Par Irena Radisavljević
Si l’on en croit les récentes déclarations des présidents de Serbie et de Croatie, Boris Tadić et Ivo Josipović, Radmila et sa famille devraient bientôt avoir l’opportunité de choisir une nouvelle vie : retourner chez eux en Croatie, dans leur appartement d’avant la guerre, ou bien dans un nouveau logement en Serbie. Même si Radmila ne croit plus qu’une telle chose s’offrira à elle un jour, elle est cependant convaincue qu’il vaut mieux pour elle de demeurer en Serbie – tout comme, d’ailleurs, la majorité des personnes qui vivent actuellement dans ce centre d’hébergement.« Où devrions-nous aller ? Ici je suis une réfugiée, et là-bas une étrangère dans mon propre pays ! Nous n’avons même pas réussi à reprendre possession de l’appartement que l’on nous a volé en Croatie, et je ne m’attends pas à ce que l’on nous en donne un en Serbie... Après sept années passées dans un centre d’hébergement collectif, dans cette pièce de quelques mètres carrés où j’ai élevé mes deux enfants, un être humain apprend à ne plus croire en rien et à ne s’attendre à rien de bon. Si l’on me donnait le choix entre rester ici et retourner chez moi, je choisirais de rester ici. Je n’ai plus rien à espérer là-bas... », raconte Radmila Milanko, qui vit aujourd’hui dans un centre d’hébergement situé à Krnjača, un faubourg éloigné de Belgrade.
« Mes enfants étudient maintenant à la faculté de Belgrade. Ils ont grandi ici, qui pourrait les persuader de retourner vivre en Croatie ? C’est ici chez eux ! Et la majorité des réfugiés qui vivent ici ressentent la même chose. Nous avons vécu ici pendant deux décennies. Même si notre appartement nous était restitué, nous n’aurions pas d’emploi, de quoi pourrions-nous bien vivre ? », demande Radmila.
Savo Strbac, qui tente lui aussi d’obtenir la rétrocession de son appartement en Croatie, pense la même chose. « Nous ne croyons plus du tout en ce genre de promesse... Franchement, je ne leur fais pas confiance. Il n’y aura jamais de véritables retours sans que certains prérequis soient assurés. Vous n’avez pas seulement besoin d’une maison dans la vie, il vous faut aussi un emploi ! », explique-t-il. Quant à la procédure de récupération des appartements elle-même, elle est pour le moins compliquée, ce qui rend les choses encore plus difficiles et en décourage plus d’un.
Selon les évaluations établies par diverses associations de réfugiés, les Serbes de Croatie exigeraient la rétrocession d’un nombre variant de 42.000 à 50.000 logements. Les estimations du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies, elles, se situent plutôt à la moitié de ce chiffre, soit 29.000 logements, surtout des appartements. À ce jour, 4.500 familles serbes ont déposé une demande de retour en Croatie. Depuis 2004, seules 1.035 familles ont retrouvé leur logement, tandis que 1.600 demandes ont été rejetées. Les autres familles sont toujours en attente d’une réponse.
Slobodan Uzelac, vice-Premier ministre de Croatie, espère que l’idée d’une conférence destinée à recueillir des dons en argent en vue d’acheter des logements en Serbie pour les réfugiés permettra à autant de gens que possible d’obtenir un nouveau logis. Cela dit, il ne s’agit encore que d’un projet. Des donateurs de l’UE et des États-Unis devraient y participer. « Si cette idée veut être couronnée de succès, la Serbie et la Croatie devront collaborer étroitement à tous les niveaux de l’appareil politique, y compris les plus élevés. Il me semble qu’en ce moment, en particulier après la visite récente de Boris Tadić en Croatie, cette idée peut prendre corps », explique Slobodan Uzelac.
D’après certaines estimations officieuses, il serait possible d’aller chercher près de 100 millions d’euros lors d’une conférence semblable. Savo Strbac croit qu’avec ce chiffre, on resterait loin du compte.
« Ce montant suffirait à peine pour acheter environ 2.000 appartements de taille moyenne, alors qu’en Serbie on dénombre approximativement 64.000 réfugiés de Croatie. Et puis, à vrai dire, ce n’est pas la première fois que nous entendons parler d’une conférence destinée à recueillir des dons... », lance-t-il, passablement sceptique.