l'Europe, j'irai encore manifester.

Ce procès est donc important, Madame la Présidente, Madame et Monsieur
les juges, non seulement pour le passé, mais aussi et surtout pour
l'avenir.
Un citoyen de Bruxelles a-t-il le droit de se promener dans la rue sans
se faire arrêter arbitrairement ? Depuis ce procès, j'ai entendu
beaucoup d'histoires de gens, des jeunes surtout, qui ont été arrêtés
et frappés arbitrairement dans le centre de Bruxelles, mais ils n'osent
déposer plainte. Je me bats aussi pour eux.
Un manifestant, même de gauche, a le droit de s'exprimer contre la
guerre dans les rues de Bruxelles ? Je le redis donc clairement : si
demain, il faut manifester à nouveau pour la paix, j'irai. Dans quel
état je reviendrai de cette manifestation, cela dépendra de votre
jugement. Merci de votre attention. »

---

La plaidoirie de l'avocat des policiers :
Qui est un ver de terre ?

L'avocat des policiers brutaux est Maître Vincent De Wolf, par ailleurs
bourgmestre de droite d'Etterbeek. Sans état d'âme, sa plaidoirie a
recopié tels quels les mensonges de ses clients tout en essayant
d'escamoter les contradictions multiples qu'y avait relevées le
procureur : « Mes clients n'ont aucun remords, car ils n'ont rien fait.
»
Entre autres amabilités, De Wolf a comparé le procureur à un ver de
terre qui se contorsionne pour essayer de savoir si l'arrestation était
judiciaire (sur base d'un délit commis, auquel cas le policier doit
avertir sur le champ le parquet) ou simplement administrative
(arrestation provisoire sans formalités).
Mais en réalité, lui-même s'est contorsionné comme un ver de terre
pendant une heure trente pour échapper à la seule et unique question de
ce dossier : Comment expliquer que la victime rentre en bon état dans
cette camionnette de police et en sorte avec quatre côtés cassées ?

Images et citations manipulées

Ne pouvant répondre à cette question simple et décisive, De Wolf
prétend d'abord que je serais tombé sur le sol au début de
l'arrestation avec quatre policiers sur moi et que mes côtes auraient
été fracturées à ce moment. Puis, il prétend que les enregistrements
télé montrent qu'un autre policier me porte un coup de pied. Faux, on
voit bien qu'il s'agit juste d'un pas en avant, à vitesse normale, et
c'est pas comme ça que l'on peut casser quatre côtes (sans compter que
de nombreuses autres blessures m'ont été infligées dans la camionnette,
toutes attestées par de nombreux certificats médicaux).
A propos de certificats, De Wolf en cite un : mes blessures n'auraient
provoqué qu'une « gêne légère ». Il oublie juste de signaler que ce
dernier certificat date de... huit mois après les faits !
Car De Wolf est le champion de la citation tronquée. Ainsi, il relate
le témoignage d'une autre personne arrêtée, l'acteur flamand Mark
Tuypens : « Wij wisten dat de betoging aanvankelijk verboden was ».
Qu'il traduit : « Nous savions que la manifestation était interdite »,
essayant de prouver par là que c'est de notre côté qu'on a voulu braver
la loi. De Wolf « oublie » juste de traduire le mot-clé : «
aanvankelijk verboden ». La vraie déclaration était : « Nous savions
que la manifestation était interdite A L'ORIGINE ». C'est-à-dire
qu'elle ne l'était plus puisque le Conseil d'Etat avait annulé cette
interdiction. Rien qu'en taisant un mot, De Wolf parvient à inverser le
blanc et le noir.

Diabolisez la victime !

Pour faire oublier que son dossier est indéfendable, De Wolf a appliqué
la « méthode Bush ». Vous êtes manifestement l'agresseur ? Il y a plein
de témoins ? Diabolisez la victime, salissez-la. Accusez-la, par
exemple, de posséder des armes de destruction massive et de représenter
un danger.
Quelles armes dangereuses pouvait-on m'attribuer ? Pas facile puisqu'il
y avait plein de caméras et qu'elles montrent clairement que je suis
agressé. Alors, De Wolf prétend : « Collon n'était pas porteur de sa
carte d'identité ! »
Ah, le dangereux crime ! Il avait déjà sorti cela en première instance.
Et il lui avait déjà été répondu : « C'est faux ! Les policiers m'ont
arraché mon sac avec mes papiers. Il m'a été restitué deux jours plus
tard à mon domicile, et j'en ai le P-V ». Il n'avait pas insisté. Mais
comme il n'a rien de bon dans son dossier et qu'il sait qu'il parle en
dernier lieu, sans que je puisse lui répondre, il n'est pas gêné de
ressortir ce mensonge avéré, espérant me créer une image de dangereux
terroriste.
Dans le même genre, il s'approche des juges et leur montre... une photo
qui ne figure pas au dossier : « Regardez le regard de Collon sur cette
photo, ce n'est pas une victime ! » Curieusement, nous n'avons pas le
droit de voir cette photo, or il serait intéressant de voir à quelle
manipulation il a pu se livrer. Mais la présidente ne semble pas
impressionnée, et la photo n'est pas versée au dossier.

Six ans plus tard, la camionnette devient « trop petite » !

Enfin, De Wolf exhibe des photos des deux modèles de camionnettes qui
ont pu servir au transport. Pour essayer de prétendre que l'espace
intérieur était trop petit pour qu'un homme puisse y porter des coups
de pied. Pourtant, dès le début de ma plainte, et sans jamais varier,
j'ai indiqué que Van Impe (qui est de petite taille) se tenait debout,
légèrement courbé, et de cette façon pouvait très bien porter de
violents coups de pied. Vous devez savoir que dans cette camionnette,
la banquette n'occupe que les deux tiers gauches de l'espace, la partie
droite étant entièrement dégagée de bas en haut.
Au dernier moment, six ans après les faits, De Wolf sort ce lapin de
son chapeau : « Camionnette trop petite ! ». Mais il n'ira pas jusqu'à
proposer une reconstitution. Il aurait pu demander à son client brutal
de se coucher par terre dans cette camionnette tandis qu'une autre
personne aurait démontré qu'il était bien possible de lui donner des
coups de pied dans les côtes !
On a beaucoup parlé, ces derniers temps, des « droits de la victime ».
Il reste du chemin en ce sens : cet avocat a eu le droit de répéter les
mensonges de ses clients et d'inventer de nouveaux trucs grossiers
pendant une heure et demie en gardant le dernier mot et sans que je
puisse répondre.
Mais je ne crois pas que les juges se laisseront impressionner par ses
trucs grossiers. Les deux audiences ont été très claires : si on entre
intact dans une camionnette et qu'on en sort avec quatre côtes
fracturées, les seuls coupables possibles sont les policiers présents
dans cette camionnette. Point à la ligne.


SOURCE:
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