[ La ditta Halliburton, numero uno mondiale delle infrastrutture per il
settore petrolifero, e' diretta da personaggi-chiave della
amministrazione Bush-Cheney. Essa e' tristemente nota, oltreche' per
la attuale rapina delle risorse irachene, anche per avere in gestione
la "torta" degli appalti delle basi militari statunitensi sul
territorio del Kosovo, come Camp Bondsteel, attraverso la sua
consociata Brown&Root...]

http://www.reseauvoltaire.net/article14938.html

Affaires

Halliburton ou le pillage de l'État

Halliburton, numéro 1 mondial des équipementiers pétroliers, est
devenue sous l'administration Bush fils l'un des symboles des guerres
de prédation. La multinationale, anciennement dirigée par Dick Cheney,
a bénéficié de contrats mirifiques à l'occasion de la guerre contre
l'Irak et de la reconstruction. Mais ce scandale n'est pas nouveau :
depuis près d'un siècle, cette société se développe en mêlant business
et politique sur le dos de citoyens états-uniens bien crédules. C'est
le premier volet de notre enquête sur une multinationale trop méconnue.

16 septembre 2004

[PHOTO: George et Herman Brown, fondateurs de la société Brown & Root]


Dick Cheney est nommé, en 1995, à la tête de la société Halliburton
pour sa connaissance exceptionnelle des rouages du Capitole et du
Pentagone, et bien qu'il n'ait aucune expérience dans le privé. Le pari
du Conseil d'administration qui l'embauche sera couronné de succès :
cinq ans avant son arrivée, les prêts accordés à la société et appuyés
par l'État s'élevaient à 100 millions de dollars, pour atteindre 1,2
milliards à son départ. Les contrats passés avec le gouvernement
doublent pratiquement dans la même période, passant de 1,2 milliards à
plus de 2,3 milliards. Le fait que Cheney ait joué de ses relations
pour obtenir ces contrats est pratiquement impossible à prouver, par
ailleurs Halliburton peut arguer qu'elle est réellement la société la
plus apte à les honorer [1]. Quoi qu'il en soit, Dick Cheney a amplifié
un système qui existait avant lui. Pour le comprendre, il convient de
revenir sur l'histoire méconnue de la multinationale Halliburton, issue
de la fusion entre une société de services pétroliers à très haute
technologie et une sorte de cabinet politico-financier comme en produit
le mode de vie états-unien.


Les origines du savoir-faire d'Halliburton

À l'origine d'Halliburton, il y a un jeune homme ambitieux et passionné
de mécanique, né en 1892 à Henning, une petite ville près de Memphis
dans le Tennessee. Erle Palmer Halliburton est l'aîné des cinq enfants
d'une famille dont le père décède prématurément en 1904, la laissant
pratiquement sans ressources. Deux ans plus tard le jeune Erle, alors
âgé de 14 ans, décide de tenter sa chance pour libérer les siens des
affres de la pauvreté et part à l'aventure en promettant de ne revenir
à Henning qu'avec un million de dollars dans les poches. Il enchaîne
les petits boulots toujours en rapport avec sa passion, la mécanique,
et finit par s'installer en Californie après un bref passage dans
l'U.S. Navy où il s'occupe de mécanique hydraulique. Il se marie et
accepte temporairement la responsabilité d'un projet d'irrigation qui
lui procure un salaire honorable pour l'époque de 100 dollars par mois.

Autour de lui s'agitent déjà les aventuriers embarqués dans la frénésie
du pétrole, démarrée en 1860 en Pennsylvanie, gagnant la Californie en
quelques décennies pour finalement exploser au Texas en 1901 lorsque le
brut jaillit au-dessus de la colline de Spindletop. La technologie mise
au service de l'extraction évolue alors rapidement, mais beaucoup reste
à inventer pour l'optimiser. Les pionniers de l'or noir avancent à
l'aveuglette, procèdent de manière souvent maladroite et empirique.
Erle Halliburton se fait embaucher par l'entreprise de bétonnage de
puits d'Almond A. Perkins. Cette technologie alors quasiment inconnue
permet d'éviter que des infiltrations de gaz ou d'eau se produisent
dans le puits, rendant son pétrole inutilisable, et permet en outre de
consolider ses parois qui habituellement se désagrègent, obligeant
l'opérateur à évacuer sans arrêt ces matériaux indésirables à
l'extérieur du puits. Rapidement passé de chauffeur de camion à
cimenteur de puits, Erle est néanmoins remercié au bout d'un an.
Décidant immédiatement de mettre à profit ses nouvelles et précieuses
connaissances en créant sa propre entreprise, Erle dira plus tard que
son embauche et son licenciement par la Perkins Oil Well Cementing
Company étaient les deux meilleures choses qui lui soient arrivées.

Installée au Texas, son entreprise connaît des débuts difficiles, noyée
parmi la foule d'aventuriers, entrepreneurs et charlatans en tous
genres qui gravitent autour des boomtowns pétrolières. La New Method
Oil Well Cementing Company du jeune Halliburton n'encaisse pratiquement
aucun profit, mais la détermination inébranlable de son patron finira
par payer quand une compagnie d'extraction lui confie la tâche de
maîtriser un puits indomptable qui lui fait perdre des revenus
importants. Une fois la tâche accomplie, la réputation de la nouvelle
méthode de Perkins, à laquelle Halliburton a apporté quelques
améliorations, enfle et circule rapidement dans tout le milieu. Les
contrats affluent et l'entreprise décolle enfin. Devant ce rapide
succès, le détenteur du brevet de la méthode de cimentage et ancien
patron de Halliburton assigne ce dernier en justice pour récupérer ses
droits. La dispute se soldera par un accord selon lequel Halliburton
cède en échange à Perkins les droits sur son propre brevet de
fabrication de ciment, mais il n'est pas encore au bout de ses ennuis
avec les brevets : quelques années plus tard il mènera sans succès une
autre bataille qui l'opposera à l'une des plus puissantes firmes
d'alors, la Standard Oil de John D. Rockefeller [2].

En 1924, il concocte un plan de capitalisation boursière en faisant
entrer ses principaux clients dans le capital de son entreprise, qui
devient la Halliburton Oil Well Cementing Company, ou Howco. De cette
manière, il s'assure un salaire plus confortable tout en réservant la
majorité des parts à sa famille, et cherche à diversifier son activité
en acquérant une flotte d'avions de transport de passagers. L'arrivée
de la grande dépression lui fait regretter ce pari ; Halliburton tente
alors de reconvertir cette flotte en décrochant un marché public de
distribution de courrier. Son offre est rejetée. Il tente donc de
rattraper le coup par un voyage à Washington durant lequel il proteste
auprès des élus, mais son inexpérience des subtilités de la politique
le maintient décidément hors de la boucle. En conséquence Erle
Halliburton nourrira pendant longtemps une défiance amère à l'égard de
« ces gens à Washington », préférant s'en remettre davantage à son
expertise et à son flair acquis sur le terrain.

À la fin des années 20, Howco doit son succès à ses camions, qui
sillonnent sans relâche les routes du Texas et de l'Oklahoma d'un puits
à l'autre, et à la persévérance d'un directeur qui va dénicher les
contrats, aussi modestes soient-ils.


Les relations politiques de Brown & Root

À l'inverse, une autre petite compagnie basée au Texas fit
simultanément son chemin dans les méandres des courants politiques,
chevauchant cycles économiques et guerres comme nulle autre.

Quand la famille Brown arrive au Texas en 1879, cet État ne compte pas
un million d'habitants (la population explosa ensuite pour atteindre
trois millions en 1900) qui vivent dans de petites villes autarciques,
reliées par des chemins défoncés - souvent d'anciennes pistes indiennes
- qui freinent considérablement tout développement.

Herman et George Brown naissent en 1892 et 1898 dans l'ambiance de
western de la ville de Belton, où leur père Riney tient un petit
commerce. Herman se distingue par son ardeur au travail et se détourne
rapidement de ses études pour prendre un petit boulot dans les travaux
publics, quand son jeune frère, plus charmeur et extraverti, vend des
lapins et des journaux avant de rejoindre le Rice Institute de Houston,
qui deviendra la Rice University. Il rs'engage dans l'armée durant la
Première Guerre mondiale, sans toutefois participer aux combats, puis
s'inscrit à l'école des Mines du Colorado, dont il sort avec un diplôme
affublé du commentaire « gagne son pouvoir grâce à sa capacité à se
faire des amis ». La carrière de George Brown ne démentira pas cette
note particulièrement clairvoyante.

Entre temps, son frère Herman s'est lancé avec sa femme Margaret Root
dans la construction de routes. Avec l'essor de l'automobile, il a
compris l'importance de l'amélioration des voies de communication pour
le développement du Texas, et sa petite affaire marche correctement,
même si il ambitionne, comme Erle Halliburton, une carrière plus
mirifique. Il embauche George après une expérience dans les mines qui
manquera de coûter la vie à ce dernier, et s'appuie sur les capitaux
apportés par son beau-frère Dan Root pour agrandir son entreprise qui
fonctionne alors avec quelques mules ainsi qu'une poignée de forçats
repris de justice.

Mais rapidement Herman Brown comprend aussi qu'en plus de la force de
travail, l'élément clé de sa réussite réside en sa capacité à garantir
l'afflux de contrats par un réseau relationnel solide.
Là où Howco avait échoué en soumettant une offre perdue dans la masse,
l'entreprise des frères Brown devait faire ses gammes dans le contexte
particulièrement difficile des travaux publics du Texas, où se
développaient à l'époque les pratiques de corruption qui continuent
aujourd'hui de caractériser l' « univers impitoyable » du business
texan. Au milieu des premiers scandales autour de l'attribution de
contrats par le Département des autoroutes du Texas nouvellement créé,
George et Herman Brown firent preuve d'une étonnante capacité
d'adaptation. Se contentant au départ de petits contrats et de
sous-traitances laissées derrière le sillage des favoris de l'élite
politique, ils cultivèrent peu à peu leur influence auprès des
décideurs selon l'adage « La politique c'est les affaires, les affaires
sont de la politique ». Un premier contrat relativement important est
décroché par Herman simplement en se rendant dans le bureau du
directeur de la commission d'attribution des contrats publics, sans
aucun appel d'offre, installant d'ores et déjà Brown & Root
(aujourd'hui Kellogg, Brown & Root, ou KBR) dans son véritable cœur de
métier.

Assise sur de confortables profits générés par la construction de
routes, mais aussi sur une quantité impressionnante de billets à ordre
(promesses de paiement s'étalant sur des périodes allant jusqu'à cinq
ans), Brown & Root aurait pu disparaître avec les milliers
d'entreprises qui, en 1929, se retrouvèrent avec des montagnes de
papier sans valeur. Seulement les conseillers financiers des frères
Brown avaient insisté avec virulence pour qu'ils les échangent contre
des liquidités avant le grand crash. Cela fournit à Brown & Root une
base de subsistance durant les premières années de vache maigre qui
ralentirent considérablement le développement des routes.

En 1932, Brown & Root doit pourtant se résoudre à prendre en charge le
collectage des ordures de la ville de Houston, qu'elle optimise en
enjoignant ses employés de trier les déchets organiques dont ils
nourrissent des porcs qui sont ensuite vendus. Ce sera le premier d'une
longue série de scandales autour de l'attribution à Brown & Root et sa
gestion des marchés publics. En effet, une offre d'un montant moins
élevé avait été soumise, mais le contrat est tout de même attribué à
Brown & Root, suscitant l'ire de la presse locale.
Ainsi l'entreprise s'accroche et n'hésite pas à accepter de se
diversifier à outrance pour survivre, mais bientôt les coffres sont
vides : il faut jouer un gros coup ou mettre la clé sous la porte.
Pour cela les frères Brown doivent se frayer une entrée à un niveau de
pouvoir supérieur. Ils trouveront en la personne d'Alvin Wirtz, l'un de
leurs proches conseillers, l'intermédiaire idéal.

Alvin Wirtz est alors un personnage politique hors du commun, homme de
l'ombre très influent au Texas car éloigné du feu des projecteurs,
contrairement aux hommes politiques élus qui doivent sans cesse
répondre de leurs actes devant l'opinion publique. Au sein de son
cabinet d'avocats Powell, Wirtz, Rauhut & Gideon, il tire alors
davantage les ficelles des décisions politiques qu'à son poste de
sénateur qu'il avait occupé jusqu'en 1930, moment où il choisit de
poursuivre sa carrière dans les coulisses du pouvoir.

Le flair politique de Wirtz oriente rapidement l'attention de Brown &
Root vers la seule source d'enrichissement à leur portée, moyennant
quelques subtilités relationnelles, à savoir les projets de chantiers
publics démesurés du New Deal de Roosevelt. Ceux-ci furent à l'origine
de la puissance actuelle de nombreuses entreprises privées, comme
Bechtel à qui fut attribuée la construction du barrage hydraulique
Hoover Dam. Wirtz était déjà engagé, au nom d'un autre client, dans des
procédures visant à obtenir pour lui l'attribution du chantier de
construction d'un barrage sur la rivière Colorado. Le financement du
projet par les fonds publics n'était possible que s'il s'agissait d'un
barrage destiné à prévenir les inondations qui coûtaient chaque année
des millions aux collectivités, et non pas un barrage destiné à
produire de l'électricité. Wirtz se débrouilla pour convaincre les
autorités de l'urgence de la création d'un organisme de gestion des
travaux sur la rivière, le Lower Colorado River Authority (LCRA), dont
il serait bien entendu le président, et rassura le parlement du Texas
sur la nature du barrage qui devait être construit. Une fois cela
accompli, Wirtz se rendit à Washington pour sécuriser des fonds du New
Deal, mais se heurta aux doutes de l'administration sur l'utilité du
barrage. Pour contourner cet obstacle, Wirtz fit tout simplement
retracer la carte des districts du Texas afin que le lieu choisi pour
la construction du barrage soit situé dans la juridiction du
représentant James P. Buchanan, qui accessoirement se trouvait être le
président du comité d'attribution des fonds du New Deal. Ensuite, Wirtz
baptisa le barrage du nom de ce dernier, qui du coup insista auprès de
Roosevelt pour avoir « son barrage » comme cadeau d'anniversaire !

Les travaux à demi terminés, le client de Wirtz fit faillite et laissa
un barrage inachevé, bien entendu destiné à produire de l'électricité
et donc inefficace contre les inondations. À ce moment Wirtz, qui
n'avait pas froid aux yeux, décida tout simplement de faire construire
un nouveau barrage en aval du premier, cette fois-ci par son autre
client, la société Brown & Root. Peu importe que celle-ci n'ait aucune
expérience en la matière, les frères Brown étaient résolus à s'y
atteler coûte que coûte, car la survie de leur entreprise en dépendait.

Pour décrocher le marché, ils s'associent avec une autre entreprise
plus expérimentée et soumettent un devis irréaliste pour la réalisation
du projet : cette méthode consistant à faire grimper les coûts une fois
le contrat obtenu est toujours très répandue et désormais peu de gens
s'étonnent quand George W. Bush demande quelques milliards de rallonge
pour Brown & Root en Irak…

Ainsi, en décembre 1936 le président de la LCRA Alvin Wirtz attribue la
construction du Marshall Ford Dam à Brown & Root, qui est également son
client. Suivront d'autres difficultés, à chaque fois contournées grâce
aux entrées de Wirtz à Washington, et particulièrement à l'influence du
représentant Buchanan. Lorsque celui-ci meurt en 1937, Brown & Root
perd son principal atout à Washington à un moment crucial pour sa santé
financière. Heureusement, c'est un autre ami de Wirtz, le jeune Lyndon
Baines Johnson, qui s'engage dans la course pour récupérer le siège de
Buchanan. Il s'adresse aussitôt à Wirtz pour qu'il use de son
considérable pouvoir afin de l'aider à y parvenir. En échange, Wirtz
lui demande de faire passer la loi qui lèvera les derniers obstacles
empêchant Brown & Root de se hisser parmi les plus grands contractants
de l'État. Protégé de Roosevelt qui met toute sa plate-forme de
campagne à sa disposition, Johnson, s'il est élu, en a largement les
moyens.

Le plus surprenant, lors de cette campagne qui fut l'une des plus
coûteuses que le Texas ait jamais connu, est que Herman Brown lui-même
ne soutenait pas le candidat qui lui permettrait de prospérer. Il
méprisait d'ailleurs le New Deal, dont il avait pourtant déjà tiré
plusieurs millions de dollars. Johnson remporta facilement l'élection
grâce aux fonds levés par Wirtz, ainsi qu'au soutien de Roosevelt, et
devint littéralement la branche politique de Brown & Root pour les
décennies suivantes.
Lors d'une conversation avec George Brown, il décrira leur association
comme « Une joint-venture … Wirtz va s'occuper de la partie légale, je
vais m'occuper de la politique, vous allez prendre en charge son aspect
business. Nous allons ensemble trouver des solutions qui amélioreront
notre position à tous les trois. » [3].


Le glissement vers les industries de défense

La Seconde Guerre mondiale fut la première occasion pour Halliburton et
Brown & Root de réorienter leurs activités vers le domaine militaire,
dans un effort s'accordant de nouveau parfaitement avec l'orientation
des dépenses de l'État. Howco, non contente d'engranger d'importants
profits grâce à la demande en pétrole stimulée par l'effort de guerre,
se diversifia également dans la production de pièces détachées pour
l'armée de l'air et la construction de pistes d'aviation. Brown & Root
se convertit pour sa part en un clin d'œil en contractant pour la
défense, après avoir construit son assise financière sur le capitalisme
du New Deal. Parallèlement la compagnie exerça une forte pression
anti-syndicale sur ses employés, et en conséquence Johnson prit un
virage à droite aux yeux du public. Il avait assuré plusieurs autres
contrats importants à Brown & Root, dont deux autres barrages sur le
Colorado, liant définitivement son destin à celui de l'entreprise au
point que le businessman Herman Brown paraisse parfois avoir
l'ascendant sur le politique Lyndon Johnson. On retrouve aujourd'hui
l'illustration de cette relation inversée en entendant des militaires
états-uniens évoquer KBR comme un « client » de l'armée [4]...

L'un des meilleurs coups de l'association Johnson / Brown & Root
restera la construction de la base militaire de Corpus Christi au
Texas. Pour sa nomination en tant que candidat démocrate en 1940,
Roosevelt s'appuie sur l'influence de Wirtz et Johnson au Texas, un
État dont le vote est crucial. En retour, il ordonne que toute décision
de construction militaire réalisée au Texas passe par Lyndon Johnson.
Soudainement, Brown & Root est évoqué comme possible contractant pour
l'armée, puis obtient peu de temps après le contrat pour la réalisation
de la base en des termes plus qu'avantageux : le type de contrat,
appelé cost-plus, inclut le remboursement des coûts de construction
ainsi qu'un pourcentage de celui-ci versé comme rémunération au
contractant, qui a alors tout intérêt à gonfler les coûts pour
augmenter ses profits. Le montant fixé à l'origine s'élève à 23 381 000
dollars. Au finale, Brown & Root réalisera le projet pour la somme de
125 000 000 de dollars.

Brown & Root s'engagea ensuite dans la construction de navires de
guerre. Inutile de préciser que ce qui assura à la société ses premiers
marchés n'était pas son savoir-faire, alors inexistant dans ce domaine,
mais le fait qu'elle ait permis par ses moyens financiers de faire
élire plus de représentants au Congrès que le Democratic National
Committee. Les commandes de navires tombaient par dizaines et en 1943,
la construction navale était le premier secteur économique de Houston,
où Brown & Root employait 15 000 personnes.

L'avantage principal de la politique syndicale rigide de style
open-shop (main d'œuvre fluctuante et précaire) de Brown & Root était
sa souplesse d'adaptation et ses faibles coûts de fonctionnement par
rapport à ses compétiteurs, ce qui lui permettait de soumettre des
offres plus basses et de remporter les contrats. Par ailleurs, lors des
mouvements de grève, elle n'hésitait pas à facturer la moindre
interruption de production aux centrales syndicales telles que
l'AFL-CIO et à licencier à tour de bras les meneurs de ces mouvements,
invoquant pour cela leur manque de patriotisme. Herman Brown estimait
que l'effort de guerre justifiait cette politique.

À la fin de la guerre, l'État qui possédait 25 % de l'industrie du pays
devait notamment se défaire de deux oléoducs Ouest/Est géants, à
l'origine destinés à contrer l'attaque des pétroliers par les
sous-marins allemands. Encore une fois, des compétiteurs plus
expérimentés furent écartés du projet et, grâce à l'influence de
Johnson, les frères Brown firent main basse sur le marché par
l'entremise d'une société créée pour l'occasion.

Si le monde pouvait facilement constater ce que faisait Johnson pour
Brown & Root, l'inverse était moins évident, notamment en raison d'une
loi interdisant à l'époque le financement des campagnes par les
entreprises et limitant le financement des particuliers à 5000 dollars
par donateur. Le financement des campagnes de Johnson par Brown & Root
n'était donc pas chose facile. Lors de chaque campagne, des sacs
remplis de liasses circulaient de main en main, sans laisser de traces,
et les employés de Brown & Root étaient souvent sollicités pour faire
des dons au candidat Johnson, qui une fois élu faisait en sorte
d'alimenter Bown & Root en marchés publics. Le coût d'une campagne
sénatoriale était limité par la loi à 25 000 dollars par candidat, mais
les contributions de Brown & Root dépassaient régulièrement à elles
seules les 100 000 dollars, dissimulées de différentes manières, quand
ce n'était pas pour acheter directement les votes des électeurs comme
les Mexicains déshérités du Sud-Texas. En juillet 1942, l'Internal
Revenue Service (IRS) repéra des irrégularités dans les comptes de
Brown & Root et décida alors d'ouvrir une enquête. Johnson, qui
risquait gros dans l'histoire, tenta d'intervenir auprès du président
Roosevelt pour lui assurer qu'il s'agissait d'une manœuvre politique.
Mais les agents du fisc redoublaient d'ardeur à chaque tentative de
Johnson pour étouffer l'affaire, d'autant qu'il ne parvenait pas à
convaincre Roosevelt de s'en mêler. Il finit tout de même par accepter,
et le lendemain un nouvel inspecteur fut chargé de l'affaire ; il
examina le dossier et jugea que les éléments à charge étaient
insuffisants étant donné l'effort de guerre fourni par la société, puis
trancha pour une amende de moins de 500 000 dollars. L'affaire fut
rapidement classée.

Johnson fréquentait à l'époque un groupe informel de richissimes
texans, réunis par leur fortune, une volonté commune et un large
spectre d'influence politique connu sous le nom de « Suite 8F » en
raison de leur lieu de rendez-vous qui se trouvait être la Suite 8F de
l'hôtel Lamar de Houston. D'un simple lieu de rencontre informelle,
elle devint le lieu où étaient prises les décisions importantes et où
se nouaient les alliances, loin du regard du public. Car leur but,
aussi paradoxal qu'il puisse sembler, était bien de limiter l'impact
des politiques sur leurs affaires respectives, tout en utilisant ces
mêmes politiques et législations pour atteindre leurs objectifs.


Le point de fusion

Les dérives de Brown & Root durant la Première Guerre mondiale furent
rapidement excusées au regard du public par la priorité de l'effort de
guerre et personne n'évoquait alors les « profiteurs de guerre ». En
revanche, il en fut autrement lors de la guerre du Viet-Nam.

Les années 50 virent Howco étendre ses activités jusqu'en Arabie
Saoudite ou encore au Pérou, en Colombie, Indonésie, Mexique etc. et
son revenu global passer de 94 millions de dollars à 194 millions en
1957, année de la mort d'Erle Halliburton, son fondateur, qui s'en
allait en laissant une fortune dépassant largement sa promesse initiale
d'un million de dollars. Mais la baisse de la demande pétrolière des
années 60 entama les revenus de la société, qui chercha alors à se
diversifier par tous les moyens.

De son côté, Brown & Root accusait également le coup, mais pour une
autre raison. Sa santé financière était au mieux, avec notamment la
construction de deux bases militaires, en France et en Espagne, pour
une somme de 472 millions de dollars. En revanche, son pilier politique
Lyndon Johnson s'était mis en tête de participer à la course
présidentielle, ce qui n'était pas pour plaire à Herman Brown,
satisfait des retours sur investissement procurés par son poulain au
Sénat. Il ne voulait pas d'un Johnson en représentation, sans prise
directe sur la législation. Néanmoins Johnson s'inclina aux primaires
face au candidat Kennedy, et Herman Brown mourut d'une rupture
d'anévrisme en novembre 1962, quelques mois avant l'assassinat de
Dallas qui devait porter Johnson à la présidence. Il était alors
question d'une acquisition de Brown & Root par Halliburton. D'une part,
les frères Brown ne souhaitaient pas vendre leur société à un
concurrent. D'autre part, les deux sociétés, dont les points communs
étaient leur origine texane, leurs débuts tourmentés et leur politique
syndicale sans concessions, présentaient également une singulière
complémentarité (la technologie mise au service d'un marché précis pour
Halliburton, et la puissance politique d'une Brown & Root) lorsqu'il
s'agissait de décrocher les contrats sur lesquels ils mettaient ensuite
autant d'hommes que nécessaire.

Arthur Lepic


[1] La source principale des informations rapportées dans cet article
est : The Halliburton Agenda, The Politics of Oil and Money par Dan
Briody, Wiley éd., 2004.

[2] La Standard Oil deviendra plus tard la compagnie Exxon, dont nous
avons relaté l'histoire dans « Exxon-Mobil, fournisseur officiel de
l'empire » [http://www.reseauvoltaire.net/article14693.html%5d, Voltaire,
26 août 2004.

[3] Cité par l'auteur. Op Cit.

[4] Op. Cit. p 78