Les commémorations prévues cette année pour marquer l’anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale vont sans doute en déconcerter plus d’un, au regard des développements en cours en Ukraine. Le régime fasciste de Kiev, soutenu par les puissances occidentales, fait déferler une vague de violence meurtrière sur les citoyens pro-russes qui le contestent. À Odessa, Marioupol ou Donestsk, des centaines de personnes ont trouvé la mort dans des opérations déclenchées par le gouvernement. Ces massacres ont été perpétrés par les forces répressives de l’État, agissant en étroite liaison avec des groupes paramilitaires nazis.
Ils interviennent au moment précis où le monde célèbre la défaite infligée aux forces coalisées de ce même fascisme, il y a 70 ans. Beaucoup ignorent, en « Occident » [
1], que la situation qui prévaut aujourd’hui en Ukraine n’est pas une bizarrerie de l’histoire et ne contredit en rien le passé. Elle s’inscrit dans la logique des visées géostratégiques de l’« Occident » et de la politique agressive développée en conséquence à l’égard de la Russie.
Cette année, comme à chacun des anniversaires précédents, les commémorations de la Seconde Guerre mondiale rendront hommage aux millions de soldats, de partisans et de martyrs qui ont perdu la vie dans la lutte menée pour assurer la défaite des forces fascistes coalisées en Europe, et pour vaincre, en premier lieu, l’Allemagne nazie, engagée dès la fin des années 1930 et jusqu’en 1945 dans une guerre de conquête impliquant un programme d’extermination de masse, aux dépens des populations des autres pays européens. Nul ne peut nier le sacrifice, ni contester le respect dû aux soldats et aux citoyens qui ont péri en luttant contre la barbarie. Il convient, par contre, de se pencher très attentivement sur les desseins profonds qui ont motivé les choix et les décisions des dirigeants de l’Occident avant, pendant, après la Seconde Guerre mondiale, et jusqu’à aujourd’hui.
À première vue, les forces des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Union soviétique se dressaient ensemble contre l’Allemagne hitlérienne, alliée aux autres puissances de l’Axe passées sous la coupe du fascisme.
Or, on assiste actuellement à des phénomènes apparemment contradictoires. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, et divers autres pays du camp « occidental » agissent de concert pour favoriser le retour du nazisme en Ukraine. Le régime de la junte installée illégalement au pouvoir à Kiev en février dernier, à la suite d’émeutes meurtrières fomentées et organisées dans l’ombre par la CIA, est entre les mains des héritiers autoproclamés des fascistes ukrainiens du siècle dernier. L’héritage qu’ils revendiquent, c’est leur collaboration à l’invasion et à la tentative de conquête de la Russie par l’Allemagne nazie, débutée en 1941 avec le déclenchement de l’Opération Barberousse .
L’actuel parti Svoboda, et les ministres issus de ses rangs qui participent au gouvernement autoproclamé de Kiev, se présentent fièrement comme les continuateurs et les disciples contemporains de l’OUN, l’organisation des nationalistes ukrainiens, autrefois conduite par le Collaborateur Stepan Bandera [
2]. Bandera et ses légions nazies ont participé, aux côtés des troupes d’intervention SS de la Wehrmacht (Einsatzgruppen SS), au génocide de millions de juifs, de Polonais, de Russes, et d’autres. Leur collaboration active a renforcé la machine de guerre nazie et facilité la progression de ses troupes, parvenues, en fin d’année 1941, à moins de trente kilomètres de Moscou.
L’héroïsme et les sacrifices immenses des soldats de l’Armée rouge et du peuple russe ont permis de refouler progressivement la machine de guerre nazie jusqu’à Berlin, pour enfin la vaincre et en proclamer la défaite le 9 mai 1945.
Dans toutes les commémorations organisées au plan international cette année, la place d’honneur revient de droit à la Russie. Nul ne peut, ni ne tente, de le contester. C’est l’Armée rouge qui a vaincu l’Allemagne nazie. Presque 14 millions de ses soldats, (et autant de civils), ont sacrifié leur vie à ce combat historique. Dans le même temps, 290 000 soldats états-uniens et autant de soldats britanniques ont perdu la vie dans les combats [
3]. Des trois puissances apparemment alliées contre le Troisième Reich, c’est la Russie qui a dû mener les plus durs combats, et endurer les plus terribles souffrances tout au long de la guerre d’agression imposée par l’Allemagne nazie. C’est la Russie qui a fini par terrasser l’ennemi, et lui a infligé sa défaite historique : 90 % du total des pertes infligées aux armées allemandes, tout au long du conflit, a été enregistré sur le Front Est, dans les combats menés contre l’Union soviétique.
N’oublions pas non plus que les États-uniens et les Britanniques ont attendu l’été 44 pour déclencher leur offensive contre l’Allemagne nazie sur le sol européen, en dépit des appels réitérés de Staline qui pressait les « Occidentaux » de prendre part aux combats beaucoup plus tôt, afin d’alléger le calvaire de la Russie.
Le nombre total des victimes civiles et militaires de la Seconde Guerre mondiale est estimé à 60 millions, répartis dans 30 pays. De tous ces morts, environ 30 millions ont été recensés en Russie et dans les autres États du camp soviétique. Par conséquent, personne ne peut mettre en doute les sacrifices héroïques consentis par la Russie, ni contester son rôle éminent dans la défaite historique infligée au fascisme sur le continent européen. Voilà pourquoi, malgré les tensions Est-Ouest liées à la crise ukrainienne, le président François Hollande a renouvelé cette semaine l’invitation faite au président russe Vladimir Poutine, de participer aux commémorations du 70ème anniversaire du Débarquement allié en Normandie. Le président Barack Obama, la chancelière Angela Merkel et la reine Élisabeth II participeront également à l’événement. Il est normal que Vladimir Poutine honore ces commémorations de sa présence parce que, comme on vient de le rappeler, c’est la Russie qui a gagné la guerre —et les puissances occidentales le savent pertinemment—. Le spectacle des célébrations officielles ne serait plus qu’une farce grotesque si la Russie venait à en être exclue, à cause de l’acrimonie présente des Occidentaux à son égard. Imaginez cela ! La France, dont le gouvernement légal a collaboré avec les Nazis, s’apprêtant à fêter la défaite de l’Allemagne nazie en l’absence de l’artisan essentiel de la victoire : la Russie.
On a mentionné plus haut que 90 % du total des pertes de l’Allemagne nazie, pendant toute la durée du conflit, ont été enregistrées sur son Front Est, dans sa guerre contre l’Union soviétique. Ce fait apporte un correctif salutaire à la vanité des « Occidentaux », et un démenti historique à leurs allégations. Avec le même aplomb, les Anglais et les États-uniens se targuent, vainement, d’avoir été les artisans de la victoire. Pensez à la kyrielle de productions hollywoodiennes qui véhiculent l’idée, extrêmement répandue en « Occident », que ce sont les exploits héroïques de « l’Amérique » et de la Grande Bretagne qui « ont libéré l’Europe ».
Mais il y a une autre leçon salutaire à tirer de l’échelle gigantesque des dévastations imposées à la Russie pendant la Seconde Guerre mondiale, et de leur part prépondérante, disproportionnée, dans le bilan global des destructions et des ravages générés par ce conflit. En « Occident », cet aspect des évènements a été pratiquement occulté, parce qu’il mène à la découverte de la vérité, extrêmement choquante, sur les causes réelles de la guerre et sur la logique qui a présidé à son déclenchement et à ses divers développements. La compréhension profonde des ressorts de la Seconde Guerre mondiale taille en pièces les prétentions éhontées de l’« Occident » à s’enorgueillir du noble rôle qu’il prétend avoir tenu dans la défaite de l’Allemagne nazie. Elle permet de démontrer que les rodomontades des « Occidentaux » sont aux antipodes de la vérité historique, et ne sont rien d’autre qu’une escroquerie.
Dans son livre intitulé L’Entente Chamberlain Hitler- [4], Clément Leibovitz démontre que, durant les années 1930, dans le plus grand secret, les classes dominantes de l’« Occident » ont, de façon délibérée, apporté leur concours à la mise au point de la machine de guerre nazie. De 1929 à 1940, les grandes sociétés états-uniennes ont accru leurs investissements dans l’Allemagne hitlérienne, dans des proportions beaucoup plus importantes que dans n’importe quel autre pays européen. Elles ont ainsi contribué de façon significative au renforcement massif du potentiel de production des industries de l’armement du Troisième Reich en gestation, au mépris de l’interdiction formelle du réarmement de l’Allemagne, décrétée en 1918 par le Traité de Versailles, à l’issue de la Première Guerre mondiale. La classe dirigeante britannique a très largement contribué au renforcement du pouvoir hitlérien. Quand le Führer a remilitarisé la Rhénanie en 1936, Londres a fermé les yeux. En 1937 et 1938, le Parti conservateur que dirigeait Neville Chamberlain, le Premier ministre de l’époque, a participé à une série de rencontres secrètes avec le chancelier Adolf Hitler et les autres dirigeants nazis [
5]. Ces discussions ont atteint leur apogée avec la conclusion des
Accords de Munich en 1938 . Quand Chamberlain, de retour en Grande-Bretagne, a agité sa feuille de papier en proclamant « Nous avons sauvé la paix ! », on l’a beaucoup accusé, comme on le fait aujourd’hui encore, d’avoir cédé aux exigences d’Hitler pour tenter de « l’apaiser ». Mais, comme l’a relevé Leibovitz dans son étude minutieuse des échanges officiels de correspondances entre Londres et Berlin, l’objectif des pourparlers n’était pas « l’apaisement », mais plutôt la mise en place d’une collusion avec l’Allemagne Nazie.
« Il ne devrait y avoir aucun conflit entre nous », c’est ce qu’Hitler avait déclaré à Chamberlain lors d’une réunion tenue antérieurement à Godesberg, dans le plus grand secret, le 23 septembre 1938. Le Führer considérait que la Grande-Bretagne et l’Allemagne constituaient « les deux piliers qui soutenaient l’ordre social européen ». Le Premier ministre britannique et son secrétaire aux Affaires étrangères, Lord Halifax, entourés d’autres membres éminents du gouvernement de Londres, avaient pour leur part confié à Hitler qu’ils tenaient en haute estime « la grande force de son nationalisme et de son `racialisme’ ».
- [PHOTO: La signature des Accords de Munich est présentée comme la volonté d’éviter une guerre avec l’Allemagne en reconnaissant que l’on est allée trop loin en la démembrant avec le Traité de Versailles. Il s’agit en vérité de reconstituer la force de frappe de l’Allemagne pour qu’elle détruise l’URSS.]
Comment expliquer de tels propos ?
Pour comprendre, il faut d’abord replacer l’avènement de l’Allemagne nazie et des autres régimes fascistes européens (Mussolini en Italie, Franco en Espagne, et Salazar au Portugal), dans leurs contextes historiques particuliers. En premier lieu, la révolution russe de 1917, a été le signal annonciateur du mouvement d’émancipation des travailleurs, de l’expropriation des capitalistes et de la fin de leur pouvoir omnipotent, et a profondément ébranlé le pouvoir des classes dirigeantes dans tous les pays capitalistes occidentaux.
D’autre part, les fascistes européens n’étaient pas seulement animés par les préceptes de leur idéologie raciste différenciant « la race supérieure » des « sous-hommes » (Untermenschen), ils étaient farouchement anticommunistes et exécraient tout particulièrement l’Union soviétique et ses principes socialistes. Le parti hitlérien avançait pourtant drapé de l’étendard (trompeur) du « national socialisme ». Hitler vouait au marxisme une haine pathologique. Il en allait de même pour tous les dirigeants du Troisième Reich.
C’était cet anticommunisme forcené qui soulevait l’enthousiasme et emportait immanquablement l’admiration des dirigeants capitalistes de l’« Occident ». Hitler était perçu par eux comme un rempart stratégique contre la propagation de la révolution communiste, alors que le capitalisme traversait la crise profonde de la grande dépression, et que la misère se répandait de façon prodigieuse dans tous les pays « occidentaux ».
La collusion entre Hitler et Chamberlain avait été scellée par un pacte secret. Elle reflétait les angoisses géostratégiques des classes dominantes des États-Unis et de la Grande Bretagne. Il fut donc décidé de mettre sur pied la machine de guerre nazie, avec l’objectif de détruire l’Union soviétique. Voilà ce que recouvrait, en réalité, la prétendue « politique d’apaisement » menée par Chamberlain à l’égard de l’Allemagne nazie. Elle avait été conçue afin de « laisser les mains libres » à l’Allemagne hitlérienne pour s’étendre à l’Est. Voilà pourquoi la Grande-Bretagne n’avait rien trouvé à redire à l’annexion de l’Autriche et de la région des Sudètes (au détriment de la Tchécoslovaquie) en 1938. Les dirigeants britanniques avaient, de façon explicite mais secrète, donné carte blanche à Hitler pour « préserver l’ordre social (capitaliste) en Europe », et combattre l’essor redouté du socialisme conquérant inspiré par la Russie.
En réalité, l’Allemagne nazie n’était guère qu’un régime à la solde de l’axe capitaliste anglo-US, au même titre que les autres régimes fascistes européens. C’est ce qui explique pourquoi la machine de guerre nazie a tourné sa terrible puissance de feu contre l’Union soviétique. Et c’est là que les janissaires en charge de l’extermination programmée des « Untermenschen » (les sous-hommes) ont commis les forfaits barbares les plus épouvantables que l’on puisse imaginer. Hitler a fait exactement ce qu’attendaient de lui les classes dirigeantes de l’« Occident », qui l’avaient aidé à conquérir le pouvoir en reconnaissance de son antisoviétisme furieux. Les souffrances et les atrocités qui en ont résulté pour le peuple russe et les aux autres peuples slaves ont été d’une ampleur et d’une sauvagerie inouïes, et dépassent, par leur échelle gigantesque, celles infligées à l’Europe de l’Ouest ou aux prisonniers de guerre anglais et états-uniens.
Comme dans toutes les relations qu’entretiennent les pouvoirs occidentaux avec leurs clientèles, la nature des liens entretenus est soumise aux aléas des redéploiements tactiques éventuels que commandent les évènements. La guerre de l’Irak contre l’Iran, fomentée et sponsorisée par les États-Unis et la Grande-Bretagne dans les années 1990 et les années 2000, en fournit une excellente illustration. Après avoir poussé Saddam Hussein à entrer en guerre contre l’Iran, ils se sont retournés contre le président irakien aussitôt qu’il est devenu une menace régionale potentielle pour leurs intérêts. Les impérialistes « occidentaux » mettent souvent sur le même plan Saddam Hussein et Adolf Hitler pour tenter de justifier les guerres qu’ils ont déclenchées contre l’Irak au cours des deux précédentes décennies. On remarquera ironiquement que cette comparaison superficielle est, si l’on va au fond des choses, extrêmement pertinente. Dans un cas comme dans l’autre, les puissances impérialistes ont tout bonnement renversé un dictateur qu’il leur avait paru commode de mettre en place au service de leurs propres intérêts. Ces mêmes intérêts cyniques, soumis à toutes sortes d’aléas, ayant changé, les donneurs d’ordre de l’Occident ont choisi de se débarrasser d’un allié devenu embarrassant.
De la même façon, la transgression, par Hitler, des limites tacites fixées à ses ambitions expansionnistes, lui permettant d’agir à sa guise sur sa frontière orientale pour détruire l’Union soviétique, a fini par retourner ses commanditaires contre lui. Dans un ironique renversement d’alliance, les « Occidentaux » ont trouvé sage de conclure un accord avec l’ennemi d’hier (la Russie), pour anéantir le pouvoir hitlérien qu’ils l’avaient eux-mêmes porté sur les fonds baptismaux et armé par eux jusqu’aux dents dans l’intention de détruire leur nouvel allié de circonstance, (cette même Russie).
Cependant, ainsi qu’on l’a remarqué plus haut, l’alliance réalisée pendant la guerre était empreinte d’ambivalence. La Russie a dû affronter seule les assauts des troupes nazies durant trois longues années avant que les Occidentaux ne se décident finalement à déployer des troupes en Europe. Encore faut-il noter que l’engagement occidental sur le théâtre européen n’intervint vraisemblablement à ce moment là, qu’en raison des avancées spectaculaires de l’Armée rouge, alors que la Wehrmacht reculait d’autant, et que l’Allemagne toute entière, et d’autres pays d’Europe centrale, risquaient de passer aux mains de Staline.
À partir de là, un nouvel impératif stratégique a gouverné les plans, les décisions et les actions des capitalistes « occidentaux ». L’objectif majeur est devenu la reprise de l’ouvrage là où il avait été laissé en 1917, quand la priorité suprême était de vaincre l’Union soviétique. C’est pour anéantir le péril communiste que les classes dirigeantes de l’« Occident » avaient sorti de leur manche la carte du régime hitlérien. Ce choix s’était révélé désastreux. Au bout du compte, pour des raisons géopolitiques cyniques, la machine de guerre antisoviétique des nazis avait dû être liquidée au prix d’un préjudice énorme.
Ces ressorts profonds qui ont motivé les décisions de leurs prédécesseurs avant, pendant, et après la guerre, les « Occidentaux » ne les évoquent jamais lors des commémorations qu’ils organisent chaque année pour célébrer la défaite de l’Allemagne nazie et de ses alliés. Mais, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les préoccupations géopolitiques secrètes des puissances capitalistes n’avaient pas varié d’un pouce. Le problème central, c’était la persistance du danger que l’Union soviétique représentait pour l’ordre capitaliste du monde. Les craintes des élites occidentales étaient d’autant plus exacerbées que le prestige de l’Union soviétique grandissait auprès des populations des pays occidentaux, qui n’ignoraient rien des héroïques sacrifices consentis par le peuple russe pour débarrasser l’Europe du joug et de la barbarie fascistes. Au sein des masses populaires de l’« Occident », il y avait en outre la conscience diffuse, palpable, que leurs classes dirigeantes avaient facilité d’une façon ou d’une autre l’ascension du fascisme. Ainsi, en Grande-Bretagne, le mépris de la population laborieuse pour la classe dirigeante explique pourquoi le chef du Parti conservateur, Winston Churchill, le successeur de Chamberlain à la tête du gouvernement après 1940, a été remercié par l’électorat et renvoyé dans ses foyers immédiatement après la guerre. Pour la première fois, les Britanniques avaient choisi de porter au gouvernement les travaillistes qui se réclamaient des idéaux socialistes. Le portrait flatteur de Winston Churchill, le chef de guerre énergique, ferme et décidé, n’avait pas suffi pour emporter l’adhésion des électeurs.
La Seconde Guerre mondiale était à peine terminée que déjà les classes dirigeantes britanniques et états-uniennes déclenchaient la Guerre froide et initiaient des campagnes hostiles contre l’Union soviétique. En un tournemain, le revirement occidental avait fait de Staline, l’allié d’hier, le nouveau Satan. À partir de ce moment, la nation qui avait terrassé l’hydre monstrueuse et criminelle du fascisme en Europe se vit fustigée comme l’ennemi mortel. La propagande occidentale prit alors un tour délirant, alertant à tout-va contre les dangers du « Péril rouge » et la malfaisance de « l’Empire du Mal ». Des décennies de campagnes de propagande haineuses et mensongères, s’appliquant à inspirer la peur de la Russie et du socialisme, allaient suivre. Aujourd’hui, Le communisme n’est plus l’idéologie officielle de la Russie. Néanmoins, la simple existence d’une Russie forte demeure une menace géostratégique pour l’ordre capitaliste de l’Occident et pour ses ambitions d’hégémonie planétaire. Les États-Unis, en particulier, perçoivent la Russie comme un obstacle à leurs visées expansionnistes sur le « Proche-Orient » [
6] et le Pacifique. Le soutien décisif que Moscou a apporté à la Syrie a pratiquement fait échouer les efforts déployés à l’initiative de Washington pour imposer un changement de régime, ce qui, par voie de conséquence, a compromis les plans états-uniens visant à affaiblir l’Iran, un autre allié de la Russie.
Plus de vingt ans après l’écroulement de l’Union soviétique et la fin de la Guerre froide, nous assistons à la mise en œuvre d’un expansionnisme agressif des nations regroupées dans l’Otan sous la houlette des États-Unis, et à l’extension de la zone qu’ils contrôlent militairement de plus en plus près des frontières de la Russie. Les raisons qui motivent cette dynamique très particulière sont rarement évoquées dans les discours officiels des « Occidentaux ». Il est toutefois extrêmement instructif de se pencher sur la question.
Cette stratégie agressive que les pays du camp « occidental », dominés par Washington, mènent contre la Russie, est dans la droite ligne de leur attitude à l’égard de Moscou au lendemain de la Révolution bolchevique de 1917. Dès cette époque, ils ont vu en Moscou un ennemi susceptible de nuire à leurs ambitions hégémoniques. Leur politique hostile est dans la droite ligne de l’instrumentalisation du fascisme européen, utilisé comme fer de lance de leurs menées agressives contre l’URSS au cours des années 1930, à l’origine du déclenchement du conflit international, mondialisé, le plus terrible qui ait jamais existé. Elle est dans la droite ligne du déclenchement de la Guerre froide par l’« Occident » en 1945 et de l’isolement imposé à la Russie durant près d’un demi-siècle, lui interdisant le développement normal et harmonieux de ses relations internationales. Elle est dans la droite ligne de la logique qui sous-tend la campagne belliqueuse que mènent actuellement Washington et ses alliés capitalistes occidentaux, qui, tirant prétexte de la crise ukrainienne, déversent une avalanche ininterrompue de mensonges et d’accusations fabriquées de toutes pièces sur la Russie de Poutine..
Couronnant le tout, l’hostilité géostratégique profonde qui s’exprime de façon sous-jacente dans toutes les relations des puissances « occidentales » avec la Russie, éclate aujourd’hui au grand jour à travers ce paradoxe historique en apparence absurde : le 70ème anniversaire de la défaite du fascisme en Europe est le moment choisi par les puissances occidentales pour forger une alliance avec les néonazis qui ont usurpé le pouvoir à Kiev. Il ne faut pas être grand clerc pour voir percer, dans cette affaire, à travers l ‘écran des mensonges et des provocations, le dessein ultime, l’ambition stratégique de toujours, jamais abandonnée : les visées agressives que les puissances impérialistes de l’Occident entretiennent à l’égard de la Russie.
Il ne faut pas chercher plus loin ce qu’il y a derrière la soi-disant « remise à l’heure », par Washington, de ses relations avec Moscou. Les puissances capitalistes occidentales sont prêtes à s’acoquiner avec n’importe quelle force, fût-elle la plus méprisable et la plus dépravée, pourvu qu’elle prête son concours à la réalisation de leurs ambitions hégémoniques.
Si on creuse un peu plus loin ce sillon, on voit poindre une vérité troublante : du point de vue des puissances capitalistes « occidentales », la Seconde Guerre mondiale ne s’est jamais réellement terminée. Elle a seulement connu une courte pause avant d’être relancée par la Guerre froide. Les puissances capitalistes « occidentales » s’emploient aujourd’hui à en pousser de nouveau les feux, contre le pays perçu par eux comme leur ennemi irréductible de toujours : la Russie.
[1] L’emploi du terme Occident pour désigner non pas une région géographique, mais les gouvernements pro-US (y compris aujourd’hui des États comme la Colombie ou le Japon), date de la Guerre froide. Il s’agit de poser un conflit entre deux civilisations, d’un côté l’Occident qui serait fondé sur les valeurs de l’individu, et de l’autre l’Orient (autour de la Russie et de la Chine), qui serait intrinsèquement collectiviste, donc naturellement communiste. NdlR.
[2] “All-Ukrainian Union "Svoboda" program”, Voltaire Network, 12 August 2009.
[3] Pieter Lagrou, « Les guerres, la mort et le deuil : bilan chiffré de la Seconde Guerre mondiale », in Stéphane Audoin-Rouzeau et al., dir., La violence de guerre 1914-1945, Bruxelles, Complexe, 2002, p. 322 (313-327).
[4] In Our Time : The Chamberlain-Hitler Collusion, par Clement Leibovitz, Monthly Review Press, 1997. Une version ultérieure en français est disponible sous le titre L’Entente Chamberlain Hitler, L’Harmattan, 2011.
[5] Un fait historique méconnu :
Au lendemain de la signature des Accords de Munich, Neville Chamberlain, le Premier ministre britannique, a invité le chancelier Hitler à un petit entretien privé. Et puis, sans crier gare, il a sorti un papier de sa poche portant cette inscription :
« Nous ci-devant représentés, le Führer, chancelier d’Allemagne, et le Premier ministre de la Grande-Bretagne, avons eu ce jour un nouvel entretien et sommes tombés d’accord pour considérer que la question des relations anglo-allemandes est de la première importance pour nos deux pays et pour l’Europe. »
On y pouvait lire également que :
Les dirigeants de nos deux pays estiment que « l’accord signé la nuit dernière et le traité naval germano-britannique sont le symbole du désir des deux nations de ne jamais se faire la guerre. »
Les historiens oublient généralement de mentionner ce document. Pourtant, c’est vraisemblablement cet accord non protocolaire qui a laissé les mains libres à Hitler pour entreprendre son agression à l’Est. Ce n’est certainement pas l’accord de Munich qui traitait uniquement du sort de la Tchécoslovaquie !
Dans la filmographie historique de l’époque, on retrouve souvent la scène de l’arrivée à Londres de Chamberlain à son retour d’Allemagne, après la signature des Accords de Munich. Il se tient debout près de son avion, brandit une feuille de papier et l’agite devant la foule, et proclame alors d’une voix forte : « Nous avons sauvé la paix ! «
Et tout le monde pense, dans l’assemblée venue pour l’accueillir, que le Premier ministre tient dans sa main la copie des accords signés à Munich. Et pourtant, le papier que Neville Chamberlain agite devant la foule, n’est autre que la déclaration convenue hors protocole, lors de sa petite réunion complémentaire avec le Chancelier Hitler.
[6] Le « Proche-Orient », en anglais « Middle-East », ne désigne pas une région géographique naturelle, mais l’ensemble du Levant et du Golfe persique en tant qu’objet du colonialisme. L’administration états-unienne parle désormais de « Proche-Orient élargi » (en anglais « Greater Middle East »), pour englober une région allant du Maghreb au Pakistan. NdlR.