Pausa forzata per il Feral
Le tasse soffocano la stampa
Le fameux hebdomadaire de Split, Feral Tribune, pourfendeur du nationalisme et de la corruption, véritable conscience morale et satirique de la Croatie, n’est pas dans les kiosques cette semaine. Les comptes du journal ont été saisis pour un retard de paiement de TVA. En cause : une lourde fiscalité qui étouffe la presse, mais aussi la dictature des annonceurs et des lobbies médiatiques, décidés à faire taire une voix critique. Le « marché de la presse » n’est pas plus libre que sous Tudjman, dénonce la rédaction de Feral.
Par la rédaction
Feral Tribune, le journal croate le plus récompensé, n’est pas sorti cette semaine. On ne sait toujours pas si et quand les prochains numéros se trouveront dans les kiosques. Le fait que Feral ne soit pas en vente, après quatorze années de parution régulière, est le résultat des problèmes auxquels la rédaction est confrontée depuis longtemps, mais qu’elle n’est pas en mesure, malgré de grands sacrifices, de surmonter.
Le récent blocage de notre compte par l’État, qui a prélevé de force un demi-million de kunas (environ 66.000 euros) au titre des TVA impayées, a financièrement détruit notre maison de sorte que, depuis des mois, les journalistes n’ont pas reçu leur salaire. Nous sommes encore menacés de rembourser le solde d’un million de kunas dû au titre de la TVA. Le fait est que le gouvernement de Croatie avait renoncé à plusieurs reprises à percevoir les dettes de TVA redevables par les médias appartenant à l’État (par exemple Vjesnik, la télévision publique HRT ou plus récemment Slobodna Dalmacija), ce qui a créé une concurrence déloyale. Nous avons également signalé que le montant draconien de la TVA pour les journaux - le plus élevé du monde - ne pouvait que mener les petits éditeurs indépendants à une mort certaine.
Les mesures prises d’urgence par le gouvernement, prévoyant que le montant de la TVA sur la presse devrait être deux fois inférieur au taux normal, ne font que confirmer que le problème existe et qu’il sera réglé grâce à l’appel de Feral, mais cela n’ira pas sans d’énormes pertes pour ce journal.
Les diktats de la pub
Nous avons également attiré l’attention sur le dictat de la corporation qui gouverne le marché des médias, de sorte que Feral Tribune, en raison de sa ligne politique de nature indépendante et incorruptible, est entièrement privé de revenus publicitaires. La situation est absolument insoutenable, car les gros annonceurs, apparemment en accord avec la politique gouvernante, divisent les médias entre les « bons » et les « mauvais », mettant ainsi tout le journalisme croate au service de leurs entreprises. La profession journalistique en Croatie, dirigée par les corporations de médias et leur tendance à faire des profits, s’abandonne sans résister à cette forme d’obéissance, au détriment des informations librement exprimées et des intérêts des citoyens de ce pays.
Les médias enclins à publier la vérité, à l’instar de Feral, sont généralement ignorés, privés d’une part considérable de leurs revenus potentiels et condamnés à la ruine financière. Il s’agit d’un racket de grande envergue, d’une corruption qui s’est transformée en système - avec les intérêts associés des maîtres profiteurs de la politique et des médias - et ce n’est qu’en humiliant le bon sens qu’on peut qualifier la situation actuelle de « situation de marché ».
Finalement, les sentences énoncées par la justice pour de présumés préjudices moraux, avec d’énormes demandes de dédommagement, sont beaucoup plus fréquentes ces derniers mois qu’au cours des dernières années, de sorte qu’il ne se passe pas une semaine sans que la rédaction de Feral ne reçoive une plainte judiciaire réclamant des dommages et intérêts de quelques dizaines de milliers de kunas. Ainsi, la justice croate, soumise au diktat des intérêts et de la politique, apporte sa contribution à l’étouffement de la libre expression publique, comme dans les années les plus noires du régime de Tudjman.
Feral Tribune est le lauréat de plusieurs reconnaissances internationales professionnelles. Il a obtenu plus de prix que tous les autres médias croates réunis. Il a sauvegardé les standards professionnels et moraux qui, dans ce pays, continuent d’être bien éloignés. Il a ouvert des sujets les plus dramatiques, que d’autres journaux n’ont osé aborder que des années plus tard. Le coup actuellement porté contre Feral annonce la mort de toute critique de la scène médiatique. La disparition de Feral des kiosques, que cela plaise à certains ou non, serait le signe avant-coureur d’un avenir qui réservera un misérable rôle de serviteur au journalisme.
La rédaction remercie les fidèles lecteurs de Feral Tribune qui nous ont appuyés dans les moments les plus difficiles. Encouragés par ce soutien ainsi que par les voix de soutien qui parviennent de l’opinion publique démocrate croate, les journalistes de ce journal feront tout leur possible pour que Feral Tribune soit de nouveau dans les kiosques le plus vite possible.