--- Dans alerte_otan@..., "Roland Marounek" a écrit :


http://www.lefigaro.fr/litteraire/20040415.LIT0019.html

Entretien L'écrivain d'origine autrichienne rompt un silence de dix ans


Peter Handke : «On m'a accusé d'être serbophile comme si j'étais nécrophile=
...»


En exclusivité, Peter Handke parle de sa vie en banlieue et dissipe les rum=
eurs qui le
font passer pour un thuriféraire de Slobodan Milosevic, alors qu'il souhait=
e seulement
faire entendre la voix des Serbes. Au moment où va paraître son nouveau rom=
an (La
Perte de l'image, Gallimard), l'écrivain d'origine autrichienne s'exprime p=
our la
première fois après dix ans de silence.

Propos recueillis par Bernard Morlino
[15 avril 2004]


LE FIGARO LITTERAIRE. - Quand avez-vous décidé de vous installer en France =
?

Peter HANDKE. - Je l'ai fait en 1990, je rôde volontiers en banlieue car j'=
aime ses
forêts, ses voies de chemins de fer et ses paysages changeants. En Ile-de-F=
rance, je
peux beaucoup marcher, et cela m'est vital. Avant de découvrir Clamart puis=
Chaville,
j'avais la banlieue en horreur. Il m'a fallu du temps pour comprendre que l=
es grandes
villes détruisent la seule réalité qui m'intéresse: l'infime quotidien des =
anonymes.

A part cela, en quoi la banlieue vous retient-elle ?

J'aime écouter ce que me racontent les gens sans que j'aie à leur demander =
quoi que
ce soit. A force de les côtoyer, ma présence est devenue familière à beauco=
up, ils ont
confiance en moi car je ne cherche pas à leur arracher des confidences comm=
e le font
les reporters de la télévision qui est une voleuse d'intimité. J'ai ainsi g=
lané
d'innombrables témoignages de Russes, d'Espagnols et d'Italiens qui avaient=
fui
Staline, Franco et Mussolini. Aujourd'hui, ils ont déserté la rue quand ce =
n'est pas la
vie...

Vous n'ignorez pas que la presse vous a reproché de ne pas condamner les ma=
ssacres
de Musulmans par les Serbes, à Srebrenica, en 1995 ?

Elle n'a pas fait son travail, car j'ai condamné, à deux reprises, ces mass=
acres dans
Voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina. Je ne sais =
pas
pourquoi, mais on s'en est pris aux Serbes à travers moi. La vérité, c'est =
que peu de
gens ont lu mon récit. Des esprits mal intentionnés ont dit du mal de mon l=
ivre,
comme l'on verse des gouttes de poison dans l'eau pour la rendre imbuvable.=
Mon
livre est un témoignage sur la vie des Serbes pendant la guerre, toutes opi=
nions
politiques mises à part.

En novembre 1991, vous avez signé une pétition contre l'indépendance de la =

Slovénie. Pourquoi avoir longtemps ensuite gardé le silence avant de défend=
re la
Serbie ?

On ne peut pas dire que j'ai pris position pour la Serbie. En 1996, j'en ai=
ramené
seulement ce que j'avais vu pendant un voyage. Je déteste les reportages da=
ns la
presse car on y injecte une dramatisation superflue. En Serbie, je me suis =
vraiment
contenté d'évoquer le paysage hivernal et les gens qui ont froid, sans me m=
êler de
juger, à la façon d'un magistrat.

Où se situe l'injustice selon vous ?

N'oublions pas que le général Radislav Krstic, ancien chef de corps de la D=
rina, a été
condamné à 46 ans de prison pour le massacre de Srebrenica, alors que lors =
de son
procès, on n'a pas évoqué les villages serbes où des massacres ont été perp=
étrés
auparavant par les Musulmans. Pourquoi ne pas tenir compte des tueries dont=
les
Serbes ont été et sont victimes, alors que l'on cite toujours celles contre=
les Croates
et les Musulmans? Avant que la guerre n'éclate, il y avait de nombreux atte=
ntats
contre les Serbes, au Kosovo, mais qui s'y intéressait? C'était apparemment=
hors
actualité. Des hommes cagoulés entraient dans les bars pour mitrailler les =

consommateurs parmi lesquels il y avait aussi des Albanais.

Certains ont ironisé lorsque vous avez quitté l'église catholique. Que sign=
ifiait ce
geste pour vous ?

En mars 1999, l'évêque d'Amiens justifia le bombardement par l'Otan de la s=
orte:
«Quand il y a un feu, un seau ne suffisant pas, il faut envoyer des Canadai=
r.» J'ai
trouvé incroyable dans la bouche d'un prélat, la comparaison des Canadair! =
Personne
ne broncha. Ensuite, le Pape n'a pas hésité à béatifier un cardinal oustach=
i. Les
Oustachis, vous le savez, étaient membres d'un mouvement nationaliste croat=
e.
Soutenus par Hitler, ils infligèrent un génocide à la minorité serbe. Stepi=
nac fut ainsi
responsable avec les nazis de la mort de centaines de milliers de Juifs, de=
Serbes et
de Gitans. Voilà pourquoi j'ai quitté l'église romaine. Pour mes obsèques, =
je ne veux
pas de prêtre catholique, mais un prêtre orthodoxe.

Les 17 et 18 mars 2004, les Albanais musulmans ont tué des Serbes au Kosovo=
où les
affrontements n'avaient plus été aussi meurtriers depuis la fin de la guerr=
e (28 morts,
900 blessés - dont 60 soldats de la Kfor -, et une trentaine d'églises orth=
odoxes
serbes détruites). A quoi servent les soldats de la Kfor (Force de maintien=
de la paix
de l'Otan) censés apporter l'ordre et la paix ?

La mission de l'Otan est un échec total. La guerre contre la Yougoslavie es=
t un crime
presque parfait. Les responsables sont les gouvernants de l'Ouest, et eux n=
e seront
jamais envoyés devant un tribunal. On a dit que les Serbes pratiquaient l'a=
partheid au
Kosovo aux dépens de deux millions d'Albanais. En vérité, il y avait à pein=
e trois cent
mille Serbes. Quand j'allais au Kosovo, lorsqu'il n'y avait pas encore la g=
uerre de
l'Otan contre la Yougoslavie, les Serbes étaient tenus à l'écart. C'est aus=
si de leur
faute, car beaucoup d'entre eux ont vendu leur territoire. Parler d'aparthe=
id, c'est
vraiment le monde à l'envers.

Dès 1995, vous reprochiez aux médias de représenter les Serbes comme les
méchants et les Musulmans comme des gentils. Et, depuis, il y a eu la secon=
de guerre
d'Irak. L'avenir, selon vous ?

Je ne suis pas un prophète. Aujourd'hui, en Yougoslavie, tous les peuples s=
ont
condamnés à ne traverser que des frontières. Avant, c'était magnifique de p=
arcourir
ce pays. A présent, les Serbes ne peuvent plus entrer au Kosovo. L'Europe u=
nie n'a
plus de frontières et dans l'ex-Yougoslavie, il n'y a que ça...

On dit que vous avez été décoré par Slobodan Milosevic, l'ancien président =
serbe. Est-
ce vrai ?

Pas du tout. Je n'ai vu Milosevic que dans une cage vitrée à la télévision,=
qui montrait
le tribunal de La Haye. Comme tout le monde, on m'a accusé d'être serbophil=
e comme
si j'étais nécrophile! En réalité, une amicale de Serbes de Genève m'a déce=
rné une
décoration au nom de la diaspora, c'est tout, mais je ne me voyais pas voya=
ger pour
recevoir une récompense. Cela a pourtant suffi aux journaux pour dire que M=
ilosevic
m'avait épinglé une médaille sur la poitrine.

Vous n'avez jamais été en tête-à-tête avec lui ?

Non, mais je ne m'y opposerais a priori pas. Milosevic est une figure tragi=
que qui ne
pouvait peut-être pas agir autrement. La guerre est devenue inévitable dès =
que
l'Allemagne, l'Autriche, les Etats-Unis et l'Espagne ont ratifié le démembr=
ement de la
Yougoslavie. On a donné à Milosevic le rôle du tyran au lieu de s'intéresse=
r au
président nationaliste croate Tudjman, antisémite notoire, et au président =
de Bosnie-
Herzégovine, Izetbegovic, pur islamiste. Ce dernier condamne non seulement =
le
monde matérialiste mais s'oppose aussi à la mystique de l'islam incarnée pa=
r les
soufis qui veulent soi-disant cultiver leur âme (pour embrigader les autres=
, bien sûr).

Cela vous choque-t-il que l'on surnomme Slobodan Milosevic «l'Hitler des Ba=
lkans» ?

En réalité, Milosevic est bien plus un autocrate qu'un dictateur. Il appliq=
uait un régime
autoritaire mais si l'on s'approche du pouvoir, on s'aperçoit que les soi-d=
isant
démocraties incarnent, en fait, un totalitarisme mou, hypocrite. Dans les a=
nnées 70, il
y avait un espoir en Autriche avec le chancelier socialiste Bruno Kreisky. =
A son
contact, j'ai compris que près du pouvoir tout devient noir. Il n'y a que d=
es clans, des
petites intrigues. Dès que je m'en suis éloigné, j'ai retrouvé une vie simp=
le et
naturelle. Je ne suis pas du tout comme Gabriel Garcia Marquez, qui est un =
écrivain
très attiré par le pouvoir.

Aurait-on pu éviter la guerre en Yougoslavie ?

Sûrement, si François Mitterrand avait dit non au démembrement de la Yougos=
lavie,
ce pays existerait toujours sous l'ancienne forme de République populaire f=
édérative.
Mais il était tellement attaché à l'amitié franco-allemande qu'il s'est ran=
gé du côté de
l'Allemagne. Mitterrand ne connaissait pas la Yougoslavie, pays pourtant al=
ors plein
d'avenir prometteur. L'Europe unie est composée de peuples qui ne se compre=
nnent
pas, et qui même se détestent profondément entre eux. L'histoire du XVIe si=
ècle
semble toujours dans leurs gènes. Dès que l'économie ne joue plus, la zizan=
ie
s'amplifie et l'on débouche sur la catastrophe nationaliste. Au niveau géop=
olitique, la
Yougoslavie est située dans un espace qui ne peut pas avoir une économie au=
tonome.
C'était presque héroïque, pour Tito, de s'associer à Nasser et Nehru pour c=
réer une
voie de neutralité entre le communisme et le capitalisme.

Le fait que la Carinthie, au sud de l'Autriche, soit le fief de Jörg Haider=
vous empêche-
t-il de retourner dans le pays de votre mère ?

Non, j'y retourne. La Carinthie fut le seul pays, sous le IIIe Reich, à con=
naître une
résistance armée. Pendant trois ans, les fils de bûcherons, de cheminots et=
de
fermiers, se sont réfugiés dans la forêt pour former la seule armée clandes=
tine
installée en terre nazie car l'Autriche faisait alors partie de l'Allemagne=
. Les Slovènes,
le peuple de ma mère, ont rendu respectable la Carinthie car leur minorité =
s'est donc
s'opposée à Hitler. A présent, on oublie les partisans qui ont contribué à =
libérer la
Carinthie, en 1945. A ce moment-là, elle était la gloire de l'Europe centra=
le.

Que pensez-vous de Jörg Haider ?

Le gouverneur Jörg Haider a été élu démocratiquement. On ne peut sanctionne=
r ça
comme un crime, même si c'est dégoûtant. Il distribue au peuple l'argent de=
s impôts
en faisant croire qu'il s'agit du sien. Quand je m'amuse à dire: «Si Haider=
vous fait si
peur vous n'avez qu'à lancer les Canadair de l'Otan sur Vienne!», les gens =
ne savent
plus quoi dire. Lorsque j'ai vu l'un des premiers rassemblements du Parti d=
e la liberté
(FPO) à Salzbourg, les vieux nazis sont descendus dans les rues. Il m'a sem=
blé que
toutes les plaques des égouts se soulevaient pour libérer les excréments. C=
omme a
dit mon compatriote Odon von Horvath: «Il n'y a rien qui donne plus la sens=
ation de
l'éternité que la bêtise.» Il suffit pour ça de regarder le visage de Haide=
r, qui est un
vulgaire frimeur.

Votre nouveau livre La Perte de l'image est-il un roman ou un récit à votre=
manière ?

Disons un roman médiéval inspiré par Perceval et Lancelot de Chrétien de Tr=
oyes, et
aussi par Wolfram von Eschenbach. Il faut beaucoup d'énergie pour rouvrir c=
e chemin,
mettre le monde là où l'on veut, car il existe une géographie des rêves. Je=
trouve
moderne cette voie, sans être moi-même avant-gardiste. Comme personne d'aut=
re
fait ça, je me sens seul dans une voie d'une certaine manière rénovatrice. =
Il ne faut
pas confondre utopie avec sentimentalisme, naturalisme et réalisme. J'utili=
se comme
tremplin ce que je connais pour trouver une autre réalité.

«L'ailier gauche est un enfant perdu.» Cette définition de Montherlant conv=
ient-elle à
l'amateur de football que vous êtes ?

Pourquoi pas, d'autant plus que je jouais ailier gauche. Enfant, j'aimais c=
ourir sur les
terrains en Carinthie, là où l'herbe était plus haute car peu d'actions se =
déroulaient
sur les ailes. Par moments, il me semblait jouer dans la savane. Il n'y ava=
it presque
pas de public sur les gradins des tribunes, surtout pas de filles, et moi, =
je voulais tant
qu'elles me regardent...

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