Avant même que le général serbe Momčilo Perišić ne soit inculpé, les autorités françaises se préoccupaient d’organiser sa défense devant le Tribunal de La Haye ! L’homme aurait en effet joué un rôle crucial dans l’affaire de la libération des pilotes français pris en otage en Bosnie en 1995.
Dans les notes du général Rondot, un autre inculpé du TPIY est cité à plusieurs reprises : le général Momčilo Perišić. Lorsque la guerre éclata, en 1991, ce Serbe dirigeait l’École d’artillerie de l’Armée populaire yougoslave à Zadar, en Croatie. En janvier 1992, il fut nommé commandant du 13e régiment de Bileća de l’Armée de la Republika Srpska de Bosnie-Herzégovine, basé à Mostar. Surnommé par la presse nationaliste serbe le « chevalier de Mostar », il participa activement au siège de la capitale de l’Herzégovine, ce qui lui valut d’être inculpé par le TPIY de crimes contre l’humanité et violations des lois et coutumes de la guerre. Entre temps, le général était revenu en Serbie, où il a poursuivi sa carrière militaire, comme commandant du IIIe Corps d’armée de Niš, puis chef d’État-major. A ce titre, c’est l’officier serbe le plus gradé à avoir été inculpé par la justice international.
Cette affaire des pilotes se trouve en effet au cœur des « relations troubles » établies par la France avec plusieurs inculpés de haut rang du TPIY. Le 30 août 1995, alors que le siège de Sarajevo touche à sa fin et que les forces croates et bosniaques ont déjà reconquis de larges secteurs du territoire bosnien occupé par les forces serbes, le Mirage 2000 du capitaine Frédéric Chiffot et du lieutenant José Souvignet est abattu au-dessus de la Bosnie. Les deux militaires parviennent à s’extraire de l’appareil et sont détenus durant quatorze semaines par les forces serbes. Les négociations qui permirent leur libération furent menées par Jean-Charles Marchiani, qui a rencontré Slobodan Milošević et Radovan Karadžić, faisant des promesses au contenu toujours inconnu en échange de la libération des deux hommes.Le 23 février 2005, « l’affaire Perišić » va beaucoup occuper le général Rondot. A 20 heures, il reçoit un coup de téléphone de Philippe Marland, l’avertissant de l’inculpation du général. Ou plus exactement de l’inculpation imminente. En effet, l’acte d’accusation initial n’a été établi que le lendemain, le 24 février, et rendu public seulement le 7 mars. Philippe Marland est néanmoins informé de l’imminence de cet acte d’accusation. Philippe Rondot note que le directeur de cabinet a reçu Samuel Pisar, qui lui a certainement communiqué ces précieuses informations. Survivant du Ghetto de Varsovie, avocat franco-américain, Samuel Pisar joue fréquemment ce rôle « d’intermédiaire » entre La Haye et les autorités françaises. En tout cas, les conclusions que tire Rondot sont énergiques : il « faut assurer la défense, devant le TPIY, du Gal Perišić. Et il évoque « un dossier laissé avec des témoignages de satisfaction de la DGSE au Gal Perišić », renvoyant à « Casques bleus otages en Bosnie. Affaire des pilotes ».
Jovica Stanišić, un agent multi-carte ?
Jovica Stanišić a intégré les services secrets yougoslaves dès la fin de ses études. Il aurait fait ses premières armes en jouant un rôle actif dans le piège tendu au fameux terroriste Ilich Ramírez Sánchez, alias Carlos, arrêté dans l’hôtel Métropol de Belgrade en 1975, mais presque aussitôt relâché par les autorités yougoslaves. Il joua ensuite un rôle essentiel dans la prise de pouvoir de Slobodan Milošević, facilitant, tout au long des années 1980, sa montée en puissance au sein des structures de la Ligue des communistes de Serbie.Dès le 27 juin 2003, une réunion chez Philippe Marland permet de faire le point sur les dossiers concernant les criminels de guerre, et le général Rondot note le « souci du DIRCAB » : « affaire des pilotes->rôle de JC.Marchiani ? ». Le 24 février 2005, le général Rondot s’inquiète également du sort du général Jovica Stanišić, ancien chef de la Sécurité d’État serbe (DB), un homme clé du système Milošević, inculpé par le TPIY et arrêté par les autorités serbes le 13 mars 2003. Il note que Philippe Marland lui remet « le dossier du Gal Stanišić (mis en accusation devant le TPIY) transmis par Samuel Pisar pour témoignage de services rendus->demander des éléments d’appréciation à la DGSE ». L’informateur, Samuel Pisar, est le même que dans le cas du général Perišić.
Par la suite, dans les années 1990, les agents de Stanišić jouèrent un rôle essentiel pour diviser l’opposition démocratique. En somme, quand Milošević guerroyait en Croatie et en Bosnie, Stanišić avait la haute main sur les affaires « intérieures », en pilier essentiel à la stabilité du régime. Avec son complice Franko Simatović, dit « Frenki », il s’occupa aussi de la fourniture en armes des nationalistes serbes de Croatie et de Serbie. C’est également lui qui assurait le lien avec les réseaux criminels qui contribuèrent directement au financement du régime, notamment le « clan de Zemun », acteur majeur du trafic de l’héroïne à l’échelle européenne.
L’étoile de Stanišić aurait commencé à faiblir à Belgrade dès 1995, après la conclusion des accords de Dayton. L’homme clé de la Sécurité d’État était notamment en butte à l’hostilité ouverte de Mira Marković, l’influente épouse du dictateur. Il aurait néanmoins contribué à des négociations secrètes, en 1998, entre le régime de Milošević et les Albanais du Kosovo.
La chute du maître de Belgrade, en octobre 2000, ne remit pas directement en cause sa position. L’homme connaissait trop de dossiers pour que les nouveaux dirigeants démocratiques serbes puissent le mettre sur la touche. Avant même la révolution, il aurait d’ailleurs commencé à pactiser secrètement avec Zoran Djindjić, le chef du Parti démocratique. Ce dernier aimait à dire que Jovica Stanišić « avait des amis au paradis et en enfer » .
Après son arrestation, en 2003, Jovica Stanišić a assuré qu’il aurait collaboré avec la CIA américaine, tout au long de ses années passées à la tête de la DB. Il n’a jamais publiquement évoqué les liens qu’il aurait pu entretenir avec les services français, mais notre pays a sûrement, lui aussi, « des amis au paradis et en enfer ».
Au nom des « services rendus » par plusieurs figures du régime Milošević, la France se trouve donc être « moralement débitrice » de plusieurs inculpés du TPIY. Les plus hautes sphères de l’État se préparent donc à organiser leur défense. On est bien loin de la « coopération pleine et entière avec la justice internationale », que la France officielle réclame de la part des États des Balkans...
Les anciens de la Légion
Tout au long de l’année 2003, le général Rondot fait état de demandes de renseignements émanant de Belgrade. Le 17 octobre, il précise que « MAM va en parler au MI » (ministre de l’Intérieur, à savoir Nicolas Sarkozy), ajoutant « traiter ce dossier avec la DST ». Le 30 octobre, l’affaire prend de l’ampleur : le ministre de l’Intérieur « n’était pas au courant de la demande serbe », alors que le Président aurait été informé. Rondot précise : « Ph.Marland en parlera à M.Guéant », alors directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy. On ignore toujours quelles informations la France pouvait communiquer à la Serbie sur Milorad Ulemek, dit Legija. Beaucoup d’autres anciens Légionnaires ont également été impliqués dans les conflits yougoslaves. L’un des plus célèbres d’entre eux, Milorad Ulemek, justement surnommé « Legija », fut le commanditaire du meurtre du Premier ministre démocrate Zoran Djindjić, abattu à Belgrade le 12 mars 2003. Ulemek s’est engagé dans la Légion le 10 avril 1986, à l’âge de 18 ans. Il a servi au Tchad, à Beyrouth et en Irak durant la première guerre du Golfe, mais n’aurait pas effectué le temps de service lui permettant de prétendre à la nationalité française. Il revient également au pays au début des guerres yougoslaves, mais naturellement côté serbe. Il prit en 1996 la tête des « Bérets rouges », les Unités spéciales de la police serbe, qui se rallièrent à l’opposition démocratique en octobre 2000, au moment de la chute de Milošević, avant d’entrer en conflit avec le gouvernement de Zoran Djindjić.