# Jean Bricmont, Impérialisme humanitaire. Droits de l'homme, droit
d'ingérence, droit du plus fort ? (Préface de François Houtart),
octobre 2005, 256 pages Format 14 cm x 20 cm ISBN 2930402148 - 18
euros. Edition Aden http://www.aden.be #

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Présentation de l'ouvrage:

"Impérialisme humanitaire. Droits de l'homme, droit d'ingérence, droit
du plus fort ?"

par Jean Bricmont.


# Jean Bricmont est professeur de physique théorique à l'Université de
Louvain (Belgique). Il a notamment publié « Impostures intellectuelles
», avec Alan Sokal, (Odile Jacob, 1997 / LGF, 1999) et « À l'ombre des
Lumières », avec Régis Debray, (Odile Jacob, 2003). #



Une des caractéristiques du discours politique, de la droite à la
gauche, est qu'il est aujourd'hui entièrement dominé par ce qu'on
pourrait appeler l'impératif d'ingérence.

Nous sommes constamment appelés à défendre les droits des minorités
opprimées dans des pays lointains (Tchétchénie, Tibet, Kosovo,
Kurdistan), à propos desquels il faut bien reconnaître que la plupart
d'entre nous ne connaissent pas grand-chose, à protester contre les
violations des droits de l'homme à Cuba, en Chine ou au Soudan, à
exiger l'abolition de la peine de mort aux États-Unis, ou à dénoncer
la persécution des femmes musulmanes.

Le droit d'ingérence humanitaire est non seulement très généralement
admis, mais il est souvent devenu un « devoir d'ingérence ». On nous
assure qu'il est urgent de créer des tribunaux internationaux pour
juger divers crimes commis à l'intérieur d'États-nations. Le monde est
supposé être devenu un village global et rien de ce qui s'y passe ne
doit nous laisser indifférent.

La sagesse de ceux qui prétendent « cultiver leur jardin » passe pour
anachronique et réactionnaire. La gauche excelle dans ce discours
encore plus que la droite, accusée alors d'égoïsme, et pense continuer
ainsi la grande tradition d'internationalisme du mouvement ouvrier et
de solidarité lors de la guerre d'Espagne ou des luttes
anticoloniales. Par ailleurs, la gauche actuelle insiste sur le fait
qu'il ne faut surtout pas « répéter les erreurs du passé » en
s'abstenant de dénoncer les régimes opposés à l'Occident, comme la
gauche « stalinienne » l'a fait dans le temps à propos de l'Union
soviétique ou à l'instar de certains intellectuels « tiers-mondistes
», vis-à-vis du Cambodge à l'époque des Khmers rouges ou d'autres
régimes issus de la décolonisation.

Corrélativement à cette situation, les mouvements pacifistes ne sont
que l'ombre de ce qu'ils étaient, par exemple lors de la crise des
missiles dans les années 80, et les mouvements tiers-mondistes ont
pratiquement disparu. Il n'y eut pratiquement pas d'opposition à la
guerre à la Yougoslavie en 1999, qui fut la guerre « humanitaire » par
excellence, et très peu lors de l'invasion de l'Afghanistan en 2001.
Il est vrai qu'il y a eu des manifestations gigantesques, uniques dans
l'histoire et porteuses d'espoirs certains, contre la guerre en Irak.
Mais il faut reconnaître qu'une fois la victoire proclamée par
l'administration Bush, les opinions publiques, en Occident du moins,
sont devenues relativement muettes, alors que continuent en Irak des
combats qui sont loin d'être d'arrière-garde.

De plus, Fallujah a été un Guernica sans Picasso. Une ville de 300 000
âmes privée d'eau, d'électricité et de vivres, vidée de ses habitants
qui sont ensuite parqués dans des camps. Puis le bombardement
méthodique, la reprise de la ville, quartier par quartier. Quand un
hôpital est occupé, le New York Times justifie cela en disant qu'il
servait de centre de propagande, en gonflant le chiffre des victimes.
Justement, combien y a-t-il de victimes de la guerre en Irak ? Nul ne
le sait, on ne fait pas de body count (pour les Irakiens). Quand des
estimations sont publiées, même par les revues scientifiques les plus
réputées, telles le Lancet, elles sont dénoncées comme exagérées.

Face à cela, combien de protestations ? Combien de manifestations
devant les ambassades américaines ? Combien de pétitions pour appeler
nos gouvernements à exiger des États-Unis qu'ils arrêtent ? Combien
d'éditoriaux dans les journaux qui dénoncent ces crimes ? Qui, parmi
les partisans de la « société civile » et de la non-violence, rappelle
que les malheurs de Fallujah ont commencé lorsque, peu après
l'invasion, ses habitants ont manifesté pacifiquement et que les
Américains ont tiré dans la foule, tuant 16 personnes ? Il n'y a pas
que Fallujah ; il y a aussi, entre autres, Najaf, Al Kaïm, Haditha,
Samarra, Bakouba, Hit, Bouhriz.

Le BRussels tribunal, un tribunal d'opinion qui examine les crimes
américains en Irak et dont fait partie l'auteur, reçoit fréquemment
des informations sur des disparitions et des assassinats en Irak. Mais
à qui transmettre ces informations ? Qui s'intéresse à cela ?

Cette double constation, l'omniprésence de l'idéologie de l'ingérence
d'une part et la faiblesse de l'opposition aux guerres impériales
d'autre part, est à l'origine de ce livre. L'auteur jette un regard
critique sur les préjugés qui sous-tendent l'idéologie de l'ingérence
et soulève un certain nombre de questions qui sont rarement énoncées
et auxquelles il est encore plus rarement répondu : quelle est la
nature de l'agent qui est supposer s'ingérer ?
Comme il s'agit en pratique des pays puissants, quelles raisons a-t-on
de croire à la sincérité de leurs proclamations humanitaires ? Quel
est l'effet sur le long terme des ingérences occidentales dans le
tiers monde ? La vision traditionnelle du droit international, qui
interdit l'ingérence unilatérale, est-elle vraiment dépassée ? Notre
histoire et notre mode de développement nous donnent-t-ils le droit de
dire aux autres pays ce qu'ils doivent faire ? Lorsque l'on parle de
droits de l'homme, pense-t-on aussi aux droits économiques et sociaux
? Si oui, ces droits sont-il toujours compatibles avec les droits
politiques et individuels ? Et s'ils ne le sont pas, comment établir
des priorités entre différents types de droits ?

Par ailleurs, on peut également poser un certain nombre de questions
aux mouvements progressistes, pacifistes ou écologistes. Ces
mouvements ne prennent-ils pas trop vite pour argent comptant les
déclarations des médias et des dirigeants occidentaux ? En
particulier, les dirigeants du tiers monde démonisés par l'Occident
sont-ils vraiment de nouveaux Hitler, face auxquels toute
compromission équivaudrait à un nouveau Munich ? La construction
européenne offre-t-elle un espoir d'alternative face à l'hégémonie
américaine ? La politique d'ingérence est-elle réellement
internationaliste ?

L'examen critique de ces questions ne se fonde sur aucun relativisme
moral ou culturel. L'auteur admet parfaitement que toutes les
aspirations contenues dans la Déclaration Universelle de 1948 sont
souhaitables. La critique ne se limite pas non plus à celle,
relativement courante, de l'hypocrisie du pouvoir américain, qui
soutient des dictatures à certains endroits tout en prétendant imposer
la démocratie à d'autres endroits. L'auteur cherche plutôt à mettre en
question, d'un point de vue global, et tout en restant dans un cadre
universaliste, la légitimité et les effets des politiques occidentales
vis-à-vis du tiers monde.

Finalement, l'auteur tente d'esquisser une autre démarche politique
que celle de l'ingérence, fondée sur une vision radicalement
différente des rapports Nord-Sud et sur une volonté de remettre la
critique de l'impérialisme au centre de nos préoccupations politiques.
Il espère ainsi contribuer à la renaissance d'une opposition ferme et
sans complexe aux agressions américaines présentes et futures.

Toute idée, aussi légitime soit-elle, court le risque d'être
transformée en idéologie et d'être utilisée par les pouvoirs en place
à des fins qui leur sont propres. C'est ce qui arrive avec l'idée de
la défense des droits de l'homme lorsqu'elle se transforme en
légitimation de l'ingérence militaire unilatérale et qu'elle appuie le
rejet du droit international.

Pendant la période coloniale, la domination occidentale sur le monde a
été justifiée par le christianisme ou par la " mission civilisatrice "
de la République. Après la décolonisation et la fin de la guerre du
Vietnam, c'est un certain discours sur les droits de l'homme et la
démocratie, mêlé à une représentation particulière de la Deuxième
Guerre mondiale, qui a rempli ce rôle.

Cette idéologie a réussi à mystifier et à affaiblir les mouvements
progressistes ou pacifistes qui cherchent à s'opposer aux agressions
occidentales et aux stratégies de domination. Elle est une sorte de
cheval de Troie idéologique de l'interventionnisme occidental au sein
des mouvements qui lui sont en principe opposés. De plus, elle
contribue à faire oublier aux mouvements altermondialistes que l'ordre
socio-économique profondément injuste qu'ils combattent est soutenu en
fin de compte par la puissance militaire américaine.

Ce livre se propose de démêler un certain nombre de confusions
idéologiques fort répandues, surtout dans les milieux progressistes,
sur les thèmes des droits de l'homme et des rapports entre l'Occident
et le reste du monde. Il espère contribuer ainsi à la renaissance
d'une opposition ferme et sans complexe aux agressions américaines
présentes et futures.



# Jean Bricmont, Impérialisme humanitaire. Droits de l'homme, droit
d'ingérence, droit du plus fort ? (Préface de François Houtart),
octobre 2005, 256 pages Format 14 cm x 20 cm ISBN 2930402148 - 18
euros. Edition Aden http://www.aden.be #


[Pour illustrer ce qui est erroné dans la tendance dominante,
commençons par le slogan « ni-ni » : maintenant que Milosevic est à La
Haye, les Talibans et Saddam Hussein renversés, les partisans de ce
slogan peuvent-ils expliquer comment ils comptent se débarrasser de
l'autre partie du « ni », Bush ou l'OTAN ?
Bien entendu, c'est impossible et ils le savent très bien. Mais c'est
bien là tout le problème : on ne peut pas mettre sur le même pied un
pays où vivent 4 % de l'humanité et dont les dirigeants déclarent
ouvertement que le siècle qui commence sera « américain » et des
pouvoirs brutaux (au demeurant très différents entre eux) mais dont
l'action est fortement limitée dans le temps et dans l'espace. Jean
Bricmont ]

Á lire aussi: L'espoir change-t-il de camp?
http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=2123